Cyclisme : trois incohérences dans la décision de l'UCI de blanchir Chris Froome
L'Union cycliste internationale a annoncé, lundi, avoir mis fin à la procédure pour dopage contre Chris Froome. Elle avait été déclenchée par un contrôle anormal subi par le coureur britannique en septembre 2017, lors du Tour d'Espagne.
"Je suis reconnaissant et soulagé de clore ce chapitre", écrit Chris Froome sur Twitter, quelques minutes après que l'Union cycliste internationale (UCI) a annoncé mettre fin à la procédure enclenchée à son encontre pour dopage. En septembre 2017, le coureur britannique avait fait l'objet d'un contrôle anti-dopage anormal sur la Vuelta (le Tour d'Espagne), qui avait laissé apparaître un taux élevé de salbutamol dans ses urines.
Sur la base des conclusions de l'Agence mondiale antidopage (AMA), qui a admis le 28 juin que le taux excessif de ce produit utilisé pour traiter l'asthme ne constituait pas un contrôle positif, l'UCI a décidé de blanchir le coureur. La nouvelle est tombée cinq jours avant le départ du Tour de France, alors même que ses organisateurs voulaient interdire au coureur de se présenter sur la ligne de départ. Sur quoi s'est basée l'UCI pour prendre cette décision ? Pourquoi arrive-t-elle maintenant ? Eléments de réponse.
Un contrôle positif... qui ne prouve pas que Froome a voulu tricher
Remontons le fil de l'affaire. En septembre 2017, le maillot amarillo de la Vuelta, Chris Froome, est contrôlé à un taux anormal de salbutamol, un médicament commercialisé sous le nom de Ventoline et utilisé dans le traitement de l'asthme. Comme beaucoup de coureurs du peloton, le Britannique souffre de cette infection, explique L'Equipe. Le coureur avait reçu l'autorisation d'utiliser ce produit grâce à une AUT (autorisation à usage thérapeutique) en 2013 et 2014.
Dans le cadre du sport, cette substance peut-être utilisée comme "stimulant et anabolisant", précise Jean-Pierre de Mondenard, médecin du Tour de France entre 1973 et 1975 à franceinfo. Le salbutamol permet de mieux respirer et atténue la douleur liée à l'effort. Néanmoins, son usage chez les sportifs non asthmatiques présente peu d'intérêt car il améliore peu la performance, nuance le site Cyclist (en anglais).
Le fameux test d'urine de Chris Froome, sur lequel s'est appuyé l'UCI pour rendre sa décision, montre un usage excessif de salbutamol par rapport aux doses autorisées par l'agence mondiale antidopage (AMA) : 2 000 nanogrammes par millilitre d'urine contre 1 000 nanogrammes autorisés, précise Le Monde. Une analyse insuffisante pour Jean-Pierre de Mondenard, qui assure qu'elle ne permet pas de dire si le coureur a dépassé le seuil autorisé, et donc s'il a triché.
L'analyse ne prend pas en compte les conditions extraordinaires du Tour d'Espagne. Dans les côtes, les efforts sont si intenses qu'ils peuvent faire monter la température du corps jusqu'à 40°C, faire perdre une partie du liquide par la peau. On a une concentration urinaire exceptionnelle qui modifie la composition de l'urine.
Jean-Pierre de Mondenardà franceinfo
Or, "le seuil est le même pour un coureur cycliste, avec des dépenses énergétiques impossibles à trouver dans d'autres sports, et quelqu'un qui fait du curling", souligne le praticien. Après plus de dix mois de procédure, l'AMA a finalement reconnu que certains doutes scientifiques perdurent : la concentration exceptionnellement élevée en salbutamol ne prouve pas que Chris Froome avait l'intention de tricher, analyse L'Equipe. "L'AMA a informé l'UCI qu'elle acceptait, sur la base de son analyse des faits spécifiques de l'affaire, que les résultats de l'échantillon de Chris Froome ne constituent pas un résultat analytique anormal", explique ainsi l'UCI dans son communiqué (en anglais).
La décision de l'UCI est tombée cinq jours avant le départ du Tour de France
"Il est vraiment dommage que la décision arrive si tard, surtout au lendemain de la fuite dans les médias de notre récusation", a réagi le directeur du Tour de France Christian Prudhomme, lundi, sur franceinfo. La veille, Le Monde révélait qu'Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire de la course, avait interdit au coureur de se présenter au départ du fait de cette procédure pour dopage. ASO s'appuyait sur l'article 28 de son règlement qui permet d'exclure de l'épreuve tout coureur "dont la présence serait de nature à porter atteinte à l'image ou à la réputation d'ASO ou de l'épreuve".
Cette décision tardive est en partie le résultat de la contre-attaque menée par l'équipe Sky dès l'annonce du contrôle suspect de son coureur vedette. L'équipe aurait tout fait pour que la décision soit prise après le Tour de France et permette ainsi au coureur d'être sur la ligne de départ, explique Le Monde. Sky a notamment dépensé 7 millions d'euros pour assurer la défense de son poulain, détaille le site Cyclismactu.
Aidé du cabinet d'avocats de Mike Morgan, élu avocat de l'année 2017 en droit du sport, l'équipe Sky a déclenché une série de contre-expertises pour prouver que Chris Froome n'avait pas dépassé le seuil de salbutamol autorisé. Le cabinet a réclamé de l’UCI les échantillons prélevés sur le coureur afin de reconstituer l’évolution du taux de salbutamol dans son organisme et prouver sa bonne foi, précise Le Monde. L'équipe Sky a fait appel à des experts pour prouver que les reins du coureur "dysfonctionnaient" pendant la Vuelta, qu'il n'éliminait pas la substance mais la stockait, reprend le site Cycling today.
Ce retard délibéré de la part de l'équipe Sky est toutefois réfuté par l'UCI. "Je n’ai pas d’élément qui me permette de dire qu’il retarde volontairement les choses. Il essaye de défendre un certain nombre d’arguments, c’est son droit, nuance le président de l’UCI, David Lappartient, dans Le Monde. Je ne vois pas ce qu’il gagnerait à attendre, car si c’est pour courir et être sanctionné après, quel intérêt ?"
Froome n'a pas été jugé comme les autres coureurs
A analyses égales, traitement inégal ? Pour certains observateurs, la décision de blanchir Chris Froome est directement liée à son prestigieux palmarès et ses moyens financiers : quadruple vainqueur du Tour de France, vainqueur du Tour d'Espagne en 2017 et du Tour d'Italie en 2018. En 2014, l'Italien Diego Ulissi, un bon coureur, mais dont le palmarès est à des années-lumière du Britannique, est contrôlé avec un taux de salbutamol de 1920 ng/ml lors du Giro, un taux très proche de celui de Froome, décrit L'Equipe. Le coureur est immédiatement suspendu neuf mois par la commission de discipline de la Fédération suisse, pays qui lui avait délivré sa licence.
En 2007, le sprinteur italien de la Milram Alessandro Petacchi est contrôlé avec un taux de concentration de 1352 ng/ml lors du Giro. Dans un premier temps, la Fédération italienne blanchit le coureur, mais l'AMA fait appel devant le TAS (tribunal arbitral du sport) qui inflige une suspension d'un an au coureur.
Une situation jugée asymétrique par Le Monde : "Les ressources financières des institutions, qu’il s’agisse des fédérations internationales, des agences nationales antidopage ou de l’AMA, sont limitées. Le budget de l’équipe Sky est légèrement supérieur à celui de l’AMA, censée superviser l’ensemble de la lutte antidopage dans le monde, écrit le quotidien. En dépit de l'honnêteté des arbitres et experts, s'installe dès lors une justice des puissants et des misérables."
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