Avec le retour du Tour féminin en 2022, le cyclisme donne un coup de pédale vers la parité
Ce sera bientôt leur Tour. Annoncé en marge de La Course by Le Tour, le Tour de France féminin renaîtra de ses cendres en 2022. Prévu pour l’été prochain, il a été décalé d’une année supplémentaire à cause du report des Jeux olympiques à Tokyo. Un clash de date bien vite oublié tant la nouvelle du retour de la Grande Boucle était attendue dans le peloton des équipes World Tour, la première division féminine. "2022, ça tombe pile poil dans le bon timing", jubile Stephen Delcourt, manager de l’équipe française FDJ-Nouvelle Aquitaine Futuroscope. "On sera mieux structuré." Parent pauvre de la petite reine, le cyclisme féminin a longtemps roulé dans l’ombre des garçons. Parfois raillées par une partie des professionnels, les coureuses ont dû frotter pour se faire une place sur le bitume. Au propre comme au figuré puisqu’elles sont encore régulièrement mélangées dans les clubs et les courses de jeune. "Depuis 15 ans que je suis dans le cyclisme féminin, ce n’est plus pareil", assure Delcourt. "Rares sont les hommes qui disent que les femmes n’ont rien à faire sur un vélo. Le regard a changé dans le bon sens. Elles ne pédalent pas juste pour aller chercher le pain."
"On n’a pas d’autre choix que de courir avec les hommes"
Avec seulement 10 % des licenciées à la Fédération française de cyclisme (FFC), elles sont toutefois trop peu nombreuses pour organiser des courses 100 % féminines. "C’est difficile dans un département et une région d’organiser des courses exclusivement féminines, donc on n’a pas d’autre choix que de courir avec les hommes", regrette Fanny Frébert du Vélo Club d’Evreux et hôtesse Skoda sur le Tour de France. "Je préfère les courses féminines mais on est obligé de faire des regroupements et d’aller courir loin, parfois à quelques heures de route. Mais quand on aime, on les fait." Une aberration en France alors que la pratique du vélo ne cesse d’augmenter. "Des pays comme les Pays-Bas, l’Italie ou le Royaume-Uni ont investi massivement dans le cyclisme féminin", explique Delcour. "Ils ont créé du volume en licenciées et depuis plusieurs années, les équipes de ces pays bénéficient de coureuses de haut niveau."
Seulement 7e au rang des nations, la France plafonne alors qu’elle a connu des années fastes avec Jeannie Longo dont les duels avec l’Italienne Maria Canins lors des six éditions du Tour féminin disputés de 1984 à 1989 avaient placé les femmes sur le devant de la scène, en lever de rideau des hommes mais sans la télé. Depuis, les Françaises sont rentrées dans le rang mais la sortie du gruppetto est proche sous l’impulsion de l’UCI et de la FFC. Même s’il manque toujours une icône pour attirer les jeunes femmes dans les clubs, les signes positifs s’accumulent. Depuis cet hiver, l’équipe FDJ a été rejointe par Arkea dans le paysage tricolore. "Ça avait du sens pour nous", souligne Emmanuel Hubert, le manager breton. Il y a 12500 personnes qui travaillent pour le groupe Arkea dont environ la moitié de femmes. "Je suis sûr et certain que dans quelques années on sera aussi à parité dans le cyclisme."
Le Tour va leur donner des ailes
Si de nombreuses courses professionnelles, dont des monuments du cyclisme, la Vuelta et le Giro, ont ajouté une épreuve féminine à leur organisation, le Tour arrive à point nommé. "Elles en ont besoin pour franchir un cap supplémentaire", reprend le manager de la FDJ qui évoque la médiatisation mais aussi le salaire. L’Union cycliste international a ainsi imposé un salaire minimum, qui va aller crescendo, à ses formations World Tour. De 15000 € bruts annuels en 2020 (un peu plus en France car le SMIC est plus élevé, NDLR) à 32500 € en 2023, soit l’équivalent du salaire moyen d’un coureur néo pro chez les hommes. "Le salaire minimum c’est une obligation", surenchérit Hubert qui ne s’interdit pas de monter dans la division d’élite féminine. "On ne peut pas monter une équipe féminine pour l’image et payer les filles trois francs six sous. Elles seront moins payées que les garçons au départ, mais il faut que ça s’équilibre. Si on pouvait y arriver dans moins de cinq ans, ça serait top."
Mais ceci ne sera possible qu’avec la présence du Tour et ses retombées médiatiques. "La principale vitrine de notre cyclisme masculin c’est le Tour de France", explique le patron d’Arkea. "Ce sera aussi le cas pour les femmes. Il apporte de la visibilité pour les partenaires. C’est grâce à ça qu’on ira vers la parité." Samedi dernier, l’étape féminine autour de Nice a été vue par plus d’un million de téléspectateurs en France. "Si on réunit autant de monde multiplié par huit jours de courses, c’est facile à comprendre pour un annonceur", analyse Delcourt qui pense que les équipes féminines seront alors bâties sur le même modèle économique que celles des hommes.
A l'épreuve des pavés
D’où un format qui pourrait d’étaler sur une grosse semaine pour commencer à une autre période que celle des garçons mais avec une organisation digne de ce nom, là où le Giro se déroule sur 10 jours mais sur des routes parfois ouvertes à la circulation… "Il faut démarrer petitement et ne pas mettre le petit plat dans un grand plat", tempère Hubert. "Petit à petit l’oiseau fera son nid. Ça serait peut-être bien de l’adosser à la course des garçons pour créer une dynamique dès le départ." Chez ASO, l’organisateur du Tour, on est prêt à prendre ce risque après avoir longtemps eu des relations compliquées avec les anciennes Grandes Boucles féminines, notamment sur l’appellation « Tour de France » qui est sa marque déposée. "Si tous ceux qui nous réclament des courses féminines nous aidaient, ne serait-ce qu’à atteindre leur équilibre financier, ça serait plus facile", tranchait Christian Prudhomme dans L’Equipe magazine. "La vérité est qu’on perd de l’argent avec les épreuves féminines et que, si elles étaient des épreuves masculines, on ne les organiserait pas." Cet automne, ASO mettra pour la première fois des femmes dans l’Enfer du Nord.
Un premier Paris-Roubaix en guise de dessert pour le manager de FDJ-Nouvelle Aquitaine Futuroscope qui partage avec Marc Madiot, son homologue des garçons, une sorte de fascination pour cette course. "C’est un monument, une course à part", lâche-t-il. Des pavés à double tranchant en cas de loupé. "Il n’est pas question de donner une image négative, de voir des filles pleurer ou renoncer parce que c’est trop difficile. On veut montrer qu’elles sont capables de dompter cette course. Et elles le sont." L’équipe poitevine a déjà effectué deux stages dans le Nord. "On n'a jamais investi autant d’argent sur une course." Il est temps pour ces pionnières d’écrire une nouvelle histoire du cyclisme féminin.
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