Tour de France : 2003, l'année où Lance Armstrong a eu vraiment chaud pour son maillot jaune à cause de la canicule
Les coureurs de la Grande Boucle abordent jeudi les Alpes, alors qu'une fournaise épouvantable s'abat sur l'Hexagone. Le scénario s'est déjà produit à plusieurs reprises, notamment en 2003, où le mercure avait joué un sale tour à Armstrong.
"J'aurais dû me douter que ça allait être une course difficile." Lance Armstrong n'a pas marché dans une crotte de chien au moment d'enfiler ses cale-pieds dans ses pédales avant le prologue du Tour 2003, mais c'est tout comme. "Un oiseau a chié sur l'épaule de Johan [Bruyneel, son directeur sportif]. Etait-ce mauvais signe ? Dans certains pays, c'est même considéré comme annonciateur de chance. Dans les jours qui ont suivi, on a beaucoup parlé de scoumoune au sein de l'équipe. (...) Car toutes les catastrophes sont arrivées en même temps."
Clim vs ventilo
Le mercure frôle les 36°C, le 18 juillet 2003, à Gaillac (Tarn), d'où est donné le départ du deuxième contre-la-montre de cette Grande Boucle du centenaire. Une grosse moitié sud de la France souffre sous un cagnard qui préfigure la canicule meurtrière du mois qui suivra. Il n'y a pas mort d'homme sur le Tour de France. Mais tous les indicateurs prouvent que le peloton déguste. Vingt-sept coureurs ont déjà abandonné, dont 23 qui ont tout simplement mis pied à terre sous un soleil de plomb.
En temps normal, un contre-la-montre ne représente qu'une formalité pour Lance Armstrong. L'Américain est quasiment invicible dans cet exercice depuis son retour triomphal sur la Grande Boucle en 1999. Et surtout, il n'a jamais perdu de temps sur un concurrent direct au classement général dans un chrono. Alors on ne voit pas très bien ce qui peut peut perturber le maillot jaune qui s'échauffe sur son home-trainer, près du bus de son équipe, abrité sous un auvent et devant un ventilateur XXL, qui a dû servir à Hollywood par le passé.
Les spectateurs qui se pressent autour du village-départ cherchent en vain Jan Ullrich. Le coureur allemand, qui revient de suspension et de blessure, n'a pas les faveurs des bookmakers. Pourtant, en avril, Armstrong l'a adoubé : "Ullrich sera mon unique adversaire." Les suiveurs croient à une politesse entre anciens vainqueurs du Tour, mais l'Américain a l'œil pour repérer ses adversaires.
L'année dernière, il surnommait "the Threat", "la Menace", Raimondas Rumsas, le Lituanien arrivé 3e à la surprise générale. Pour préparer au mieux ce contre-la-montre de 47 km, Ullrich s'est réfugié au fond de l'unique commerce qui avait la clim près de la ligne d'arrivée. Comme par hasard, c'est un magasin de cycles. Ullrich s'échauffe donc au frais.
Coup de chaud sur le classement général
Armstrong s'installe sur la rampe de départ. Privilège du maillot jaune, il s'élance en dernier. En plein milieu de l'après-midi, les techniciens du Tour ont mesuré la température du bitume à 61°C. "Si c'est encore la canicule, je vais souffrir, pas de doute. Je vais devoir limiter la casse, avait confié la veille le coureur américain à son éternel compagnon de chambrée, George Hincapie. S'il fait très chaud, Ullrich sera imbattable. (...) Tout se jouera dans les Pyrénées."
Dès le départ, le coup de pédale n'est pas aussi aérien que d'habitude. "J'ai eu soif dès le début", racontera sur la ligne d'arrivée le Texan. Lors des très fortes chaleurs, les coureurs cyclistes doivent boire en continu, jusqu'à une douzaine de bidons sur une étape en ligne classique, ce qu'Armstrong a omis de faire. "J'ai eu une crise entre le deuxième temps intermédiaire [33,5 km] et la dernière montée, j'avais l'impression d'avancer à reculons. Je ne sais pas pourquoi j'ai souffert de cette déshydratation."
Un coup de bambou qui coûte cher au quadruple tenant du titre : il lâche 1'36 à Jan Ullrich, relancé dans la course au maillot jaune. La marge d'Armstrong a fondu à une trentaine de secondes. Le maillot jaune n'est pas le seul à être passé au travers. Tyler Hamilton, ancien lieutenant d'Armstrong qui a rejoint la concurrence, se rappelle sur VeloNews d'un contre-la-montre "brutal". "J'ai fini complètement rincé, déshydraté. Je crois que j'étais à demi-conscient quand je suis monté dans le bus pour rentrer à Toulouse."
La nouvelle fait sensation. Armstrong est prenable, pour la première fois en quatre ans. Il regarde d'un œil sombre les prévisions météo qui annoncent un mercure à presque 40°C dans les Pyrénées pour les prochains jours. "Cette canicule, c'était comme si quelqu'un s'accrochait à moi sur mon vélo, et me sapait ma vitesse petit à petit, décrit l'Américain dans son autobiographie Every Second Counts (Chaque seconde compte en français, lien en anglais). Au lieu de me sentir mieux au fil des jours, je me sentais de plus en plus faible."
Armstrong se remet difficilement d'une chute dans le Dauphiné libéré – un ostéopathe le masse chaque soir – et de soucis gastriques depuis début du Tour. Et les autotransfusions (au moins trois sur l'édition 2003 de la Grande Boucle) tout comme les bains de bouche magiques – deux tiers d'huile d'olive, un tiers d'Andriol, un produit à base de testostérone – ne sont plus si efficaces face à la concurrence.
L'Américain grimpe l'Alpe d'Huez par 39°C trois minutes moins vite que son record : "Je n'aurais jamais cru souffrir autant." Il découvre que le frein de son vélo frotte sa roue dans le col du Galibier. Mais ça ne l'empêche pas de répéter à longueur de journée qu'il se sent "comme une merde" dans l'oreillette.
L'Américain frôle littéralement la catastrophe le 15 juillet. Quand à cause de la chaleur, le vélo de son rival Joseba Beloki se disloque – la colle à boyaux n'a pas tenu – alors qu'il effectue la descente du col de la Rochette à tombeau ouvert... trois mètres devant Armstrong. Lequel ne doit qu'à ses réflexes d'ancien triathlète d'avoir évité le pire, en coupant à travers champ. Depuis cet incident, un camion-citerne arrose le bitume (article en anglais) avant le passage des coureurs sur les étapes caniculaires. "J'ai eu très peur", soupire le Texan.
"Ce Tour, Jan Ullrich aurait dû le remporter"
Le mercure affiche 41°C au sommet du plateau de Bonascre, le lendemain. Attaqué de toutes parts, Lance Armstrong n'arrive pas à suivre. Dans son style caractéristique, vissé à sa selle et envoyant un gros braquet, Jan Ullrich place une attaque à 2 km de l'arrivée. Ce qui lui permet de grappiller 7 secondes. Ajoutez-y 12 secondes de bonification – Ullrich a terminé 2e de l'étape – et le maillot jaune n'est plus qu'à 15 secondes. C'est-à-dire rien. Armstrong se présente blafard devant micros et caméras. "C'était vraiment difficile. Les écarts n'ont jamais été aussi réduits. C'est une course différente, peut-être plus excitante."
Dernier coup de chaud pour Armstrong, dimanche 21 juillet, quand son guidon accroche la musette d'un enfant, dans la montée vers Luz-Ardiden. Cette fois, pas de réflexe miracle, direction le bitume pour le maillot jaune. Ses rivaux continuent leur ascension et personne ne place l'attaque qui pousserait le leader du Tour dans les cordes. La classe pour certains. Un code d'honneur désuet, estiment les autres. "Ce Tour, Jan [Ullrich] aurait dû le remporter, regrette dans Le Parisien Alain Gallopin, directeur sportif de la Bianchi. Il était plus fort qu'Armstrong, mais il n'a pas osé l'attaquer dans la montagne sous la grosse chaleur." Revenu dans le groupe des favoris, Armstrong n'attend pas cinq minutes pour placer une accélération et se redonner de l'air au classement général.
Les derniers espoirs de Jan Ullrich seront douchés la veille de l'arrivée sur les Champs-Elysées. Le contre-la-montre de Pornic se déroule sous une pluie battante, et une flaque mal placée à un rond-point aura raison du rêve de l'Allemand, qui achèvera le Tour à 61 secondes de son rival. Celui de l'Américain se réalise de nouveau, avec, cerise sur le gâteau, un regard du public qui a changé. Le prix Citron 2001, "récompense" décernée par la presse au coureur le moins sympathique, devient le prix Orange 2003, où les photographes saluent la propension à sourire de celui qui a failli tout perdre.
Dans une interview à L'Equipe, le vainqueur du Tour se montrera très dur envers lui-même : "Mon niveau, cette année, n'est pas acceptable." Une conséquence en sera tirée au sein de l'équipe, une seule. Le médecin Luis del Moral sera remercié, pour résultats insuffisants... Et comme en 2004, puis en 2005, le mercure sera plus clément, Armstrong gagnera de nouveau avec sa marge habituelle, autour de 5 minutes.
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