L'atypique Froome
Malgré la fatigue, sa voix est posée, le ton calme. Son français est maladroit, mais l’effort y est. A chaque fin d’étape, Christopher Froome se veut abordable, souriant et poli. C’est pour cela qu’on l’aime ; c’est aussi pour cela qu’on le déteste. Car cette décontraction dans l’attitude, le Britannique l’affiche également sur sa selle, aussi bien sur les routes plates où il développe une folle puissance que dans les pentes les plus abruptes où sa fréquence de pédalage surpasse les meilleurs grimpeurs.
Or, le public n’accorde que très peu de compassion à celui qui écrase la concurrence. Et le leader des Sky, qui pendant trois semaines a travaillé à écarter toute suspicion de dopage en répétant que « [certains] trichent, moi pas », n’échappe pas à la règle. Sifflé dans l’ascension vers Semnoz, samedi, « Froomey » fait partie de cette caste des champions qui n’ont pas seulement sublimé la Grande Boucle, mais l’ont aussi annihilé en la dominant de bout en bout, sans partage.
Il y a cinq ans encore, pourtant, Christopher Froome participait à ses premières courses européennes les yeux grands ouverts, émerveillé par les classiques qu’il ne pensait connaître qu’au travers d’un écran de télévision. Le coureur évolue alors dans la formation Barloworld, aux côtés du Sud-africain Darryl Impey. Ce dernier se souvient d’abord d’un énorme bosseur, qui « faisait un nombre incroyable de kilomètres » et « nous parlait toujours de devenir un coureur de Grand Tour ».
Il pirate le mail de la fédération kenyanne
Les kilomètres, Chris, cela le connaît, et ce depuis les premières années de sa vie au Kenya, d’où est originaire sa mère. « Je vivais sur mon vélo », explique le natif de Nairobi. « C’était mon premier moyen de transport, où que j’allais ». A 14 ans, lorsqu’il déménage en Afrique du Sud, à Johannesbourg, l’adolescent découvre le moutain-bike, avant de prendre goût à la route. Sous licence kenyane, l’espoir se spécialise dans les exercices de montagne. Il sera un grimpeur. Mais les courses qui lui sont proposées sont soit trop courtes, soit trop rapides : il veut aller en Europe.
A 21 ans, Froome accède à la boite mail de la fédération cycliste kenyane, et envoie un e-mail à l’Union cycliste internationale. « Je leur ai dit : ‘nous enverrons un participant aux Mondiaux des moins de 23 ans' ». Un risque payant : l’Africain s’envole en Autriche, où il ose même se faire passer pour le manager de l’équipe Kenyane. Le jour du chrono, moins d'un kilomètre après le départ, il se trompe de direction, heurte un commissaire de course posté sur le côté de la route, et chute. Il terminera loin, très loin du podium.
Des kilos en trop avant Sky
Lorsqu’il passe professionnel en 2007, dans une équipe sud-africaine, le « Kenyan Blanc » remporte ses premières victoires, en Italie, au Japon et dans les championnats du monde « B ». Michel Thèze, son ancien directeur au Centre Mondial du Cyclisme, se souvient d’un coureur « souvent par terre » qui avait « du poids à perdre ». « Tactiquement, il n’était pas bon du tout. Mais il était puissant, endurant, et faisait tout en force », poursuit-il. Amplement suffisant pour être recruté au sein de la formation Barloworld, montée par un ancien coureur sud-africain et invitée surprise du Tour de France en 2008.
Pour sa première Grande Boucle, le protégé de Dave Brailsford prouve qu’il a du potentiel mais termine à la 84e place du général. « Ma mère venait de mourir, c’était très dur », explique-t-il au quotidien britannique the Guardian. « J’étais dans le gruppetto la plupart du temps, mais c’était fantastique de se dire qu’un jour je pourrai rejoindre les coureurs en tête de la course ».
Disqualifié du Giro 2010
L'ambitieux coureur découvre aussi le monde du dopage, quand son équipier espagnol Moises Duenas est contrôlé positif à l’EPO. « C’était un énorme choc », se rappelle-t-il. « Découvrir qu’un coéquipier avec lequel j’ai partagé ma chambre a pris de l’EPO, la plus terrible des drogues... je n’oublierai jamais l’image des policiers qui le sortent de l’hôtel, menotté ». Pour oublier, Froome rejoint l’équipe Sky tout juste créée, qui le voit comme « un diamant à polir ». Il participe au Tour d’Italie, mais est disqualifié à l’issue de la 19ème étape : victime d’une tendinite, il s’est accroché à une moto de police en pleine ascension.
Sa progression n’est pas aussi rapide que souhaitée, sans doute à cause de la maladie incurable qu’il révèle publiquement à l’été 2011. Froome souffre alors depuis plusieurs mois de bilharziose, un ver parasite attrapé en Afrique et qui agit, décrit-il, comme « l’exact contraire de l’EPO ». La maladie réduit considérablement ses capacités physiques, détruit ses globules rouges, et le coureur suit un traitement qui s’apparente à « un cauchemar ». Mais cette infection, qui l’a longtemps amoindri, ne l’empêche pas de s’entraîner plus intensément que jamais.
Sifflé dans le final du 100e Tour
Avant de prolonger avec les Sky, le Britannique explose lors du Tour d’Espagne : 2e du général, il se permet de devancer son leader, Bradley Wiggins, et aurait sans doute pu remporter la course si on l’avait autorisé à attaquer plus tôt. Un peu comme sur le Tour de France 2012, où il échoue derrière « Wiggo » avec l’étiquette du parfait lieutenant, plus fort que le chef, mais obéissant.
Dans le 100ème Tour de France, sans son compère britannique hors de forme, le coureur de 28 ans a montré, pour la première fois sans doute, son véritable niveau. Et l’étendue de sa progression dans le domaine du contre-la-montre et de la puissance, de la gestion de la course, mais aussi de l’endurance et du mental, laisse poindre un futur assez étourdissant. Du Kenyan mésestimé au leader sans partage, Chris Froome a sauté les étapes. Alors, quand il fait l’objet de quelques huées dans l’ascension finale vers Annecy-Semnoz -gérée de main de maître-, il « accepte et comprend ». Il en a déjà vu, et en verra d’autres.
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