Mondial de hockey - Comment la Biélorussie a perdu l'organisation des Mondiaux à cause... d'une poignée de mains
Se doutait-il du raz-de-marée qu’il déclencherait avec un simple geste ? Le président de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF), René Fasel, a chaleureusement serré la main du président biélorusse Alexandre Loukachenko le 11 janvier dernier, en marge du championnat du monde prévu quelques mois plus tard (21 mai – 6 juin). Mais ce geste a provoqué un tollé international, des défections de sponsors en chaîne et, en définitive, la délocalisation de l’évènement hors de la Biélorussie.
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Le Conseil de l'IIHF a ainsi déterminé dans un communiqué "qu'il était actuellement impossible de garantir le bien-être des équipes, des spectateurs et des officiels lors d'une telle compétition". Comment en est-on arrivé à une telle escalade, alors que l’organisation assurait quelques jours plus tôt que la compétition aurait bien lieu ?
Contexte local explosif
D’abord, il faut savoir que la Biélorussie est au bord de la guerre civile depuis maintenant plusieurs mois. La réélection d’Alexandre Loukachenko, avec 80,1 % des voix, le 9 août 2020, a entraîné un important mouvement de contestation, inédit par son ampleur dans cette ex-République soviétique dirigée depuis 1994 par le même homme. Le régime refuse d’ailleurs d’engager un dialogue avec l’opposition, et a opté pour la méthode brutale : 32 000 personnes ont été arrêtées en marge des différentes manifestations depuis six mois.
C’est dans ce contexte qu’apparaît la perspective d’organiser le Mondial de hockey sur glace. A peine en a-t-on entendu parler en France, et pourtant : ce championnat du monde de hockey sur glace est au coeur de l’actualité biélorusse. Avec le football, le hockey sur glace est le sport-roi en Biélorussie. Lors d'une précédente édition organisée par Minsk en 2014, le tournoi avait rassemblé 640 000 spectateurs au total. Consciente de la vitrine politique que peut constituer l’organisation d’un tel évènement, l’opposition s’est emparée du sujet et n’a cessé d’alerter la communauté internationale.
Une partie des athlètes de haut niveau s’est d’ailleurs rangée du côté des opposants à la tenue de la compétition, et ce dès septembre 2020. Plus de 300 sportifs de haut niveau, dont plusieurs médaillés olympiques et membres d'équipes nationales, avaient dénoncé dans une lettre ouverte le trucage des votes dans l'élection présidentielle revendiquée par M. Loukachenko, et appelé à un nouveau vote. Les signataires, réclamant également la fin des violences policières et la libération de tous les prisonniers politiques, avaient promis qu'ils feraient preuve de solidarité si l'un d'entre eux devait faire face à des représailles, "allant jusqu'au refus éventuel de concourir pour l'équipe nationale".
Si les sportifs se positionnent aussi clairement, c’est qu’ils ont conscience de la manière dont Loukachenko utilise le sport comme une arme de propagande, d’après Lukas Aubin, chercheur spécialiste de l’impact géopolitique des politiques sportives dans le monde russe. "Si les championnats biélorusses étaient les seuls à se poursuivre en Europe au moment du confinement, ce n’est pas pour rien", estime-t-il. "Le régime de Loukachenko se servait du théâtre sportif pour montrer que la vie continuait en Biélorussie, coûte que coûte, qu’importe le virus. Il a pour habitude de se mettre en scène en train de pratiquer un sport, souvent le hockey d’ailleurs. Les grands organes dirigeants du sport sont souvent tenus par des proches voire des membres de la famille de Loukachenko."
Mais les éléments explosifs vont plus loin. Le 11 novembre dernier, Roman Bondarenko, un artiste de 31 ans, est tabassé à mort après avoir été arrêté alors qu’il tentait d’empêcher des hommes en civil de dégrader des ornements révolutionnaires dans son quartier. Quelques semaines plus tard, des médias d’investigation biélorusses démontrent que parmi les assaillants se trouvait... Dmitri Baskov, le président de la fédération de hockey biélorusse, entraîneur du fils du président Loukachenko. Dans les semaines qui suivent, aucune enquête criminelle n’est ouverte sur la mort de Roman Bondarenko, d'après Le Monde.
Poids géopolitique
La Biélorussie – alors future organisatrice du Mondial de hockey – devient, fin 2020, de plus en plus isolée sur la scène internationale. En plus des condamnations quasi-unanimes des chancelleries occidentales, le Comité international olympique suspend en décembre Alexandre Loukachenko de "toutes les manifestations et activités du CIO, y compris les Jeux olympiques", en raison de la "discrimination politique" frappant les athlètes du pays.
Vitrine politique pour de la propagande, conflits d’intérêts, collusion entre dirigeants sportifs locaux et pouvoir politique... Face à ces arguments, le président de la Fédération internationale René Fasel n’en démord pas. Il martèle son espoir "de promouvoir l'idée que le championnat du monde pourrait être utilisé comme un outil de réconciliation pour aider à calmer les problèmes sociopolitiques en Biélorussie et à trouver une voie positive".
Conscient de la pression des opposants politique voire de la communauté internationale, il demande même des comptes à Loukachenko lors de ses visites. Par exemple, il assure que le président lui a promis de présenter les éléments de l’enquête sur la mort de Roman Bondarenko. Pour Lukas Aubin, c’est là l’origine première de cette accolade chaleureuse avec Loukachenko. "D’après moi, il cherchait à dépolitiser cet évènement... mais ça l’a au contraire rendu éminemment politique".
Un précédent historique
Dans la foulée de sa poignée de main, le constructeur tchèque Skoda a fait savoir samedi sur Twitter qu'il ne "parrainera[it] pas les championnats du monde 2021 si le Biélorussie [était] confirmé comme pays co-organisateur". La firme allemande Liqui Moly s'était désistée le lendemain et le groupe suisse Tissot se disait lundi "préoccupé par les droits de l'homme".
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Si, dans son communiqué, la Fédération internationale met en avant "des conditions sécuritaires insuffisantes" pour les athlètes, la dimension géopolitique de cette décision ne fait aucun doute, d’après Lukas Aubin. "C’est une victoire claire pour le camp occidental", estime-t-il. "Qu’une compétition sportive de cette envergure soit annulée ou délocalisée pour des raisons politiques n’était jamais arrivé, hormis pour les guerres mondiales." Cela pourrait-il avoir des répercussions au-delà du mondial de hockey ? "Clairement, c’est un précédent historique", affirme-t-il. "Il y aura dorénavant une jurisprudence Biélorussie. On peut imaginer la situation pourrait se reproduire dans d’autres compétitions sportives organisées dans des régimes répressifs".
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