Soupçons de dopage sur le Tour de France : "Il ne suffit pas de saisir des poches de sérum physiologique pour établir une violation", indique l'AFLD
Du sérum physiologique a été saisi à l'hôtel de l'équipe Arkéa-Samsic ce mardi. Ce type de solution peut servir notamment à masquer le dopage sanguin mais pour Mathieu Téoran, secrétaire général de l'Agence française de lutte contre le dopage, la méthode est difficile à prouver.
Les gardes à vue du médecin et du kinésithérapeute du cycliste d'Arkéa-Samsic, Nairo Quintana ont été prolongées mardi 22 septembre pour des soupçons de dopage. Selon les informations de franceinfo, du sérum phyiologique a été saisi dans l'hôtel des coureurs de l'équipe bretonne.
Ce produit peut permettre de "masquer l'usage de certaines méthodes de dopages sanguins", explique Mathieu Téoran, secrétaire général de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) mais il précise qu'"il ne suffit pas de saisir des poches de plus de 100 millilitres [de sérum physiologique] pour établir la violation".
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Mathieu Téoran indique par ailleurs que "l'enquête préliminaire, quand bien même elle aurait des éléments assez flagrants, ne permet pas de prendre des mesures sportives immédiates rapides pour écarter des sportifs qui auraient fauté."
franceinfo : Le sérum physiologique, à quoi cela sert-il précisément ?
Mathieu Téoran : Dans le domaine sportif, cela a été pas mal utilisé à des fins d'hydratation ou de récupération, et parfois associé à du glucose et des vitamines. Mais il a été inscrit sur la liste des produits interdits par l'Agence mondiale antidopage (AMA), notamment parce que cela permet de masquer l'usage de certaines méthodes de dopage sanguin en particulier. Il diminue le taux d'hématocrite [volume de globules rouges], en diluant le sang. Vous augmentez le volume sanguin total, et donc le ratio entre le nombre de globules rouges et le volume total de sang va diminuer. Or, ce ratio est utilisé dans le cadre du passeport biologique pour essayer de détecter, par exemple, la prise d'EPO. Mais le sérum physiologique, on ne va pas le tester, le détecter directement. Justement, il faut le saisir. Il faut avoir des témoignages, des aveux, etc. Des échanges de courriers, par exemple. Le sérum physiologique, comme son nom l'indique, se trouve déjà dans le sang.
C'est pour cela que cette méthode-là est difficile à repérer ?
Oui, c'est un peu la difficulté de cette méthode là. Il y a d'autres méthodes interdites, telles que les transfusions sanguines. Là, ça, c'est établi : la moindre goutte de sang transfusé constitue une violation des règles antidopage. Ce n'est pas le cas pour le sérum physiologique ou pour autre liquide. Ce sont les perfusions intraveineuses de plus de 100 millilitres par périodes de douze heures qui sont interdites et qui constituent en France, en plus, une infraction pénale sur la base de laquelle l'enquête a été engagée. Oui, c'est la difficulté. Il ne suffit pas de saisir des poches de plus de 100 millilitres pour établir la violation. C'est aussi une vieille pratique.
À ce stade, est ce que Nairo Quintana peut tout de même continuer à courir ?
Mise à part la question morale, la question de la pression des médias, etc, c'est un peu la difficulté de l'exercice judiciaire. L'enquête préliminaire, quand bien même elle aurait des éléments assez flagrants, ne permet pas de prendre des mesures sportives immédiates rapides pour écarter des sportifs qui auraient fauté. Je n'ai pas d'information particulière, mais de façon générale, il faut que la justice transmette les preuves. Elle n'est pas toujours disposée à le faire, il y a le secret de l'enquête - même si, en France, les dispositions légales permettent d'échanger des informations avec l'Agence française de lutte contre le dopage. Mais l'autorité judiciaire est parfois lente et dans ce cas, on est démunis.
L'enquête vise pour l'instant le médecin, le kiné de Nairo Quintana, qui n'est pas salarié de l'équipe. Est ce que c'est une pratique qui peut poser problème en termes de transparence ?
Oui, l'enquête judiciaire, sur ce qui a été saisi, c'est une chose, elle suit son cours. Mais c'est vrai que pour une agence antidopage, ça nous intéresse beaucoup, la manière de gérer l'entourage dans l'équipe. Nous, on a un travail de renseignements, d'enquête très ouverte sur l'entourage des sportifs. Il y a par exemple une liste de personnes auxquelles les sportifs n'ont pas le droit d'avoir recours comme soigneur ou encadrant parce qu'ils ont été condamnés pour dopage. Il y a aussi des personnes pour lesquelles on peut avoir suspicion. Et donc, on essaye d'enquêter.
La difficulté en France, c'est que les pouvoirs d'enquête des agences antidopage sont très restreints.
Mathieu Téoran (AFLD)à franceinfo
C'est tout à fait possible que l'équipe d'un coureur ne soit pas au courant d'un dopage. L'équipe maîtrise moins ce qui se passe autour du sportif, les canaux d'information habituels ne fonctionnent pas et toutes les formes d'opacité profitent à la fraude potentielle.
L'Union cycliste internationale considère qu'en Colombie, les produits interdits sont plus facilement accessibles. L'harmonisation des règles au niveau mondial peut-elle poser problème ?
Plus que l'harmonisation des règles, c'est la mise en œuvre de ces règles qui posent question. Il y a des moyens très inégaux qui sont consacrés selon les pays à la lutte contre le dopage. Il existe encore des zones où les capacités antidopage doivent être renforcées, construites. Il y a toute la question de gouvernance autour, parce que l' antidopage dans un pays n'est pas immunisé contre les dérives qu'on peut connaître en matière de gouvernance, de corruption.
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