Masochisme, cyclisme et cheveux blancs : Jens Voigt attaque son 17e Tour de France
Vous avez supporté la France face à l'Allemagne, vendredi ? Pour le début du Tour de France, samedi, encouragez un Allemand.
Il est le plus vieux coureur à prendre le départ d'un Tour de France depuis 1927. A 42 ans, l'Allemand Jens Voigt s'élancera, samedi 5 juillet, de Leeds (Royaume-Uni), ville-départ de la Grande Boucle, avec son équipe Trek Factory Racing. Il égalera le record de dix-sept participations au Tour, établi par l'Américain George Hincapie en 2012, et atteint par l'Australien Stuart O'Grady en 2013.
Depuis sa première participation en 1998, Jens Voigt (prononcez Yenss Faugt) s'est forgé une solide réputation de rouleur et d'équipier modèle, jusqu'à transposer le sado-masochisme dans le cyclisme. Adulé dans le peloton et au bord des routes, "The Jensie" est le coureur qui peut vous faire aimer son sport. Affaire à saisir, avant cessation d'activité.
"Je suis le parfait soldat"
Ni doué en montagne ni rapide au sprint, Jens Voigt est un avaleur de kilomètres, de préférence en tête de la course. Quand il ne dicte pas le tempo du peloton, il promène son mètre quatre-vingt-douze dans une échappée loin devant. Ce tempérament de battant lui a valu des victoires d'étape presque chaque année depuis ses débuts, dont deux sur le Tour de France, en 2001 et 2006. Il a même endossé le maillot jaune sur la Grande Boucle pendant deux jours, un en 2001 et un autre en 2005.
Ses faits de gloire sont sans doute ailleurs, à base de sang et de sueur (les larmes, elles, sont réservées aux naissances de ses six enfants). En 2004, alors qu'il est échappé dans les Pyrénées, l'Allemand arrête son effort en pleine montée pour attendre son leader Ivan Basso. Il se sacrifie afin que son camarade italien puisse rattraper, avec succès, un autre Allemand, Jan Ullrich (ce que lui reprochera la presse outre-Rhin).
"Je suis juste le parfait soldat, explique-t-il sur son blog (en anglais), le 27 juin. Je monte sur mon vélo et je dis : 'Oui Monsieur !'" (...) Je suis le mec qui va chercher les imperméables pour mes coéquipiers et qui les ramène après l'averse."
"J'aime la souffrance"
Inscrit par ses parents dans un club de vélo pour canaliser son hyperactivité, le petit Jens se fait vite remarquer par le système de détection existant en Allemagne de l'Est. Il rejoint l'équipe junior de RDA et fête ses 18 ans en 1989, l'année de la chute du mur de Berlin. Depuis, il se sert de son énergie pour punir les autres.
En décembre, sur le Tour de Californie, le chouchou du public américain décide de placer une accélération à 60 km de l'arrivée et provoque une cassure au sein du peloton. "Pour deux raisons : faire souffrir tout le monde et fatiguer tout le monde", explique-t-il après. A 5 km du but, il s'échappe à nouveau, par surprise, comme il l'a "toujours fait depuis le dernier âge de glace", et remporte l'étape.
Chez Jens Voigt, le cyclisme est une histoire de souffrance. "J'aime cette sensation parce que cela prouve que je suis vivant, confie-t-il sur son blog. J'aime répondre à la souffrance quand elle me crie de ralentir. Nous nous observons en permanence et nous attendons que l'autre montre une faille et abdique."
Hashtag et Chuck Norris
Le masochisme à la sauce Jens Voigt est devenu un exemple à suivre pour de nombreux cyclistes amateurs, qui vouent un culte au vétéran allemand. L'homme s'est hissé au rang d'icône en 2008, après une interview en marge du Tour de France. "Parfois votre corps commence à vous dire : 'Oh, je n'en peux plus, je n'en peux plus', y livrait-il. Votre esprit répond alors : 'Tais-toi, corps, et fais ce que je te dis'."
L'expression, devenue "Shut up legs" ("Taisez-vous, jambes"), est aujourd'hui le cri de ralliement du vétéran allemand et de ses fans, qui l'écrivent sur des routes et sur des t-shirts et qui le tatouent même sur leurs cuisses. On la retrouve sur Twitter sous la forme du hashtag #ShutUpLegs, utilisé notamment par les 166 000 followers du coureur. Si vous criez ce slogan à Jens Voigt en plein effort, vous aurez peut-être même le droit à un sourire.
Surnommé le "Chuck Norris du cyclisme" par une journaliste cycliste espagnole, Jens Voigt est souvent vanté pour sa force et ses efforts quasi héroïques. "Certains ont un pyjama Superman. Superman a un pyjama Chuck Norris. Chuck Norris a un pyjama Jens Voigt", peut-on par exemple lire sur le générateur de phrases humoristiques JensVoigtFacts.com. Les meilleures citations de l'Allemand ont été compilées dans un clavier sonore numérique.
"Tout mon corps est couvert de traces de chute"
D'accord pour la sueur, mais le sang ? Venons-y. Il a notamment coulé pendant le Tour de France 2009, après une chute de Jens Voigt dans une descente vers Bourg-Saint-Maurice (Savoie). Le coureur s'écrase la tête contre le bitume et poursuit sa chute sur plusieurs mètres. Quelques semaines plus tard, son équipe dévoile son visage dans une interview mise en ligne.
Le sang coule encore sur le Tour de France 2010. Le pneu avant du coureur explose dans une descente. A terre et blessé, l'homme se relève mais pas la machine, le cadre cassé et le dérailleur hors-service. Le temps d'être soigné par un médecin, et la voiture-balai arrive à la hauteur du trentenaire. Refusant d'abandonner une nouvelle fois, Jens Voigt finit par enfourcher un vélo jaune pour enfant, grâce auquel il parcourt 20 km, avant de récupérer un meilleur vélo et de terminer l'étape. "J'avais l'air d'un ours sur un vélo de cirque", remarque-t-il plus tard.
"Il n'y a pas une partie de mon corps sans trace de chute", confie le coureur en 2011. Aujourd'hui, l'Allemand fan de bière Corona (sic) pense "à [ses] six enfants et [a] peur dans les descentes". "Je suis trop vieux, je freine trop, explique-t-il au site Vélo Chrono. Je ne suis pas cascadeur." Il pense aussi à sa reconversion, probablement au sein de son équipe, voire dans une librairie qu'il ouvrirait après avoir fréquenté un univers où il est l'un des rares à lire après chaque étape.
En 2013, Jens Voigt a fait ses adieux au Tour de France. En 2014, il y a été de nouveau invité par son équipe. Quand le créateur du "Shut up legs" renoncera-t-il à souffrir ? "A chaque course, je vais courir si violemment que mes jambes pleureront, prévenait-il en 2011. Quand je ne pourrai plus le faire, je saurai alors que c'est à mon tour de me taire et de partir."
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