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Marion Sicot un an après ses aveux de dopage : "La Marion d'aujourd'hui est bien plus forte"

En mars 2020, la cycliste Marion Sicot, devenait la première femme à reconnaitre, dans Stade 2, s’être dopée par désespoir, pour échapper à l’emprise et au harcèlement sexuel de son manager. Un an après, sa plainte auprès de l’UCI pose de nombreux problèmes, tandis que celle auprès de la justice française suit son cours. L’ex-paria du peloton se reconstruit et voit le sport sous un nouveau jour.
Article rédigé par franceinfo
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Marion Sicot un an après ses aveux de dopage dans Stade 2 (DR)

Quand elle décroche le téléphone, elle descend juste de son home-trainer. Une heure trente, en plus de la natation et de la course à pieds. "J’aime les défis et le sport mais maintenant je prends la vie différemment. Avant j’étais un peu renfermée, c’était vélo, vélo. La Marion cycliste prenait le pas sur la Marion femme. Maintenant je suis plus ouverte. Le vélo est toujours une passion mais plus à l’excès. Je vois la vie différemment, cette histoire m’a fait grandir". 

Toujours avec des fourmis dans les jambes. Marion Sicot prépare son retour officiel dans le sport cet été après deux ans de suspension pour dopage. Le triathlon Ironman d’Embrun (Ironwoman en l’occurrence) en août et, en juillet, un défi plus personnel, un record du monde de dénivelé, 14 fois l’Alpe d’Huez, pour établir une nouvelle référence du genre, le 19 juillet exactement, ce sera pile deux ans après l’annonce de son contrôle positif à l’EPO. Le retour au cyclisme ce sera pour 2022, "quand je serai prête à affronter les critiques qui ne manqueront pas d’arriver".

8 mars 2020, après dix-huit mois de dénégations, elle avoue tout en direct devant trois millions de téléspectateurs dans Stade 2. "Le passage à la télé m’a fait beaucoup de bien. Avant, seuls mes proches étaient au courant. Je ne savais pas comment répondre aux gens qui me parlaient de mon contrôle positif". Mais depuis, Marion a dû gérer trois autres dossiers. Et tout d’abord son passage devant la commission des sanctions de l’AFLD (Agence Française de Lutte contre le Dopage) en décembre dernier. 

Par visioconférence, elle a dû, avec son avocat Me Antoine Woimant, ré-expliquer le cheminement qui l’a conduite à se piquer dans le ventre, un après-midi, seule dans son appartement. Une situation financière précaire au sein de l’équipe cycliste belge Doltcini- Van Eyck où elle n’a pas de salaire. Son manager qui lui demande de vendre des vélos et de payer elle-même ses frais pour rester dans l’équipe. Viennent ensuite les injonctions de lui envoyer des photos, de plus en plus dénudées sous prétexte de contrôler son poids. Jusqu’à ce jour de son anniversaire en juin 2019 où, déprimée elle se fait une injection d’EPO. 4 jours avant les championnats de France. 

2 ans de suspension sous le sapin

Impossible de passer au travers en cas de contrôle, ce qui exclut toute idée de protocole ou réseau de dopeurs. « Un contexte que l’AFLD n’a pas voulu prendre en compte en réclamant quatre ans de suspension", soupire Me Woimant. "Heureusement, la Commission des Sanction est indépendante et a tenu compte, elle, de toutes ces circonstances. En infligeant deux ans de suspension à Marion, elle crée en quelque sorte son échelle de sanctions et sa jurisprudence. C’est une première." Marion Sicot reçoit l’avis de suspension, de deux ans seulement, le 5 janvier 2021 comme "un cadeau de Noël un peu décalé. Je suis heureuse qu’on m’ait crue et reconnue comme victime en m’accordant des circonstances atténuantes et en même temps je trouve logique d’avoir été sanctionnée." Elle peut donc reprendre une licence en juillet prochain, ou participer à un événement officiel.

Pendant ce temps, un autre combat se déroule en Suisse. Marion et son avocate locale qui s’est emparée de ce dossier exemplaire, ont saisi la commission d’éthique de l’UCI (Union Cycliste Internationale) le 18 mars 2020 pour harcèlement sexuel, fraude, ainsi que d’autres entorses au règlement et à l’éthique de la part du manager de l’équipe Doltcini- Van Eyck, Marc Bracke. Selon un communiqué officiel, le dossier a été transmis à la commission des sanctions de l’UCI. Ce sont les seules nouvelles que Marion Sicot et son avocate Me Madalina Diaconu ont obtenues en un an de la part de ces deux instances indépendantes. 

L’avocate que nous avons contacté fulmine, mais avec un calme tout helvétique : "Nous avons eu quelques échanges formels avec la commission d’éthique, mais nous n’avons pas été entendues officiellement, ni confrontées. Nous n’avons pas accès au dossier et ne pouvons répondre à aucun argument de la partie adverse. Enfin nous n’avons même pas été informées de la décision et des motivations de la commission d’éthique. Ainsi nous ne pouvons pas contester des décisions que nous ne connaissons pas, ce qui revient à nier les droits des victimes !" Cela peut paraître aberrant mais c’est assez fréquent chez les fédérations internationales que les plaignants ne soient pas reconnus comme "partie du dossier", alors que les mis en cause oui et donc y ont accès. Marc Bracke peut donc formuler des observations, apporter des pièces ou des témoignages, dont Marion Sicot et Me Diaconu n’ont même pas connaissance. (NDLR - Rappelons qu’en mars 2020, dans l’enquête de Stade 2, Marc Bracke s’était réfugié dans sa voiture et n’avait pas voulu répondre à nos questions).

"Au sein de la fédération on met en place une ligne directe pour les plaintes mais derrière il n’y a rien pour aider les victimes"

Une situation que Me Diaconu veut changer. Elle vient donc de porter l’affaire devant le TAS (Tribunal Arbitral du Sport), la plus haute instance du sport mondial. "Nous avons demandé un accès au dossier et communication de la décision de la commission d’éthique qui nous l’a refusée. Ces dispositions du règlement de l’UCI sont contraires au droit suisse, qui garantit les droits de la défense et de la partie civile. Et l’UCI, comme de nombreuses fédérations basées en Suisse, doit s’y conformer." Là encore, si Marion Sicot et son avocate obtiennent gain de cause, ce sera une première qui fera bouger les lignes. "C’est très rare de rencontrer une athlète comme Marion qui a le courage de dire : ce n’est pas juste donc on va se battre", poursuit Me Diaconu. "Elle a le courage de parler, dénoncer et supporter la pression. Au sein de la fédération, on met en place une ligne directe pour les plaintes mais derrière il n’y a rien pour aider les victimes."

Et des dispositions qui rendent opaques les procédures ne sont pas faites pour les encourager à parler. Pour Marion qui est sortie du milieu professionnel cycliste, c’est plus facile mais si elle était encore dans le peloton ce serait une autre paire de manches car comme elle le fait remarquer "le plus dur c’est que mon manager depuis un an poursuit sa vie normalement et qu’il dirige toujours l’équipe."

Du côté de la justice française, suite à sa plainte pour harcèlement sexuel, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Montargis (Loiret). Les centaines de messages Messenger et les nombreuses photos échangés avec Marc Bracke (diffusés dans Stade 2), nourrissent là aussi le dossier. Marion Sicot a été entendue par les gendarmes en août, depuis rien n’a filtré "mais nous sommes dans les délais classiques de ce genre de dossier" note, philosophe Me Woimant. Marion elle poursuit son chemin entre son poste de professeur de sport à mi-temps à la section sport-études cycliste d’un lycée dans l’Indre et le concours du professorat de sport qu’elle prépare pour avril. Tout ceci semble lui avoir donné la pêche, comme le lui avait promis Antoine Vayer il y a un an quand il l’avait convaincue de "parler, dire la vérité pour se reconstruire. La seule solution."

Ce démon de l’antidopage et son compte Twitter au nom provocant de @festinaboy a été le premier à voir la faille et la lumière dans cette jeune femme un peu perdue à l’époque. Bien lui en a pris. Ce n’est pas un commentaire du rédacteur, et aussi un peu acteur de cette histoire. Non c’est elle, Marion Sicot, dopée, harcelée, ex-désespérée qui le dit : "Cette histoire qui aurait pu être négative est finalement positive (sans mauvais jeu de mots, précise-t-elle). C’est plutôt une bonne chose et une chance que cela me soit arrivé assez jeune, à 26 ans, car la Marion d’aujourd’hui est bien plus forte que la Marion d’il y a deux ans."

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