Éric Piolle, maire EELV de Grenoble : "On peut critiquer certains aspects du Tour de France et y être attaché"
La dernière fois que le Tour de France était venu à Grenoble, c'était en 2014, année de votre première élection. Pourquoi avoir attendu si longtemps afin de l’accueillir à nouveau ?
Éric Piolle : "C’est la décision du Tour. Il passe à peu près une fois tous les cinq-six ans à Grenoble, depuis une quarantaine d’années. On s’était portés candidat en 2019 parce que c’étaient les cent ans du maillot jaune et que le premier maillot jaune avait été remis à Eugène Christophe à Grenoble (1919). Le Tour, c’est aussi une histoire qui traverse les âges, donc ça avait du sens qu’il revienne cent ans après, avec une cérémonie. Finalement, il revient cette année, c’est comme ça."
À l’époque, en 2014, vous aviez affiché des réticences à accueillir le Tour de France.
ÉP : "Avant, c'était exclusivement la ville de Grenoble qui finançait la venue du Tour et comme c’est un événement qui rayonne sur l’ensemble du territoire, je voulais que ce soit un co-financement de l’ensemble du territoire. Puis celui qui paie monte sur le podium, c’est aussi un affichage politique, et je m’en fous d’être seul à monter sur le podium. Le deuxième élément, ce sont les enjeux dont on parle tout le temps : le développement du vélo féminin, la place et l’image de la femme dans le Tour, la gestion des déchets et des gaz à effet de serre."
« Il faut que le Tour bouge »
Vous comprenez les critiques de Grégory Doucet, le maire EELV de Lyon, qui considère le Tour de France comme "machiste et polluant" ?
ÉP : "Il dit que le Tour de France doit évoluer, notamment sur la question de femme. D’ailleurs, la pression a été telle que ce ne sont plus uniquement des hôtesses qui remettent des maillots sur le podium, dès cette année. Il parle également de la question environnementale et de la gestion des déchets, de vraies questions. Il y a l’impact environnemental de la caravane, qui est en train d’évoluer dans la motorisation des véhicules, mais également la façon d’accueillir les spectateurs dans cet événement populaire de masse. Là aussi, il faut que le Tour bouge."
Après ses propos, vous avez estimé que le Tour de France avait trois défis : la dimension du sport féminin et la place de la femme, la gestion des déchets ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. À Grenoble, est-ce que vous avez essayé de relever ces trois défis, à votre échelle ?
ÉP : "Nous sommes très engagés dans le sport féminin, une des priorités de notre mandat. Nous avons notamment créé la première équipe municipale de foot féminin en France, on a accueilli des grands événements comme la Coupe du monde féminine de football puis nous avons eu les deux plus grosses audiences du monde pour des matches de rugby féminins : France-Angleterre et France-Nouvelle Zélande. Après, je ne suis pas à la manette pour créer un Tour de France féminin mais Christian Prudhomme a annoncé son retour pour 2022. C’est l’occasion de retrouver des pratiques sportives qui soient plus tournées vers le jeu, à l’instar du football et du rugby, et moins stéréotypées que ce que l’on peut connaître avec l’évolution ultra professionnelle du sport masculin."
À l’avenir, vous sentez que le Tour est capable de relever ces défis à l’échelle nationale ?
ÉP : "Oui mais la difficulté qu’a le Tour pour évoluer c’est qu’il tourne. Les villes qui l’accueillent changent presque tous les ans donc la pression sur les organisateurs est moins forte. Ce serait bien que des associations d’élus, la Commission Sport de France urbaine ou l’Association des maires de France entrent directement en dialogue et échangent en continu avec les organisateurs du Tour plutôt que chaque collectivité, isolée."
« Ce n’est pas parce qu’on critique certains aspects du Tour qu’on n’y est pas attaché »
Accueillir le Tour de France a des retombées positives en terme d’image, notamment grâce à la retransmission télévisée. Paradoxalement, vous ne craignez pas qu’accueillir le Tour soit négatif, pour une ville dite écologique ?
ÉP : "Non, on l’a accueilli plusieurs fois par le passé et le Critérium du Dauphiné l’année dernière et si l’on regarde les résultats aux élections, ça n’a pas l’air de nous nuire (rire). Le Tour reste populaire. Ce n’est pas parce qu’on critique certains aspects et qu’on veut le faire évoluer qu’on n’y est pas attaché. Je suis un fan de vélo donc c’est différent, mais il y a beaucoup de gens qui ne s’intéressent pas au sport et qui sont attachés au Tour de France."
D’une « séquence extraordinaire » (13, 14 et 15 juillet) à l’indifférence (15, 16, 17 septembre)
Sentez-vous un engouement des habitants de la métropole, à l’approche de l’étape ?
ÉP : "Cette année honnêtement, non. D’habitude il y a deux dimensions quand on accueille le Tour : la retransmission télévisée qui montre nos paysages de montagne avec des images fantastiques donc ça attire ; et les spectateurs car il y a une caravane colossale et tellement de monde que ça augmente le taux de fréquentation des hôtels et des restaurants. Cette année, il n’y aura pas tous les étrangers qui viennent assister aux étapes de montagne. Puis c’est en semaine. Normalement, l’arrivée à Villard-de-Lans devait avoir lieu le 14 juillet avec une séquence extraordinaire : la journée de repos le 13, l’arrivée à Villard le 14 puis le feu d’artifice, le défilé, etc., puis le lendemain re-départ. Là c’est à huis clos et les animations sont interdites donc c’est moins fun."
En dehors du Tour, à Grenoble, qu’est-ce que vous faites pour favoriser le transport vert, notamment le vélo ?
ÉP : "On est devenus cette année la première ville en terme de pratique de vélo de France, qui a complètement explosé. À la fois parce que nous avons introduit une culture du vélo pour toutes et tous, construit des lignes de vélo sécurisées, pensé l’aménagement des carrefours, des parkings sécurisés, etc. Cette année, on aura certainement atteint notre objectif de tripler la part du vélo dans les déplacements. Ce sont des transports domicile-travail mais aussi du déplacement de loisirs, c’est féminin, c’est tous milieux sociaux. Pour cela, on a triplé les investissements dans les aménagements cyclables."
Grenoble est une ville entourée de quatre massifs (le Vercors, le Taillefer, la chaîne de Belledonne et la Chartreuse). Vous subissez davantage les conséquences de la pollution ?
ÉP : "On est le 11e bassin urbain en terme de taille et le 10e en terme de pollution de l’air donc on est à peu près à notre place. Mais notre chance, c’est que l’on voit notre pollution puisque l’on monte souvent dans les montagnes depuis lesquelles on la perçoit. Les gens s’en rendent compte et s’en préoccupent. Or, un des problèmes de la pollution de l’air, c’est que c’est impalpable donc on ne s’en rend pas compte. La pollution a déjà baissé en six ans de 30% d’après les chiffres d’Atmo Auvergne-Rhône-Alpes (agence de contrôle de la qualité l’air), et on se fixe comme objectif d’atteindre les normes de l’OMS qui, d’après les études de l’Inserm, donneraient à chaque habitant trois mois et demi de plus d’espérance de vie. Donc c’est un enjeu majeur."
« Je suis un fan d’histoire du sport donc j’ai tendance à apprendre les palmarès »
Quittons votre casquette de maire. Vous avez répété être un grand fan de vélo. Quel est votre rapport au cyclisme et au Tour de France ?
ÉP : "Le Tour, je le regardais à la télé quand j’étais petit. Après, comme je suis pyrénéen, j’allais refaire des bouts d’étape sur des petits cols autour de mon village, Arette, au pied du col de la Pierre Saint Martin. Donc c’est un rapport assez intime. Le premier Tour dont je me rappelle, c'est la victoire de Laurent Fignon (1983). Je suis un fan d’histoire du sport donc j’ai tendance à apprendre les palmarès (rire). Puis quand je reviens chez moi, à Arette, je monte le col de la Pierre Saint-Martin, hors catégorie, où s’était imposé Froome (en 2015). Dans ma jeunesse, j’ai fait la traversée de la Pologne à vélo et un bout d’Italie, un Florence-Naples. Ça reste une pratique sportive réduite vu mon emploi du temps mais je fais du vélo d’appartement tous les matins en regardant des séries et je ne me déplace qu’à vélo."
Son premier souvenir du Tour, un coureur qui "se mange une rambarde"
Vous avez déjà confié suivre le Tour de France depuis vos 9 ans, en 1982. Quels souvenirs d’enfance vous gardez de la Grande Boucle ?
ÉP : "Le premier souvenir qui m’a marqué, c’est un des frères Simon (Pascal), qui portait le maillot jaune et qui se mange une rambarde dans le premier Tour que gagne Laurent Fignon, en 1983. Je me rappelle évidemment du Tour perdu pour huit secondes par Fignon en 1989 face à Greg Lemond sur le contre-la-montre des Champs-Élysées. J’aimais bien les montagnards, Stephen Roche, Pedro Delgado, etc. L’arrivée des gros rouleurs comme Miguel Indurain a été un peu l’aseptisation du vélo puis après, il n’y a que des dopés qui ont gagné : 1996 Bjarne Riis, 1997 Jan Ulrich, 1998 Marco Pantani et ensuite c’est Armstrong donc on n’arrive plus à se rappeler du palmarès (rire). Ce qui est curieux dans l’histoire du vélo, c’est que je suis arrivé à l’époque de Fignon, je n’avais pas la culture Bernard Hinault. Quand il est revenu, j’ai eu l’impression de voir un dinosaure, qu’il avait 72 ans et qu’il se remettait au vélo (rire)."
« Vu la situation actuelle, nos espoirs pour les Français ont changé »
Est-ce que vous pouvez nous parler de cette 17e étape, entre Grenoble et Méribel ?
ÉP : "Nous sommes heureux parce qu’il y a eu les étapes les plus mythiques du Tour de France dans les Alpes. C’est souvent là que se fait la décision donc on est toujours attentifs même si, vu la situation actuelle, nos espoirs pour les Français ont changé (rire)."
Il y a deux ascensions de cols hors catégorie, le col de la Madeleine puis le col de la Loze. Vous vous attendez à une grande bataille entre les favoris ?
ÉP : "Ce qui est intéressant, c’est qu’on se retrouve avec une recomposition dans les favoris avec la défaillance d’Egan Bernal. Quand on est fan de vélo, on espère toujours vivre une grande étape, qu’un des favoris qui avait explosé va partir de loin, réussir à enchaîner les deux ascensions et faire un trou de 10 minutes (rire). Ce qu’on aime moins, c’est le blindage d’une course dans laquelle il y a des explications dans les derniers kilomètres pour une poignée de seconde. C’est moins fun."
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