Tour de France 2019 : Egan Bernal, le triomphe modeste d'un prodige annoncé
Il tient plus de Rafael Nadal que de Freddy Adu. Egan Bernal a fait son entrée dans la cour des grands, ou plutôt dans celle des cracks devenus champions. A seulement 22 ans et dès sa deuxième participation, le grimpeur du Team Ineos a remporté le Tour de France 2019. Phénomène de précocité, il devient le plus jeune vainqueur de la Grande Boucle depuis 110 ans et le plus jeune maillot jaune sur le podium des Champs-Elysées depuis son instauration en 1919.
Bernal a surtout offert à la Colombie son premier sacre sur la plus grande épreuve cycliste du monde, après les triomphes de Nairo Quintana sur le Giro (2014) et la Vuelta (2016). "Tout arrive tellement vite que je ne me rends même pas compte", a-t-il réagi à Val Thorens, lieu de sa consécration officieuse. Ça va trop vite. Passé par le VTT, le natif de Zipaquirá a débuté le cyclisme sur route sur le tard, d’abord chez Androni-Giocattolli, puis chez la Sky en 2018.
La prophétie se réalise plus tôt que prévu
Même au sein de la machine britannique, indétrônable sur le Tour de France, on ne s’attendait pas à ce que Bernal s’empare du jaune si tôt. L'an dernier, il avait joué le rôle d'équipier de luxe en montagne après plusieurs gamelles sur les pavés du Nord. Sa surpuissance en altitude était déjà évidente. Dans le Col du Portet, il s'était volontairement laissé décrocher pour permettre à Chris Froome de limiter la casse.
A son arrivée chez la Sky, l’entraîneur Xabier Artetxe avait mis en place un plan étalé sur trois saisons pour préparer au mieux sa transformation en leader. La deuxième aura été la bonne. Alors que le Colombien devait initialement se concentrer sur le Giro. Une chute à l’entraînement avait chamboulé son programme. "Il s'est cassé la clavicule un samedi, le dimanche il était déjà opéré. Huit jours plus tard, il pédalait déjà", a raconté Artetxe à ABC.
"La question n'a jamais été de savoir s'il porterait un jour le maillot jaune, mais à quel moment cela arriverait", Chris Froome.
Patient, le coureur de 22 ans ne s’attendait pas, lui-même, ne serait-ce qu’à faire mieux que son coéquipier Geraint Thomas, le tenant du titre. A Tignes et à Val Thorens, Bernal a clairement paru dépassé par les événements. Loin des explosions rageuses d’un Julian Alaphilippe ou de la faim d’un Chris Froome dans l’ombre de Bradley Wiggins, le Colombien est du genre à se laisser happer par une joie submergeante.
A Val Thorens, on l’a vu couper la ligne avec un sourire presque gêné après une accolade amicale avec Geraint Thomas. A Tignes, il est apparu très ému dans les bras de son père, puis de sa compagne, avant de lâcher quelques larmes de bonheur en interview. A sa place, d’autres auraient pesté après l’interruption de la course et la décision de ne pas décerner de victoire d’étape (dans laquelle il s’envolait vers la victoire). Egan Bernal a le triomphe doux et modeste.
Une joie douce et submergeante
Engagé sur le Tour de Colombie en début de saison, il avait fait preuve d’une grande prudence au micro de Sport Reporter. "Le Tour de France est si grand que ce serait irrespectueux de dire que je vais le gagner", déclarait-il juste avant de remporter Paris-Nice. Le coureur d’Ineos est discret, mais c'est un homme de défi. Bernal expliquait qu’il serait prêt à gagner le Tour le jour où il réussirait à gravir en moins d’une heure la montée menant à Pacho, la ville de sa mère, perchée à 3600 mètres d’altitude.
Après plusieurs années de tentatives, le Colombien est passé sous la barre fatidique au printemps dernier. En préparation pour Paris-Nice, il avait bouclé le tout en 56 minutes. L’ascension du prodige a beau être brutale, abrupte, elle n’en est pas moins logique. Vainqueur du Tour de l'Avenir en 2017, Egan Bernal a remporté le Tour de Californie en 2018, avant de revenir encore plus fort en 2019 avec deux sacres sur Paris-Nice et le Tour de Suisse.
Il est arrivé sur le Tour de France avec déjà 12 victoires professionnelles à son actif, c'est-à-dire plus que tous ses concurrents directs réunis au même âge (Pinot 6, Alaphilippe 1, aucune pour Thomas, Kruijswijk et Buchmann). Christian Prudhomme, le directeur de la Grande Boucle, en faisait un grand favori au départ à Bruxelles. "Bernal est un surdoué qui ne demande qu’à éclore", s'était-il enflammé.
Avec un CV qui pèse déjà très lourd, le prodige estampillé "Sky" s'inscrit dans les traces de Nairo Quintana et Rigoberto Uran. Avec Miguel Angel Lopez et Daniel Felipe Martinez, il forme la nouvelle génération dorée du cyclisme colombien, promise aux cimes. Après les deux succès de Quintana sur le Giro (2014) et la Vuelta (2016) et les podiums de Lopez et Uran en grand tour, la Colombie s'était rapprochée du Graal.
Un sacre qui en appelle d'autres
C'est finalement Bernal qui l'a décroché, sans véritable surprise. "La question n'a jamais été de savoir s'il porterait un jour le maillot jaune, mais à quel moment cela arriverait", a réagi Chris Froome vendredi, idole et coéquipier du Colombien chez Ineos. Tous ceux qui ont croisé sa route s'accorde sur ce point. Gianni Savio, le patron d'Androni-Giocattolli, sa première équipe professionnelle en Europe, a martelé qu'il serait "le champion du futur".
En 2015, quelques jours après avoir recruté la pépite colombienne, il l'avait envoyé faire des tests à Milan auprès de Michele Bartoli, lequel est resté bouche bée face aux résultats. "Jusqu'à présent j'ai vu passer beaucoup d'athlètes. Aucun d'entre eux n'arrive à son niveau", avait-il raconté à Marca. La VO2max (quantité maximale d’oxygène consommée lors d'un effort) de Bernal était de 88.8 millilitres par kilo à seulement 19 ans. En comparaison, celle de Chris Froome, exceptionnelle, était de 88.2 lorsqu'il a gagné le Tour en 2015.
Ayant grandi à 2650 mètres d'altitude, Bernal a dans ses gênes l'ADN du grimpeur racé. Ajoutez à cela des avantages physiologiques indéniables. Jenaro Lequizamo, expert en biomécanique, les listait pour El Colombiano : "Il avait déjà la carrure d'un coureur pro à 17 ans, mince mais pas squelettique, sans graisse, avec un tronc particulièrement court et de longues jambes, à la longueur idéale pour le contre-la-montre".
Ces prédispositions physiques sont encore perfectibles. A 22 ans, le natif de Zipaquirá aura bien des années pour emmagasiner de l'expérience au sein d'une structure habituée à mater la concurrence (il est sous contrat avec Ineos jusqu'en 2023). Et si c'était déjà le début d'une nouvelle ère ?
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.