En plein essor depuis le déconfinement, quel avenir pour le vélo dans les villes françaises ?
A cause du Covid-19, il n’y aura pas de Tour de France en juillet. Les mordus de la Grande Boucle devront patienter jusque fin août pour voir le peloton déambuler dans l’Hexagone. D’ici là, ce sont d’autres vélos qui prennent la route. “Depuis le déconfinement, nous sommes en train de franchir une vraie étape dans la culture vélo en France. Le regard des Français change, et le vélo devient un mode de transport à part entière”, s’enthousiasme Elisabeth Borne, ministre de la Transition écologie et solidaire, également en charge des Transports. Stéphane Baly, candidat écologiste à la mairie de Lille, s’en réjouit : “Il n’y a pas un élément génétique qui ferait qu’en France ça ne marche pas, tout comme les Néerlandais ne sont pas nés avec une bicyclette dans les mains, c’est le résultat d’une volonté politique. Nos villes sont engorgées, étouffent en espace public et qualité de l’air. Le vélo peut redonner de l’air”.
Le vélo, vent dans le dos
Il aura donc fallu une longue grève touchant les transports suivie d’une pandémie pour que la France se remette en selle, au sens propre. Certes, toutes les "coronapistes" mises en place n’ont pas rencontré le même succès, mais force est de constater que les cyclistes sont de plus en plus nombreux à travers le pays. “Plus que ces coronapistes, le but c’est de penser des aménagements à long terme”, rappelle Fabien Masson, directeur de CADR 67, une association strasbourgeoise qui fait la promotion du vélo comme moyen de déplacement depuis 1975. Cela tombe bien : la politique gouvernementale semble enfin aller dans ce sens. “Je pense que la France est prête à devenir une véritable nation du vélo, car tous les ingrédients sont réunis. Les acteurs du milieu du vélo sont particulièrement mobilisés et volontaires sur le sujet : Etat et collectivités, fédérations professionnelles, associations, et bien sûr usagers”, nous explique la ministre, qui assure que le vélo va “s’installer durablement dans le paysage des mobilités en France et dans le quotidien des Français”.
"En France, on a une lecture du vélo qui est celle du Tour de France, mais ce n’est pas du tout la pratique du quotidien. La moitié des déplacements quotidien font moins de 3 kilomètres."
Pour surfer sur cet élan, l’Etat a lancé l’opération “coup de pouce réparation” pour encourager les usagers à faire réparer leur vélo. “Plus de 150 000 vélos ont été réparés depuis son lancement il y a un mois”, assure la ministre. “C’est une bonne idée, mais beaucoup de réparateurs n’arrivent pas à l’appliquer, notamment à cause de la facturation”, nuance de son côté Fabien Masson. L’enveloppe budgétaire allouée au vélo a également été triplée par le gouvernement, passant ainsi à 60 millions d’euros. L’objectif : réparer 1 000 000 de montures d’ici la fin de l’année.
Avoir en vélo en bon état, c’est un bon début, mais encore faut-il des installations sécurisées pour circuler. Et là, le chantier est colossal. “On a trop d’aménagements qui s’arrêtent sans explication. Des pistes en cul-de-sac, qui s'arrêtent au milieu de nulle part, cela n’existe qu’en vélo”, s’étonne Stéphane Baly. “Pour la plupart des villes, le vélo reste un moyen de déplacement de loisir. Des municipalités ont du mal à comprendre que ça peut remplacer la voiture ou les transports en commun”, regrette Fabien Masson. Stéphane Baly enchaîne : “En France, on a une lecture du vélo qui est celle du Tour de France, mais ce n’est pas du tout la pratique du quotidien. La moitié des déplacements quotidien font moins de 3 kilomètres”.
Pays-Bas, Danemark, Belgique... : des voisins inspirants
Comment expliquer alors que le vélo soit si secondaire dans le quotidien des Français, comparés aux Néerlandais, Belges ou Allemands ? “Le vélo est sous-estimé et sous-utilisé au niveau national parce que les aménagements ne sont pas assez nombreux. Or, le premier frein à la pratique du vélo, c’est l'insécurité : l’usager doit se sentir en toute sécurité au milieu des piétons, voitures et camions”, analyse Fabien Masson. “On a tout le potentiel, il n’y a rien qui empêche les villes françaises de développer le vélo. Ou plutôt le redévelopper, car au XXe siècle tout le monde roulait en vélo”, rappelle de son côté Stéphane Baly. Justement, la ministre Elisabeth Borne nous assure vouloir en faire son nouveau cheval de bataille : “Je me bats pour favoriser ce changement depuis des années. Quand on sait que 60% des déplacements en France font moins de cinq kilomètres, ne pas utiliser un vélo lorsqu’on peut le faire est absurde”, au point même de se mettre en selle sur les réseaux sociaux.
Pour y parvenir, la France n’a qu’à regarder ce qui se fait chez ses voisins. Référence en la matière, les Pays-Bas sont le modèle à suivre : “On parle souvent du Danemark et Copenhague, la ville cyclable par excellence. Mais les Pays-bas, c’est LE pays cyclable”, affirme Stéphane Baly, qui précise : “Leur réseau inter-urbain est très développé, les villes sont toutes reliées par des pistes, c’est ça le but”. Pour Fabien Masson, les exemples néerlandais et danois sont d’autant plus encourageants qu’ils prouvent que le climat n’est pas un frein : “La météo fait partie des nombreuses fausses excuses en France contre le vélo. Mais au Danemark ou aux Pays-Bas, il ne doit pas faire bien chaud l’hiver sur un vélo. Pourtant, ils sont très nombreux… Tout ça grâce aux aménagements”. Stéphane Baly conclut : “Le vélo, c’est un choix politique qui passe par des aménagements sécurisés. En Espagne, Séville l’a fait aussi. Dès qu’on aménage, la pratique du vélo explose”.
"Juste de l’autre côté de la frontière, à Anvers, Gand, Bruges : le vélo est roi. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête à la frontière."
Ce choix politique, Stéphane Baly entend clairement le faire s’il s’empare du beffroi lillois : “Juste de l’autre côté de la frontière, à Anvers, Gand, Bruges : le vélo est roi. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête à la frontière. Et en France, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble ou Nantes ont aussi prouvé que ça marche”. Justement, sur les bords du Rhin, Fabien Masson explique comment Strasbourg est devenue un exemple : “Notre association y travaille depuis 45 ans alors que des villes ont commencé à y penser il y a 15-20 ans. Les différentes municipalités ont aussi toujours eu un plan vélo pour la ville. Et puis, Strasbourg est une ville plate”.
Les moyens de ces ambitions ?
L’envie et les exemples, la France du vélo les a. Il faut maintenant agir. Des associations au niveau local à l’État au niveau national, c’est tout une dynamique qui doit s’enclencher selon Fabien Masson : “Il ne faut pas râler pour râler, le but est d’être constructif. Il faut réaliser des actions cohérentes sur la promotion du vélo, faire des interventions dans des écoles et entreprises pour tirer tout le monde dans le même sens”. Ainsi, par son challenge “Au boulot à vélo”, l’association CADR 67 a mis 13 000 personnes issues de 400 entreprises au vélo depuis 11 ans. “Nous avons accéléré la mise en œuvre du 'Forfait mobilité durables' qui était prévu dans la Loi d’orientation des mobilités. C’est une petite révolution pour les employeurs et les salariés : il permet aux employeurs privés de prendre en charge les déplacements domicile-travail en vélo, jusqu’à 400 euros par an et par salarié”, nous ajoute Elisabeth Borne.
En dehors des entreprises, la ministre entend aussi “rassurer les utilisateurs, en mettant en place des formations gratuites pour apprendre à circuler en sécurité. Et installer la culture vélo dans notre patrimoine”, notamment via une grande fête nationale pour le vélo en mai. Ce travail de fond doit être fait en parallèle du développement des infrastructures, clé de voûte de l’essor du vélo dans les villes françaises. “J’ai souhaité accompagner les collectivités locales en prenant en charge jusqu’à 60% des coûts d’installation des places de stationnement temporaires pour vélo, ou également dans la mise en place de pistes cyclables temporaires, en leur apportant des soutiens techniques et financiers notamment par un fonds de dotation”, détaille Elisabeth Borne.
A ces mesures et ce travail de fond, il faut aussi ajouter de vrais projets, concrets. A Lille par exemple, Stéphane Baly a imaginé “un réseau express vélo sécurisé, constitué de pistes bi-directionnelles à Lille et au-delà, parce que cette politique se fait à l’échelle d’une agglomération”. Conscient du coût d’un tel chantier, le candidat écologiste précise : "Si on intègre les externalités positives du vélo face aux externalités négatives de la voiture : l’activité physique, les bénéfices pour les usagers… Il n’y a pas photo. Pour développer le vélo, il faut prendre des mètres carrés à la voiture donc du courage politique”. Aux yeux de Stéphane Baly, il s'agit aussi d’un enjeu de santé publique : “C’est tout un écosystème à dessiner, par exemple aussi à destination des professionnels qui pourraient utiliser un vélo comme support professionnel”.
Dernier argument pour convaincre les sceptiques de se mettre en selle : le vélo à assistance électrique (VAE). “C’est un bon moyen de faire venir au vélo de nouveaux usagers. Pour soutenir ce mode de déplacement, nous avons choisi de simplifier le système de bonus à l’achat de l’État pour les vélos à assistance électrique”, nous rappelle Elisabeth Borne. Concrètement, l’Etat doublera toute aide d’une collectivité pour l’achat d’un vélo à assistance électrique jusqu’à 200€ d’aide supplémentaire. “Il ne faut pas oublier qu’un VAE roule plus vite, donc il faut faire plus attention”, prévient Fabien Masson. A Lille, Stéphane Baly conclut : “C’est un vrai enjeu sur le péri-urbain. L'électro-mobilité durable d’avenir, ce n’est pas la voiture électrique, c’est le vélo électrique”. D’ici là, tous espèrent déjà que l’élan favorable au vélo perdurera, et qu’il ne déraille pas en si bon chemin.
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