Que risquent juridiquement Groenewegen et les sportifs en cas de faute ?
"Ils doivent mettre ce garçon de Jumbo-Visma en prison. Je lui reproche une tentative d’assassinat, ni plus ni moins." Après l’impressionnant accident entre Dylan Groenewegen (Jumbo-Visma) et Fabio Jakobsen (Deceuninck-Quick Step) lors de la première étape de Pologne, le manager de l’équipe belge Patrick Lefevere ne décolérait pas. "Ils doivent le suspendre à vie. Honte à toi ", a martelé de son côté son coureur Remco Evenepoel, avant de supprimer son tweet.
L’accident de Jakobsen, spectaculaire et d’une gravité importante pour sa santé, pose la question, au-delà de celle de la responsabilité des organisateurs, de celle du fautif dans le domaine sportif, soit celui qui se rend coupable d’un acte illicite dans l’exercice d’un sport.
Les sanctions dans le domaine sportif s’articulent sous trois formes juridiques : civil, pénal et disciplinaire. Le but du pénal est d’obtenir une condamnation, que le comportement soit sanctionné. Le deuxième volet est le civil, où le but est d’obtenir une réparation, soit une compensation financière pour le dommage qu’on a subi. Il peut y avoir un procès pénal ou un procès civil, étant précisé que l’issue n’est pas forcément la même. De plus, on peut avoir uniquement un procès civil et non pénal et inversement. Enfin, le dernier domaine, celui qui a trait aux sanctions disciplinaires, est exercé par l’UCI dans le cas de Dylan Groenewegen.
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Le monde du sport repose sur une particularité liée au consentement et aux risques inhérents au domaine sportif. "En matière sportive, à partir du moment où on accepte les risques du jeu, d’être blessé, c’est un risque qui est accepté. Cela fait barrage à des poursuites pénales parce que la victime consent à la lésion corporelle.", nous explique Yvan Henzer, avocat suisse en droit du sport. "Néanmoins, s'il y a violation des règles du jeu, ce barrage peut voler en éclat, donc il n’y a plus de consentement".
Des peines de prison rarement applicables
Dans le cas de Groenewegen, son infraction ayant eu lieu en Pologne, c’est le droit polonais qui devra s’appliquer en cas de poursuites pénales, comme Patrick Lefevere semble déterminé à le faire. "Pour le cas de Jakobsen, certainement qu’il accepte les risques comme les chutes, mais à partir du moment où un cycliste viole les règles de manière manifeste, il n’y a plus de consentement. Si une plainte est déposée en Pologne, je pense que Groenewegen s’expose à des sanctions pénales", précise Yan Henzer.
La question de la sanction en cas de procès pénal fait entrer l’hypothèse d’une peine d’emprisonnement en cas de conséquences très graves pour la victime. Pour Yvan Henzer, cette hypothèse semble difficile à envisager. "La prison paraît totalement exclue : si on n’a pas de casier judiciaire pour ce genre d’infraction, on ne va pas aller en prison. Il aura peut être une amende, mais finir dans une prison polonaise me semble assez illusoire." Un point de vue corroboré par Michał Piechocki, avocat en droit polonais à Poznan (Pologne) : "En pratique, il n’y aura pas de conséquences au plan pénal pour Groenewegen. Son but était de bloquer Jakobsen, mais il n’envisageait pas de le blesser de manière aussi grave. Dans ce but, les potentielles charges criminelles à son encontre ne semblent pas réalisables."
La faute de Groenewegen était de toute évidence intentionnelle envers Jakobsen. Mais le coureur néerlandais n’envisageait pas une issue aussi dramatique. "Il n'y a pas d'intention de nuire, outre le fait de priver quelqu'un d'une victoire. Donc la prison, c'est quand même grave... Mais en fait, Dylan Groenewegen est beaucoup plus jugé pour les conséquences de son geste que pour son geste en lui-même.", analyse de son côté Romain Feillu sur Cyclism Actu.
Dessein et dol éventuel
En cas de faute (sportive) intentionnelle, le droit prévoit plusieurs degrés : "Il y a différents degrés d’intention : le dessein lorsque l’auteur veut quelque chose et qu’il accepte le résultat. Ensuite, le dol éventuel, où l'auteur ne veut pas forcément le résultat mais il accepte le risque.", explique Yvan Henzer. Comprendre : le coureur de Jumbo-Visma n’avait pas l’intention de conséquences aussi graves lors de son geste, mais il connaissait les risques et a agi en tout état de cause. "Il n’avait pas l’intention d’envoyer son compatriote dans les barricades. Ce n’est pas une infraction purement intentionnelle, mais je pense que le dol éventuel existe. Il connaît les risques, il sait que s’il donne un coup de coude a 80 km/h, il y a de grandes chances que l’autre coureur soit expulsé dans les barrières. S’il n'a pas accepté le résultat, soit blesser son concurrent, il était conscient des risques", déplore l’avocat suisse.
Sorti fort heureusement vendredi du coma artificiel dans lequel il était placé, Jakobsen semble sur une pente de récupération positive, les organisateurs du Tour de Pologne expliquant que son état était "bon". Dans le scénario le plus tragique, à savoir le décès des suites de ses lésions, que peut-il se passer pour le fautif ? "Le résultat a une importance primordiale sur la qualification de l’infraction. Si le résultat est un décès, on parlera d’homicide. Si ce sont des lésions corporelles, en fonction de la gravité, cela peut changer la qualification de l’infraction. Si on pousse le scénario en cas de décès de Jakobsen, je ne serais pas surpris qu’un juge polonais retienne un homicide intentionnel par dol éventuel et prononce l’emprisonnement", prévient Yvan Henzer.
De manière générale, le consentement de chaque acteur à son sport protège donc généralement des poursuites, sauf en cas de violation caractérisée des règles du jeu, comme c’est le cas pour Groenewegen, déjà exclu de la course par l’UCI. "Cette législation est la même pour tous les sports. Ce sont des règles générales de droit civil et pénal, où le principe du consentement est le même. Mais on apprécie différemment le consentement selon le sport : celui du boxeur n’est pas le même que celui du joueur de badminton. Il faut réfléchir par rapport au risque inhérent à chaque sport", souligne l’avocat suisse.
Si les recours civils et pénaux sont de l’ordre du possible en cas de violation, comme pour Groenewegen, les chances de voir une sanction pénale dans le monde du sport sont souvent rares, eu égard au domaine particulier du sport, mais également à la difficulté d’appliquer le droit, notamment lorsque l’extradition est impossible. La sanction la plus fréquente est donc la troisième, la sanction disciplinaire.
Pour cette affaire, c’est l’UCI qui en a la charge. Elle a ouvert une enquête préliminaire et devrait donner une sanction supplémentaire très prochainement. "Les mesures disciplinaires prévues dans le présent titre peuvent être prononcées pour des infractions commises avant, pendant ou après une compétition, ainsi que pour des infractions commises en dehors d’une compétition, dans la mesure où il existe un lien suffisant avec une activité régie par l’UCI", peut-on lire dans le règlement en vigueur du 12 juin 2020. Une amende lourde est à prévoir pour le Néerlandais selon les barèmes de l’UCI , qui devrait en outre prononcer une suspension. Suspension qui sera elle aussi fonction d’un barème préétabli. "Si un coureur viole les règles de l’UCI, il s’expose à une sanction disciplinaire. En droit disciplinaire, ce n’est pas arbitraire, il faut regarder quelles sont les sanctions disciplinaires prévues, aussi horrible que puisse être le résultat de l’infraction", conclut Yvan Henzer.
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