Cet article date de plus de deux ans.

Cycle menstruel : quand le sport de haut niveau provoque un retard des premières règles chez les jeunes athlètes

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La pratique du haut niveau peut provoquer chez l’athlète une aménorrhée primaire, autrement dit un retard du déclenchement du premier cycle menstruel. (Henri Lauriano / Franceinfo: sport)

Les aménorrhées peuvent avoir de sérieuses conséquences sur la santé des athlètes.

A quel point le sport de haut niveau peut-il perturber le cycle menstruel des athlètes ? Les heures d'entraînements, associées à l'intensité qu'exige le haut niveau, et ce dès l'entrée de l'adolescence, peuvent en effet provoquer chez l'athlète une aménorrhée primaire, autrement dit un retard du déclenchement du premier cycle menstruel.

"L'arrivée des premières règles nécessite un certain pourcentage de masse grasse, qui sont des réserves énergétiques. Si on ne l'a pas acquis et qu'il est trop faible, la puberté va alors être décalée", explique Carole Maître, gynécologue à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), qui forme les futurs champions tricolores.

"A 9-10 ans, on est déjà dans le haut niveau"

"On retrouve cela notamment dans les sports à début prépubertaire, comme le patinage artistique et la gymnastique, poursuit Carole Maître. A 9-10 ans, on est déjà dans le haut niveau. Ce sont aussi des disciplines où la minceur est un facteur de performance." Des sports comme le saut de haies, le marathon, le triathlon, ou même le judo,"où il faut peu de masses grasses pour être plus performants, peuvent aussi entraîner des troubles du cycle".

>> A LIRE AUSSI : "J'ai eu des coachs masculins qui ne considéraient pas du tout la question", confie l'escrimeuse Ysaora Thibus

>> A LIRE AUSSI : "Douleurs insupportables", "fatigue", "peur de la tache"... Quand le cycle menstruel vient perturber les performances des athlètes

La gymnaste Marine Boyer, médaillée de bronze à la poutre et d'argent au concours général par équipe aux championnats d'Europe en 2018, raconte que "vers 14 ans, les médecins et les 'grandes de la gym'" de l'Insep lui ont expliqué que "c'était 'normal' de ne pas avoir nos règles à cet âge, du fait du haut niveau et qu'elles arriveraient quand on allait être en arrêt ou quand on arrêterait la gymnastique". Des circonstances particulières ont fait qu'elle a été une des premières filles à avoir ses règles au sein du pôle dans lequel elle s'entraînait.

"Si mes premières règles ne sont pas arrivées trop tard, c'est parce que je me suis blessée à l'épaule cette année-là, et j'ai été arrêtée pendant un an. Au bout du huitième mois d'arrêt, mes règles sont arrivées."

Marine Boyer, gymnaste

à franceinfo: sport

Au contraire, la patineuse Maé-Bérénice Méité, sextuple championne de France, avoue ne jamais avoir été guidée sur ce sujet par son encadrement sportif. "Nous n'avions pas du tout d'accompagnement spécifique sur la question, alors même que mon sport est largement concerné." 

Maé-Bérénice Meite présente son programme libre lors des championnats d'Europe de patinage artistique à Steiermarkhalle, en Autriche, le 25 janvier 2020. (ULRIK PEDERSEN / AFP)

Pour tenter de libérer la parole dans son milieu, la patineuse a publié il y a deux ans une vidéo sur sa chaîne YouTube recueillant des témoignages d'athlètes sur leurs cycles menstruels. "Dans ma vidéo, une patineuse en couple explique qu'elle n'a eu ses règles qu'à 18 ans. Elle trouvait cela étrange à l'époque, mais elle avait peu d'information et elle ne voulait pas en parler. Elle avait un peu honte", rapporte Maé-Bérénice Méité.

Risques de blessures

Toutes les aménorrhées doivent-elles inquiéter ? Non, répond la gynécologue Carole Maître : "Un retard d'un ou deux ans n'a pas de conséquences. Mais au-delà de 16-17 ans, il faut une prise en charge, souligne la spécialiste qui suit de nombreuses athlètes à l'Insep. A cet âge-là, l'adolescente construit la masse osseuse de son squelette, qui va la suivre toute sa vie. Et pour cela, elle a besoin d'œstrogènes."

Avec l'apparition des premières règles, le corps va produire naturellement, grâce aux ovaires, cette hormone. Sans le déclenchement du cycle menstruel, le corps ne produit pas d'œstrogènes et ne peut donc participer à la construction osseuse. A terme, le trouble provoqué par cette aménorrhée prolongée "peut augmenter le risque de fracture de fatigue, et induire une fatigabilité en fin d'entraînement" plus importante, précise Carole Maître. En clair, des blessures. 

Au-delà de cette perturbation, certaines athlètes peuvent connaître des aménorrhées secondaires, autrement dit l'absence de règles pendant plusieurs mois après l'établissement des cycles menstruels réguliers. "L'absence de règles au-delà de trois mois est essentiellement liée au fait que la réserve énergétique de l'athlète n'est plus suffisante pour assurer le cycle de la reproduction, avec la sécrétion des hormones par les ovaires", développe Carole Maître.

La gymnaste Marine Boyer lors des finales du Championnat d'Europe de gymnastique artistique, à Szczecin, en Pologne, le 14 avril 2019.  (MAXPPP)

Pourquoi cette réserve énergétique est-elle devenue insuffisante ? "Parce que sa dépense énergétique a pu augmenter, répond la gynécologue de l'Insep. Par exemple, avec une succession de stages intensifs sans adaptation de ses apports nutritionnels, ou bien la recherche d'une perte de poids pour faire partie d'une catégorie qui lui serait plus favorable." 

Ne pas subir la situation

Au bout d'un certain nombre de mois d'absence de règles, le taux d'œstrogène devient alors trop faible. Là encore, le risque de blessures s'en trouve augmeté. Dans une telle situation, Carole Maître appelle les athlètes à se rapprocher d'un gynécologue. "Il faut vraiment considérer que les régulariser aura des bénéfices sur le métabolisme pour la sportive." 

L'aide apportée aux athlètes atteintes d'une aménorrhée primaire ou secondaire est personnalisée. En effet, les sportives évoluant en sports collectifs et individuels n'ont pas les mêmes contraintes. "Si l'athlète fait partie d'une équipe, c'est difficile de lui demander de réduire son entraînement, précise Carole Maitre. On va donc plutôt essayer de trouver la solution la plus adaptée à son cas : par la prise en charge hormonale, ainsi que le suivi nutritionnel et psychologique."

Cet accompagnement permet aussi aux jeunes sportives d'appréhender leur nouveau corps de femme, ou de le redécouvrir, selon les histoires de chacune. Une connaissance qui ne peut être qu'une alliée de la performance.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.