Alaphilippe, Van Aert, Sagan : Pourquoi les meilleurs viennent-ils du cyclocross ?
Julian Alaphilippe en est le flamboyant porte-étendard sur ce Tour de France. Ces routards qui ont fait leurs premières gammes sur les sentiers du cyclo-cross sont de plus en plus nombreux ; et surtout, de plus en plus forts. Si le numéro un mondial brille ainsi sur tous les terrains, et est capable de s'adapter à toutes les conditions de course, c'est aussi (surtout?) parce que, jusqu'à ses 21 ans, il a fait carrière dans le cyclo-cross. Le constat est le même pour Wout Van Aert, vainqueur d'étape et porteur du maillot blanc cette année sur le Tour, Mike Teunissen, également vainqueur d'étape, ou encore Mathieu Van Der Poel, qui n'est pas sur le Tour mais qui a brillé pour ses rares incursions sur la route (vainqueur de l'Amstel Gold Race en avril dernier). Même Peter Sagan, réputé pour son passé de vététiste, a été vice-champion du monde de cyclo-cross en 2008. Alors, quel est l'ingrédient secret de cette discipline qui couve champion sur champion ?
A l'école de l'agilité et de l'explosivité
C'est d'abord sa versatilité. Contrairement au cyclisme sur route, tout n'est pas balisé, calculé. Les coureurs doivent en permanence s'adapter à de nouvelles conditions de course, et donc, développer des capacités d'adaptation et d'agilité. "Le cyclocrossman ou le vététiste est d'abord un bon pilote, analyse Frédéric Hurlin, entraîneur de cyclisme sur route, de VTT et de cyclo-cross. Il évolue dans des espaces très restreints. Il doit donc apprendre à manœuvrer sa machine avec dextérité. La chaussée n'est pas super pour rouler, et ça, ça favorise l'habileté des coureurs, leur capacité à se glisser dans le peloton dans des arrivées massives" Lors de sa victoire à Albi, Wout Van Waert avait parfaitement su gérer l'arrivée au sprint massif, dépassant les spécialistes grâce à des capacités d'équilibriste hors normes. "Je n’ai jamais éprouvé de difficulté à me placer, a-t-il lancé dans la foulée de sa victoire au site belge Le Soir. C’est dans les labourés que j’ai acquis ce feeling. Le cyclo-cross est un sport de classe mondiale, on ne le dit pas assez"
La variété des terrains de jeu favorise également le sens de l'anticipation des coureurs. "Les gars du cyclo-cross peuvent passer d'un week-end à l'autre, d'un terrain très roulant à des pentes raides et des sentiers en mauvais état. Ils ne savent jamais à quoi s'attendre et doivent se débrouiller" analyse Frédéric Hurlin. "À l’échelon du terrain de jeu, le cyclo-cross peut se pratiquer partout, le sable, la boue, l’herbe où on veut (...) Le cyclo-cross m’a appris à prendre confiance en moi", affirme Wout Van Aert.
Le cyclo-cross cultive des personnalités audacieuses
La confiance en soi, c'est peut-être aussi de cela dont a eu besoin Julian Alaphilippe lors de la 10e étape, au moment de se mettre à l'avant du peloton, maillot jaune sur les épaules, pour provoquer la bordure quasi-fatale à Thibaut Pinot et à d'autres favoris. Comme le Français, les coureurs qui ont fait du cyclo-cross n'ont généralement pas peur de prendre des risques stratégiques. "Il attaque là où personne ne l'attend, il court à l'instinct, ce qui le rend imprévisible, alors que les autres sont enfermés dans un moule." disait Marc Madiot de Peter Sagan il y a quelques années. C'est bien cette imprévisibilité qui constitue, encore aujourd'hui, l'une des forces du Slovaque. L'a-t-il acquis sur les sentiers ? "Il l'avait sûrement déjà dans les chromosomes, mais ce qui est sûr, c'est que les coureurs de cyclo-cross comme de VTT ne sont pas formatés, tranche Frédéric Hurlin. En cyclo-cross il n’y a pas cette notion de course d’équipe, c'est plutôt du sauve qui peut. Il y a une meilleure lecture de la stratégie parce qu'il n'y a pas d’oreillette : on doit être observateur, ouvrir ses yeux et réfléchir par soi-même. Ils se débrouillent tout seul comme des grands"
Le cyclo-cross, nouvel axe de développement du cyclisme français ?
Pour Wout Van Aert, son parcours, comme celui de Julian Alaphilippe ou de Mathieu Van Der Poel, ne doit pas rester une exception. "Le cyclo-cross est une magnifique école. Débuter le cyclisme dans la boue, cela permet d’apprendre à manier une bicyclette, à conduire en fait. J’espère que cela va inspirer les plus jeunes, car le cyclo-cross ne peut pas éternellement se limiter à la Belgique et aux Pays-Bas" En France, on ne prétend pas rivaliser avec les voisins des Flandres, qui ont érigé au fil des années le cyclo-cross en un phénomène culturel. Mais les ambitions sont là, d'après le DTN de la Fédération Française de cyclisme Christophe Manin : "La pluridisciplinarité me tient beaucoup à cœur. Je veux que la culture française change et que la formation des cyclistes sur route passe par un volet cyclo-cross" C'est pour l'instant le cas jusqu'aux catégories cadet. Ensuite, d'après Emmanuel Brunet, manager cyclisme sur route et cyclo-cross à la FFC, "les jeunes délaissent le cyclo-cross et se spécialisent, à cause de la pression des résultats" Peut-être auront-ils remarqué qu'un certain cyclocrossman était en jaune sur le Tour de France depuis plus de dix jours.
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