: Reportage Raphaël Beaugillet - François Pervis, au cœur d'un tandem handisport qui vise l'or aux Jeux paralympiques de Tokyo
Le soleil éclatant de ce samedi matin de novembre fait scintiller l’extérieur couleur bronze du Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines, à Montigny-le-Bretonneux. Le bâtiment, impressionnant par sa taille, domine ses alentours et se repère à plusieurs centaines de mètres.
C’est dans ce bâtiment circulaire, où la Fédération française de cyclisme a installé son siège et l'équipe de France son centre d'entraînement, que Raphaël Beaugillet, coureur malvoyant, multi-médaillé (14 fois) aux championnats de France sur piste et 4e place aux Mondiaux de paracyclisme de Milton (Canada) sur l’épreuve du kilomètre cette année, vient s’entraîner et préparer sa qualification pour les Jeux paralympiques de Tokyo. Avec lui, ils sont une dizaine, dont la moitié d’athlètes, à se partager la piste incurvée au parquet marron clair du vélodrome, toujours plongée en ce début de matinée dans l’obscurité en attendant leur arrivée.
"Comme les structures sportives ont été réservées aux athlètes de haut niveau, nous pouvons nous entraîner deux fois par semaine ici, ce qui n’était pas le cas avant"
Ce samedi matin, comme tous les samedis depuis le début du mois de novembre, Raphaël Beaugillet et son pilote, François Pervis, septuple champion du monde sur piste chez les valides, peuvent s’entraîner au Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines. Une mesure exceptionnelle rendue possible "grâce" au confinement. "Comme les structures sportives ont été réservées aux athlètes de haut niveau, nous pouvons nous entraîner deux fois par semaine ici. On a même davantage d’accessibilité au vélodrome qu’avant le confinement, puisque auparavant d’autres publics y avaient accès, ce qui n’est plus le cas en ce moment", se réjouit Raphaël Beaugillet. Pour les entraînements, aucun protocole sanitaire particulier n’a été mis en place, si ce n’est le port du masque en dehors des entraînements et des gestes barrières.
Avant de retrouver son pilote pour l’entraînement sur le tandem, ce Courchois (habitant de Cour-Cheverny, dans le Loir-et-cher) de 31 ans se met d’abord en condition dans une petite salle, située dans le contre bas de la piste. Dans cette pièce très sobre, au sol bleu et aux murs blancs, où plusieurs Cyclus (appareils spécifiques qui récoltent des données lors des entraînements) sont alignés, Raphaël Beaugillet s’échauffe au fond de la pièce sur un Wattbike, un vélo indoor qui permet de réguler la résistance de l’effort et qui, lancé à forte intensité, produit un son similaire à celui d’un gros aspirateur.
"L'arrivée de François Pervis comme tandem peut faire changer les choses, et peut peut-être faire que d’autres athlètes valides s’intéressent au handisport"
Une fois en tenue et échauffés, Raphaël Beaugillet et François Pervis se retrouvent au centre de la piste. Ce tandem est d’ailleurs très récent. Les deux hommes ont annoncé leur collaboration en mars dernier. Mais avec le confinement, ils n’ont réellement pu débuter leur préparation que depuis le mois de juin. Une nouvelle collaboration qui fait ainsi le bonheur de Raphaël Beaugillet. "C’est un honneur de pouvoir être piloté par François, tant son palmarès est immense. J’ai hâte que l’on puisse faire davantage connaissance et échanger lors de nos prochains stages car pour l’instant, nous nous voyons uniquement sur des créneaux d'entraînement de trois heures donc ce n’est pas évident pour mieux se connaître", précise-t-il.
Si pour Raphaël ce nouveau tandem est une chance de se qualifier pour ses premiers Jeux paralympiques à Tokyo, sa nouvelle collaboration est aussi un signe fort pour le handisport. "François est un grand nom du cyclisme Français. Son arrivée comme tandem peut faire changer les choses, et peut peut-être faire que d’autres athlètes valides s’intéressent au handisport", espère-t-il. Car trouver un pilote est souvent difficile pour les athlètes handisport. Ils sont d’ailleurs une poignée de valides dans le monde à avoir rejoint le handisport dans la suite de leur carrière. Aujourd’hui, François Pervis, qui n’avait jamais été pilote avant, est le seul athlète valide tricolore au palmarès aussi garni à les avoir rejoints. A titre de comparaison, seul l’Allemand Robert Förstemann, champion du monde de vitesse par équipes en 2010, l’a fait avant lui.
Faire monter les lactiques
Pour cette séance d’entraînement de ce samedi, l’objectif est de faire monter l’acide lactique, produit par les cellules musculaires lorsque les muscles sont intensivement mobilisés. "Ce matin, l’entraînement consiste à accumuler des toxines, les lactiques dans les jambes pour habituer le corps à les supporter. Cet exercice ne s’occupe pas vraiment du chrono, c’est plus un effort dans la longueur. Il faut accumuler les efforts, faire monter le lactique, se faire violence", décrit François Pervis. Au programme, quatre sessions, une première de 500m, une deuxième de 750m, une troisième de 1000m et enfin une dernière de 750m. La feuille de route annoncée, le duo enfourche son tandem, fixe ses chaussures aux pédales et s’élance sur la piste pour la première session.
Leurs premiers tours, effectués à vitesse réduite, ne sont pas des tours d’échauffement mais une manière d’atteindre la balustrade de la piste incurvée et de lancer ainsi leur effort. "L’idée est de partir vite, pour faire monter les lactiques, et d’essayer ensuite de garder la vitesse tout du long. Ça brûle, mais il faut continuer, même si on finit à la ramasse", explique Raphaël Beaugillet. Quelques secondes avant d’atteindre la balustrade, le pilote François Pervis s’écrit en direction de l’assistance : "La prochaine". Une annonce qui permet à la fois à Mathieu Jeanne, l’entraîneur national de l’équipe de France qui leur apporte une expertise sur le tandem, de lancer le chrono, et à Raphaël de se tenir prêt. Car même si le chrono n’est pas la priorité sur ce type d’entraînement, tous y jettent malgré tout un coup d’œil.
En quelques secondes, le tandem a déjà réalisé un tour et les enchaîne en essayant de maintenir la vitesse. "On s’est pas trop mal lancé par rapport à la semaine dernière", constate François Pervis à la fin de la première session. "Mais quand on est dans la descente là-bas, il faut y aller franchement", analyse-t-il avec Raphael Beaugillet, qui acquiesce. Le dialogue et l’échange sont essentiels au sein du tandem, chacun y apporte son retour d’expérience et se complète. "J’apprends encore à être pilote. C’est beaucoup de partage", confie celui qui compte bien mettre ses vingt ans d’expérience sur piste au profit de son tandem. Annoncer les tours, donner les signaux de se mettre debout ou assis, ou encore de veiller au bon démarrage du sprint, sont les missions confiées à François Pervis en tant que pilote. La relation qui unie les deux athlètes n’est donc pas celle de l’entraîneur-entraîné, mais bien de coéquipier. Et malgré son handicap, Raphaël Beaugillet insiste pour être traité comme un athlète valide. "Pour faire mon sport, j’oublie le handicap. Je dis toujours à mon entraîneur de me considérer comme un athlète 'normal'", livre Raphaël Beaugillet, qui a perdu la vue en 2009 suite à une neuropathie optique, une maladie génétique qui altérera progressivement sa vision.
La complexité du tandem, la coordination
Au bord de la piste, plusieurs ordinateurs sont installés sur une table pour suivre les performances des athlètes lors des entraînements. Sur les écrans, des tableaux Excel regroupent des données des entraînements, et des images prises lors des séances tournent en fractionnée. Pour suivre au plus près les performances des athlètes, les entraîneurs utilisent, en plus des chronos et des images, les données fournies par des capteurs. "Raphaël et François ont chacun un capteur sur le vélo, qui nous permet de suivre les données, qui vont nous permettre de voir et de comparer si l’un est plus en forme que l’autre par exemple", indique Mathieu Jeanne, l’entraîneur de l'équipe de France. Les capteurs relèvent des données de puissance et de cadence. Ces dernières sont notamment passées à la loupe afin d’analyser quel braquet (autrement dit la combinaison “plateau” et “pignons”) est le plus optimal pour le tandem.
"On prend aussi des vidéos lors des entraînements que ce soit pour nous, pour eux, ou pour leur entraîneur respectif. Car parfois les vidéos vont plus vite que des mots pour faire passer un message", précise encore Mathieu Jeanne. Toute la complexité du tandem est que les deux athlètes soient dans le même état de forme en même temps. Et qu’ils aient les mêmes réflexes. "La particularité du tandem, c’est aussi la technique au départ. Il faut qu’ils aient une synchronisation entre eux au moment du départ, qu’ils aient la même réaction. Bien se connaitre dans un tandem nécessite beaucoup de travail", poursuit Mathieu Jeanne.
"Notre meilleure chance de médaille en cyclisme"
A la fin de la troisième session de l’exercice, le duo commence à montrer des signes de fatigue, leur respiration est forte et rapide, leur visage marqué. Ils n’arrivent même plus à se parler pendant quelques minutes. L’intensité de l’exercice commence à faire ressentir. "C’est vraiment un effort sur lequel tu vomis le plus facilement", souligne François Pervis.
Lors de la dernière session, les autres athlètes présents eux aussi pour leur entraînement, sont tous unanimes : le nouveau tandem formé par Raphaël et François impressionne. "On voit la différence avec ce tandem", remarque Marie Patouillet, vice-championne du monde de paracyclisme sur 500 m arrêté et omnium, assise sur le bord de la piste, en observant le tandem. "Le projet pour nous, à la fédé, était d’avoir un couple fort. C’est notre meilleure chance de médaille en cyclisme masculin", confirme Christian Février, le DTN de la Fédération française de handisport (FFH), également présent au vélodrome.
La séance a été dure. A la fin de la quatrième session, les visages sont tirés. "Je crois que c’est l’entraînement le plus dur qu’on ait fait, qui fait le plus mal. Après une séance comme celle-ci, je me sens comme shooté, pas toi ?", demande Raphaël Beaugillet, essoufflé, à François Pervis. "Non, au contraire, je me sens bien après coup, c’est un bon décrassage", lui répond le septuple champion du monde sur piste.
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Aujourd’hui, les deux hommes n’ont qu’un objectif en tête : celui des Jeux paralympiques de Tokyo, qui auront lieu du 24 août au 5 septembre 2021. Si le tandem n’est pas encore qualifié – l’UCI donne les quotas par pays mi-juin - Raphaël Beaugillet, rêve de participer à ses premiers Jeux. Et pour François Pervis, qui tente l’aventure des paralympiques pour la première fois, l’enjeu est tout aussi unique. "Si j’ai décidé d’accepter de me lancer dans ce projet, c’est que j’ai senti le potentiel qu’il y avait pour décrocher une médaille paralympique à Tokyo avec Raphaël. Et puis, les Jeux ont lieu au Japon et c’est un pays très important pour moi", indique le quadruple champion du monde du kilomètre. Comme de nombreux athlètes de haut niveau, le report des Jeux olympiques et paralympiques a davantage été perçu comme une chance pour Raphaël Beaugillet. "Notre tandem avec François est tout neuf donc ce report nous permet d’avoir plus de temps pour se préparer à cet échéance." Et espérer briller à Tokyo sur la plus haute marche du podium.
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