Demi-dieu, cocaïne et chatons graffés, découvrez la face cachée de Tom Boonen, le cycliste qui ne voulait pas être un héros
Côté face, il a gagné 114 courses, peut-être même 115 s'il lève les bras dimanche, à l'arrivée de son dernier Paris-Roubaix. Côté pile, il a dû vivre pendant quinze ans avec la pression de tout un pays.
"Ce n'est pas facile d'être Tom Boonen." Aveu de son directeur sportif Patrick Lefevere, qui a dirigé le champion de 2002 jusqu'à sa dernière course, Paris-Roubaix 2017, dimanche 9 avril. Car derrière la vitrine brillante du palmarès long comme le bras du natif de Mol (Belgique), près d'Anvers (quatre Paris-Roubaix, trois Tours des Flandres, six étapes du Tour de France...), Boonen a dû endurer quinze ans durant la pression de tout un pays. Et a craqué, parfois. Coup d'œil dans le rétroviseur.
"N'y a-t-il pas plus important à écrire ?"
Toujours souriant, les marques de bronzage de son casque sur son crâne lisse et chauve, Tom Boonen a confié aux journalistes de la Dernière Heure son programme pour le lundi 10 avril, premier jour de sa retraite. "Je conduirai mes petites filles à la crèche après avoir préparé le petit-déjeuner. Ce sera un jour comme les autres." Le coureur cycliste, le sportif, voire l'homme le plus populaire de Belgique, sait qu'il n'aura peut-être pas besoin d'une escorte policière pour sortir de chez lui, comme au départ du Grand Prix de l'Escaut en avril 2016. Mais qu'il ne se débarrassera pas d'une chiquenaude de son statut de "bekende Vlaming" ("flamand célèbre" en VF) qui lui vaut de truster les pages des magazines.
Dès le début de sa carrière, l'engouement pour le cycliste à la belle gueule, la barbe de trois jours et les pantalons taille basse était démesuré. "Je pense que personne ne devrait se voir consacrer quatre pages dans les journaux, commentait un Boonen dépassé en 2005. N'y a-t-il pas plus important à écrire ?" En 2002, lors de son premier Paris-Roubaix chez les pros sous les couleurs de l'US Postal de Lance Armstrong, il surclasse son leader, le sprinter américain George Hincapie, et se hisse sur le podium de l'épreuve. La chance du débutant ? Pas de son point de vue. "Je suis très déçu de ne pas avoir gagné", confiera-t-il après coup.
Ni Dieu ni Merckx
Le début d'une histoire d'amour entre un coureur et son pays. "Tommeke" intègre rapidement une équipe belge, la toute-puissante Quick Step de Patrick Lefevere, qui a pour terrain de chasse les classiques. Il enrichit son palmarès à vitesse grand V, son fan-club aussi. En 2005, la fédération belge attribue une hausse de 42% de ses licenciés à ses succès (cette année-là, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix et le championnat du monde). "On a fait de moi un demi-dieu au début de ma carrière", soupire-t-il, dans une interview au site Cyclingtips. "Heureusement que je ne suis pas anglais ou néerlandais, il y aurait eu des tabloïds et des gens avec des caméras dans mon jardin." N'empêche, en Belgique, il doit composer avec deux divinités : "Je ne suis pas Dieu, je ne suis pas Merckx".
Dur de passer après le "Cannibale". Le quotidien néerlandais De Telegraaf s'est un jour intéressé au "petit cirque Boonen", entouré par une demi-douzaine de journalistes qui rapportent ses moindres faits et gestes. "Tommeke" chute dans le Tour d'Oman ? L'image fait un gros titre du journal télévisé.
How big is Tom Boonen in Belgium? His crash in Oman (unharmed) made the TV news headlines alongside the day's other major stories pic.twitter.com/CLvdELdGmy
— the Inner Ring (@inrng) 17 février 2017
"Il n'aura jamais son palmarès, mais en termes de caractère, d'impact sur le public, il est aussi important que Merckx, expliquait un journaliste du quotidien flamand Het Laatste Nieuws. Sa tournée d'adieu en Belgique va être quelque chose d'énorme." Sa fête d'adieu, déjà prévue pour le 29 avril à Mol, a été programmée pour 20 000 personnes. "Il y a quand même des gens qui me détestent, se rassurait presque Boonen. Pas beaucoup. Mais même quand vous montrez votre vrai visage, les gens vous haïssent pour ça."
Lamborghini, cocaïne et silicone
L'autre face de Boonen, c'est un coureur qui craque sous la pression. Gendre idéal d'un pays entier, c'est trop lourd pour ses épaules. Surtout quand des spécialistes du marketing se demandent s'il ne devrait pas troquer sa petite amie pour une starlette siliconée. "Il y a eu tellement de conneries qui ont été dites, confiait Boonen à Cyclingnews. Je devais m'offrir une bagnole qui correspondait à mon statut de star. Ma bonne vieille Audi S4 [une grosse berline] ne faisait pas l'affaire. Et pourtant, c'est une bagnole qui fait rêver un tas de types !"
Exilé à Monaco pour fuir la pression médiatique (et la pression fiscale, aussi), il craque et se fait pincer trois fois en deux ans pour usage de cocaïne. "Pendant 364 jours, c'est parfait, j'essaie d'être un citoyen exemplaire. Mais le jour où je bois trop, ce que je ne fais pas souvent, je change", se défend-il. L'un de ses contrôles positifs hors compétition lui vaut l'interdiction de participer au Tour de France, malgré la pression de ses sponsors qui avaient prévu une campagne de publicité massive autour de son nom.
Ajoutez-y une Lamborghini démolie, une polémique avec un sénateur en mal de publicité et une idylle passagère avec une jeune fille de 16 ans, fille de l'organisateur d'une course renommée outre-Quiévrain, et le voilà solidement installé dans les pages people avec l'image d'un has-been trash occupé à saboter ce qui lui reste de carrière. En 2008, le retour de Lore dans le cœur de Tom est annoncé... par le journal intime que tient la mère du coureur sur le site officiel de son fils : "[Lore] représente le maillon d'une chaîne positive. C'est en fait le dernier morceau d'un puzzle. Ce qui était à sa place revient à sa place." Un journaliste britannique trouve le mot juste, en évoquant le "David Beckham belge".
Un dernier pari avec son tatoueur
En 2011, quand il touche le fond sportivement, Patrick Lefevere menace de lui couper les vivres : "S'il veut garder sa situation financière, il serait temps qu'il se montre performant." Piqué au vif, le coureur réalise en 2012 sa meilleure saison, à 30 ans passés. L'ex-sprinter qui n'hésitait pas à frotter dans les pelotons a changé de style et gagne désormais en costaud, avec panache. Sa rivalité avec le Suisse Fabian Cancellara relance l'intérêt pour sa carrière. Revenu de l'enfer de la jet-set, revenu de Monaco - plus que les 182 jours par an règlementaires aux yeux du fisc belge -, revenu en grâce auprès des connaisseurs, Boonen fascine de nouveau."La hype Boonen a duré des années, se souvient Tristan Hoffman, qui l'a côtoyé dans le peloton, sur le site néerlandais De Verdieping Trouw. Tom n'avait jamais rien demandé. Mais ça s'est un peu calmé car il a heureusement commencé à moins gagner."
N'allez pas croire qu'il a renoncé à ses frasques. En 2014, il crashe à nouveau une Ferrari sur le circuit de Spa-Francorchamps. Un modèle à 200 000 euros qu'il avait fait customiser par un graffeur avec des chatons sur des portières et une image du Christ au-dessus du pneu arrière-droit... là où la voiture a tapé la barrière de sécurité. Mais même quand il s'est rangé, on continue à le moquer. Son amour de la cocaïne est devenu un sujet de blagues récurrent de l'imitateur Guga Baul, le Laurent Gerra flamand. "Je comprendrais qu'il ne trouve pas ça drôle", a reconnu le comique au magazine Dag Allemaal. Boonen ne s'est jamais plaint. Au contraire, il avoue être fan.
Ses fans se déchaînent maintenant... en chanson, du folk à la trance. Son tatoueur, qui lui a écrit "ma course, mon combat, ma vie" sur le torse pousse la chansonnette avec un accent local tellement poussé que la vidéo a dû être sous-titrée pour les néerlandophones classiques. Extrait : "Je regarde la télévision et je vois ce vieux singe de Tom avec sa barbe taillée et cette étincelle malicieuse dans le regard / Dans le peloton, c'est un loup qui encercle les agneaux, s'apprêtant en faire du kebab sauce samouraï." Le tatoueur est tellement proche du coureur, que Boonen a parié qu'en cas de succès à Paris-Roubaix, il pourra lui tatouer ce qu'il veut, à l'endroit du corps qu'il désire. On n'en sait pas plus, et c'est sans doute mieux comme ça.
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