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Jeux paralympiques 2021 : des cabinets de médecin au vélodrome de Tokyo, le destin éclair de Marie Patouillet

Souffrant d’une malformation du pied qui l'empêche de courir, Marie Patouillet a découvert le cyclisme en 2018. Trois ans plus tard, elle est la seule femme à représenter la France en cyclisme sur piste à Tokyo.

Article rédigé par Théo Gicquel, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Marie Patouillet sera alignée sur le 500 m et la poursuite aux Jeux Paralympiques de Tokyo. (Jean-Baptiste Benavent / Bleushandisport)

Si on ne peut plus courir, on peut toujours pédaler. C'est un constat devenu une évidence pour Marie Patouillet il y a quelques années. Souffrant d'une agénésie partielle depuis la naissance, soit une malformation de la cheville et la présence de trois orteils au lieu de cinq à son pied gauche, elle a toujours dû s'adapter à sa différence, mais aussi au regard des autres.

"J'avais une inégalité de longueur de jambes, qui s'est réduite durant mon enfance avec une opération chirurgicale. Petite je n'avais pas trop de douleurs, mais c'était le regard des autres. Très rapidement, il y a eu un problème de confiance en soi", dévoilait-elle l'année dernière. 

L'étape du Tour, le déclic

Sportive dans l'âme, Marie Patouillet multiplie les sports, jusqu'au jour où la décision tombe : elle ne pourra plus jamais courir. "Ca paraît assez brutal comme annonce mais ce n'est pas arrivé du jour au lendemain. Je remarquais que je commençais à boiter. Un jour j'ai eu un accident de scooter qui m'a amené à faire des radios. Le chirurgien m'a dit que la course à pied, c'était fini", se souvient-elle.

Après une période difficile, où se sont mêlés doutes et questionnements, elle se voit offrir un dossard pour L'Étape du Tour en 2017, une reproduction telle quelle d'une étape pour les amateurs. Armée de son cran naturel, elle plonge dans ce monde cycliste qu'elle ne connaît pas. "J'étais fière de l'avoir fini, même si ce n'était pas responsable de ma part." De ce jour-là part un déclic : le vélo peut être le moyen, sa détermination fera le reste. "Je savais que j'avais le mental pour faire autre chose, et qu'il y avait des choses à faire", confie-t-elle.

Une piste à apprivoiser

En plus de la route, elle découvre ce qui va devenir son quotidien : le cyclisme sur piste. Les pentes vertigineuses des vélodromes sont difficiles à appréhender, mais Marie Patouillet s'habitude rapidement, et commence à y prendre goût. "À mon premier baptême, j'étais terrorisée. Appuyer sur juste trois orteils ce n'est pas pareil qu'appuyer avec cinq. En termes de sensations, c'est compliqué de trouver un équilibre sur le vélo. Après quelques chutes, ça rentre", dévoile la cycliste.

Nous sommes en 2018, Marie Patouillet approche la trentaine, mais se lance alors dans une nouvelle vie : apprivoiser les vélodromes d'Île-de-France, à l'Insep ou à la Cipale, afin de se mesurer aux meilleures de sa catégorie, la C5 (le ou la cycliste a été amputé ou souffre d'un handicap majeur au niveau d'un membre supérieur). "Elle ne pouvait plus courir, mais elle pouvait pédaler. Ça a été le début de quelque chose", se remémore Sophie, sa préparatrice physique, qui a dû adapter les entraînements au handicap de Marie Patouillet. "Ce qui change, c'est la prise en charge d'un déficit musculaire de la jambe gauche. L'idée n'est pas de créer un déficit sur sa jambe forte mais d'amener sa jambe plus faible à un niveau de force bien plus élevé", dévoile la préparatrice physique.

 Marie Patouillet lors de la de la Coupe du monde de cyclisme sur piste au VeloPark de Lee Valley à Londres, le 14 décembre 2018. (PAUL HARDING / MAXPPP)

L'oeil du Tigre

Originaire de Versailles, Marie Patouillet décide de s'inscrire à l'US Créteil, pépinière de talents pistards. Son chemin croise celui d'un colosse au palmarès large comme ses épaules : Grégory Baugé. Le courant passe immédiatement, la collaboration est naturelle. "Au début, ce ne devait pas être forcément évident pour lui car c'est compliqué d'intégrer le handicap quand on ne vit pas avec", raconte-elle.

Les résultats sont pourtant immédiats : quelques mois après ses débuts sur la piste, elle décroche une médaille de bronze (500 m arrêté) aux Championnats du monde à Apeldoorn (Pays-Bas) en 2019. Entourée par "Le Tigre", Marie Patouillet passe rapidement la vitesse supérieure : à l'édition suivante des Championnats du monde, en 2020, elle remporte deux médailles, et troque le bronze pour l'argent, sur le 500 m et l'omnium. Le potentiel est confirmé, son coach est rassuré mais absolument pas surpris d'une telle trajectoire. "J'ai côtoyé beaucoup de sportifs de haut niveau, et Marie n'a rien à leur envier. Mentalement, elle est même plus forte que certains", affirme Grégory Baugé.

De quoi naturellement l'amener à considérer Tokyo 2020, et ce bien avant le report annoncé. Alors que pour beaucoup, il a fallu se remotiver pour s'entraîner un an de plus, Marie Patouillet l'a plutôt vu de manière positive. Médecin remplaçante à la vie, la pistarde devait jusque-là conjuguer un travail passionnant mais très prenant et des entraînements moins fréquents que ses concurrentes. "Ça a mis beaucoup de temps pour trouver la combinaison parfaite, car j'ai besoin du travail financièrement", explique-t-elle.

Marie Patouillet lors des Championnats du monde de paracyclisme sur piste 2020. (Jean-Baptiste Benavent / Bleushandisport)

Une vocation en pause pour Tokyo

En mars 2021, elle a fait un choix temporaire mais fort : mettre de côté son travail de médecin, pourtant indispensable financièrement, pour se dévouer à son objectif tokyoïte. "Le fait que ça ait été repoussé a été un gros plus pour moi. Avec le Covid, j'ai beaucoup donné à mon travail, donc l'entraînement devenait compliqué. J'ai arrêté de travailler en mars dernier, ce qui m'a permis de faire du biquotidien. Cela a tout changé", avoue-t-elle.

Grégory Baugé a lui aussi vu la différence, à quelques mois de l'immense échéance pour elle, et tous les autres concurrents des Paralympiques. "Mentalement, elle est plus libérée car elle peut se donner à 500 % sur les séances, elle sait qu'elle n'ira pas au travail. Dès le départ, je lui ai dit que je la suivais quoiqu'il arrive mais qu'on ne pourrait pas avoir d'ambitions trop élevées si elle ne s'entraînait qu'une fois par jour", analyse son entraîneur.

À Tokyo, Marie Patouillet sera l'unique représentante française sur le Vélodrome d'Izu. Mercredi 25 août, elle sera au départ de la poursuite (à partir de 4h17, finale à 7h32), avant de se lancer sur le 500 m arrêté, vendredi 27 (finale à 7h29). La Française peut aller chercher une médaille, mais il est hors de question de faire la course avant d'avoir dompté la piste tokoyïte. "La médaille, je n'y pense pas. J'y vais pour faire mes meilleures performances, des temps que je n'ai jamais fait. Si les filles en face sont meilleures, tant mieux pour elles, si c'est moi, je ne m'excuserai pas !", explique-t-elle dans un sourire. Mais à tout juste 33 ans, la pression inhérente aux Jeux la touchera comme tous les autres. "Ce sont mes premiers Jeux, il va y avoir beaucoup d'émotions que je vais découvrir là-bas et que je vais devoir gérer au fil des jours", continue-t-elle.

Stress et expérience des Jeux

C'est là que toute l'expérience de son entraîneur, trois fois vice-champion olympique, est également précieuse, même s'il est resté en France. "Même si l'entraînement se passe bien, on peut rater sa compétition car il y a trop de stress. Dans ces moments-là, je ne suis pas simple entraîneur. C'est mon devoir d'évoquer ça avec elle, sur les séances d'entraînement et en dehors. Mon rôle, c'est de la conseiller sur le plan technique, mais aussi de l'aider à aborder un grand événement comme celui-la. Elle est préparée mais on ne sait jamais, le corps humain n'est pas une machine. Elle part à la guerre, quoi !", explique Grégory Baugé, qui a ramené une médaille de trois éditions différentes des JO (Pékin, Londres, Rio).

Alors qu'elle a également Paris 2024 sur sa trajectoire, Marie Patouillet, qui sera aussi présente lors des épreuves sur route, avale les chronos et les étapes à grande vitesse grâce notamment à une absence de lassitude, n'ayant commencé sa discipline qu'il y a trois ans. "L'une de ses forces, c'est qu'elle comprend très vite ce qui est demandé. Vu qu'elle n'est pas athlète depuis très longtemps, elle n'est pas arrêtée. Elle est vraiment entière, elle n'est pas dans le calcul", conclut Grégory Baugé.

Mais elle compte aussi beaucoup sur un trait de caractère commun avec son entraîneur. "Ma plus grande force reste ma détermination et mon mental. Je n'ai pas une force surhumaine dans les jambes, je n'ai pas un corps hors-normes, mais dans ma tête, il en faudra beaucoup pour me faire abandonner."

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