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Jet d'urine, blagues graveleuses et mains aux fesses... L'éprouvant Tour de France des hôtesses

Raphaël Godet le lundi 3 juillet 2017

Une hôtesse sur le Tour de France à Saint-Fargeau (Yonne) le 15 juillet 2009. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

C'est la course avant la course. Celle où on attrape des stylos, où on se chamaille pour un briquet, où on se démène pour un petit sachet de bonbons, où on s'étripe pour une casquette jaune, où on peut en venir aux mains pour un petit bout de saucisson… 

Depuis 1930, la caravane publicitaire ouvre toujours la route aux forçats du Tour de France, et fait le bonheur des spectateurs massés sur les bords des routes, en attendant le peloton. Et pour assurer le spectacle, les marques recrutent du personnel, essentiellement féminin. De jeunes hôtesses disponibles, souriantes, élégantes, payées environ 2000 euros net, dont on attend qu'elles soient professionnelles en toutes circonstances. Même quand le public va trop loin. Mains aux fesses, verre d'urine jeté sur la robe, moucherons collés sur les dents... Franceinfo les a interrogées pour qu'elles racontent les coulisses (moins glamour) de leur quotidien sur la Grande Boucle. 

"Les blagues de cul, c'est tous les jours"

Une hôtesse de la marque McCain sur une étape du Tour de France, le 10 juillet 2016 à Andorre (TIM DE WAELE / CORBIS / GETTY IMAGES)

Ce n'est pas le plus beau des véhicules de la caravane publicitaire, mais certainement l'un des plus attendus. "Quand ils nous voient arriver, les gens pensent qu'on va leur distribuer des frites gratos, s'amuse Charlotte, hôtesse pour la marque de surgelés McCain. Le problème, c'est qu'on n'a rien à manger, on n'a que des sacs cabas pour eux !" 

Déguisée en cornet de frites, la jeune femme de 27 ans se déhanche et harangue la foule pour mettre l'ambiance. Equipée d'un micro, elle balance un slogan facile à retenir : "Du soleil, des frites et de la bonne humeur... Toutes les occasions sont bonnes à partager !" Elle pense le répéter "au moins 500 fois par jour". 

Mais ce n'est pas grand-chose par rapport aux aléas de son Tour de France à elle. Souvent perchée sur le toit du char McCain, à trois ou quatre mètres de haut, Charlotte redoute davantage "les coups de frein à 60 km/h", "le vent en pleine face", "les piqûres d'abeilles""les moucherons entre les dents", et "les blagues de cul". Ça, c'est tous les jours. "Rien de très poétique, pardon par avance... Mais il y a la traditionnelle 'Je te mettrai bien ma saucisse' ou la classique 'Tu veux un peu de sauce ?' et l'inévitable 'Tu es toute nue sous ta frite ?'"

Dans la vraie vie, je descendrais mettre des baffes. Mais là, je représente une marque. Donc tu encaisses et tu souris.

Charlotte, hôtesse sur le Tour de France pour la marque McCain

Surtout, reprend-elle, "je ne comprends pas bien ce qu'il y a d'excitant dans le fait de voir une fille déguisée en cornet de frites...". 

Heureusement, du haut du char McCain, Charlotte voit tout, et essaie tant bien que mal d'anticiper ce genre de mésaventures. "Dès que je sens un danger, un groupe de lourds à l'horizon, je hurle dans le micro." 

"Quelqu'un m'a jeté un verre d'urine"

Une hôtesse distribue des cadeaux dans la caravane publicitaire du Tour de France, le 17 juillet 2016 à Bourg-en-Bresse (Ain) (MAXPPP)

C'était en 2014, dans la mythique montée de l'Alpe d'Huez. Le sommet approchait pour l'équipe Ricoré. Encore quelques boîtes à distribuer, et zou, direction le parking. C'était sans compter sur les supporters hollandais, connus pour "les petites surprises" qu'ils aiment préparer pour les hôtesses. Et cette fois, c'est pour Elodie. Agenouillée dans la voiture, la main dans les cartons d'objets à distribuer, elle aperçoit un jet arriver droit sur elle. De l'eau ? Non, bien pire ! "Quelqu'un m'a jeté un verre d'urine, ça dégoulinait, ça sentait fort, c'était horrible", se souvient-elle.

Normalement, dans pareil cas, les hôtesses ont interdiction de se plaindre – "on doit rester professionnelles jusqu'au bout". Reste que là, c'était trop. Elodie n'a pas pu retenir "un petit doigt d'honneur en direction de cet idiot". Elle a fini l'étape comme ça, "la tenue pleine de pisse", avant de pouvoir se changer.  

Solidaires entre elles, les hôtesses se passent le mot. "On sait qu'il y a des coins plus chauds que d'autres." La montagne, par exemple. "Tu croises des supporters qui sont au Pastis depuis 9 heures du matin, sous 35 °C..." En sept Tours de France, Elodie a aussi eu droit à des jets de vin, d'eau et de lessive. Sans oublier les insultes. "Radine", lorsque les gens trouvent qu'elle ne distribue pas assez de cadeaux. "Salope", quand les cadeaux ne leur conviennent pas. 

<span>J'ai même vu des mères de famille me traiter de "connasse"...</span>

Elodie, hôtesse sur le Tour de France pour la marque Ricoré

C'est comme si "le public avait laissé son cerveau à la maison", peste celle qui est chef de projet événementiel le reste de l'année. Elodie l'assure : il arrive qu'elle finisse des étapes avec des bleus ou des griffures. Et ce n'est pas toujours la faute de ces fichues branches d'arbres que l'on peut heurter en haut du camion, sur la route. "On m'arrache le bras, on me tire les cheveux... Du coup, pour limiter les risques, on nous conseille de ne plus porter de bijoux." Malgré tout, elle y retourne chaque année. Parce que le Tour, c'est aussi des rencontres plus agréables. "La très grande majorité des gens que l'on croise sont adorables", dit Elodie. 

"How many kisses do you want ?"

Des hôtesses accompagnent sur le podium le meilleur grimpeur du Tour de France à l'issue de la 13e étape de l'édition 2010, le 17 juillet à Revel (Haute-Garonne) (TIM DE WAELE / CORBIS SPORT / GETTY IMAGES)

Le podium. Une trentaine de secondes pendant lesquelles il ne faut pas se rater, sauf à vouloir finir sur YouTube. Surtout pas de faux pas, pas de talon qui dérape. Ophélie, elle, fait partie des hôtesses les plus en vues. La jeune femme de 29 ans apparaît en fin d'après-midi, après chaque étape, pour remettre le prix Antargaz de la combativité, qui récompense le coureur le plus méritant du jour. "Bien sûr qu'on pense à la gamelle, touche du bois Ophélie. Ce serait la honte devant des millions de téléspectateurs à travers le monde !" Alors avant d'entrer en scène, l'hôtesse répète les mouvements dans le camping-car qui lui sert de loge. "C'est petit, mais on se serre. Avec les autres hôtesses protocolaires, on s'entraide, on se prête du mascara, on vérifie que c'est bien mis, que ça ne coule pas..."

Comme pour le peloton, le podium est une question d'effort qu'il faut doser. "Naturel", le sourire pour les photographes. "Pas trop forts", les applaudissements. "Pas trop pliées", les jambes... Car l'apparence générale est primordiale.

Tu peux avoir un coup de moins bien, c'est humain. Mais ce n'est pas le problème des spectateurs, alors tu joues le jeu...&nbsp;

Ophélie, hôtesse sur le Tour de France pour la marque Antargaz

Et puis il y a les bises. Combien ? Deux, trois, quatre ? "C'est dealé avant, en coulisses, raconte Ophélie. On demande au coureur : 'how many kisses do you want ?'" Objectif : éviter d'éventuels "vents", jamais agréables en direct à la télévision... Après sa prestation, l'hôtesse a droit à un retour critique. Quelqu'un l'a observée depuis le public. "On me dit ce qui allait, et ce qui allait moins bien." Pour faire encore mieux le lendemain.

"On se lève souvent vers 5 heures du matin"

Une hôtesse de la marque Bic dans la caravane publicitaire du Tour de France, le 11 juillet 2014 à Nancy (Meurthe-et-Moselle) (EMILE POL / SIPA)

La nuit a été courte pour Anaïs. 5 heures du matin, c'est tôt, alors ça pique. Malheureusement, pas le temps de traîner sous la couette. "On se lève souvent à cette heure-là." Comme hier, et comme demain, la journée est encore (très) chargée. Il faut d'abord se rendre au village-départ, à plusieurs dizaines de kilomètres de l'hôtel. Puis il faudra rallier l'arrivée, 300 kilomètres plus loin. Cette année encore, "je vais faire beaucoup plus de bornes que les coureurs", a déjà calculé celle qui portera cet été les couleurs de Bostik, une société de fabrication de colles et d'adhésifs.

Si tu gères mal ton sommeil au début du Tour, tu ne tiens pas. Tu ne peux pas faire trois semaines en te couchant à pas d’heure.

Anaïs, hôtesse sur le Tour de France pour la marque Bostik

Pour faire face à la fatigue, les hôtesses ont leurs petits trucs. "On s’autorise des micro-siestes dans la voiture quand on a quelques minutes de battement... Puis on repart !" Et puis il y a aussi les arrêts pipis. Certains sponsors les limitent. Un ou deux par étape, pas plus. Pas chez Bostik. "Il faut juste prévenir avant" et "repérer un coin tranquille", rigole Anaïs.

Malgré la fatigue, il faut toujours être extrêmement vigilant, penser à jeter les objets publicitaires ni trop fort, ni "trop près de la voiture, pour éviter les accidents"... Car il arrive que des personnes sur le bord de la route "se chauffent pour des goodies". Alors l'entreprise met l'accent sur la sécurité. Des rappels sur le sujet sont régulièrement réalisés.

Depuis quelques années, l'organisateur du Tour de France procède même à des contrôles d'alcoolémie le matin, avant de prendre le volant. C'est tolérance zéro pour tout le monde. Anaïs a soufflé une fois, c'était bon. "En cas de problème, on peut vous exclure du Tour. Moi, je trouve ça normal..."

"Il faut s'y faire, aux mains aux fesses, aux caresses hasardeuses..."

Des hôtesses patientent en marge d'une étape du Tour de France entre Vaison-la-Romaine (Vaucluse) et Gap&nbsp;(Hautes-Alpes), le 16 juillet 2013 (TIM DE WAELE / CORBIS SPORT / GETTY IMAGES)

Comme toutes les hôtesses du Tour de France, Juliette a été recrutée par une agence spécialisée, qui collabore directement avec des sponsors ou des marques. Quand les hôtesses ne sont pas étudiantes, elles sont souvent à la recherche d'un emploi. Mais d'autres exercent cette activité toute l'année. "On postule, on envoie un CV et on attend le coup de fil", explique la jeune femme de 30 ans, étudiante en école d'ingénieur chimiste.

Dans leur réunion préparatoire, les agences préviennent que "ça peut parfois être chaud". Etre "chaud" ? "Oui, il y a des endroits où c'est plus compliqué..." Comme aux abords de la ligne d'arrivée, par exemple, car "tu es au milieu de la foule, toute seule". Au programme : "des mains aux fesses", "des caresses hasardeuses", "des bisous forcés", "des photos en pleine face"... "Il faut s'y faire", soupire Juliette.

<span>Les lourds, tu les vois venir. Il faut les éviter, faire comme s'ils n'existaient pas. Les ignorer.</span>

Juliette, hôtesse aux abords de la ligne d'arrivée des étapes du Tour de France

Il y a bien longtemps que la jeune femme ne compte plus le nombre de fois où des hommes dans le public lui ont demandé son numéro de téléphone. "Je dirais que ça arrive deux ou trois fois par semaine. Après, c'est fait de manière plus ou moins classe..." Certains vont jusqu'à lui glisser un bout de papier "avec leur 06 dessus". Ils ont toujours fini à la poubelle.

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