Tour de France 2021 : Tadej Pogacar, un sacre en clair-obscur
Le Slovène a remporté pour la deuxième fois de suite le Tour de France, dimanche, alors que plusieurs doutes pèsent sur sa formation.
On ne sait pas si Tadej Pogacar est un adepte du Caravage, ce peintre italien qui a révolutionné la peinture du début du XVIIe siècle. Mais tout comme l’artiste transalpin, le Slovène est un esthète du clair-obscur. Son sacre surprise l’an dernier en était une esquisse, ce deuxième titre, dimanche 18 juillet, est un tableau de maître.
La face claire, presque immaculée de son triomphe sur les Champs-Elysées, c’est la manière dont le Slovène a construit sa victoire. Favori à sa propre succession, le "lutin de Komenda" a assumé son statut du premier au dernier jour. Il avait agi dans l’ombre avant de prendre la pleine lumière, la veille de l'arrivée, l’an dernier. Il a cette fois inversé les couleurs sur le nuancier : quatre étapes bretonnes en contrôle, avant de frapper un grand coup lors du chrono, puis d’évoluer dans une lumière teintée de jaune à partir de la 9e étape.
Un prodige depuis l'enfance
Vorace, glouton, presque gargantuesque, Pogacar n’a laissé que les miettes du festin de victoires où il a invité qui il souhaitait sur ce Tour. Aussi omnipotent qu'il ait-été, Pogacar a gagné avec panache, décontraction et insouciance. Personne ne pourra lui enlever ça. Placer une attaque à plus de 30 kilomètres de l’arrivée, sous le déluge, avec encore deux cols à gravir, dès la première étape de montagne, très peu l'auraient osé.
Le Slovène l'a joué comme d'habitude, à l'instinct. Il a été le plus entreprenant de tous les favoris. C’est lui qui attaque dans la montée finale à Tignes, c’est encore lui qui est le premier à se lancer dans le col du Portet. Pogacar était le plus fort, mais il était aussi le meilleur attaquant de ce Tour.
Après tout, cette réussite ne représente que la suite logique du talent gigantesque du gamin de Klanec, dans la banlieue de Komenda. Pogacar dominait déjà chez les juniors, il fait de même chez les adultes. Habitué à gagner (presque) seul, il répète les mêmes gammes inlassablement. Talent générationnel, "fuoriclasse" : Pogacar coche toutes les cases du génie qu'on ne croise qu'une fois par décennie. "A neuf ans, je roulais avec des garçons de deux ans plus âgés que moi, car nous n'avions pas de catégorie pour les jeunes comme moi en Slovénie. C'était une course avec des tours de trois kilomètres, mais je suis allé devant et j'ai gagné", se souvenait-il sur son site officiel.
L'ombre gênante d'Aderlass
Oui mais voilà, le clair-obscur est un jeu de lumières subtil où l’ombre et la lumière se côtoient sans jamais se mélanger. Si chaque victoire demeure comme une ligne dans les livres d’histoire, elle ne se lit réellement qu’à l’aune de ce qui l’entoure. Et pour Pogacar, la sphère de soupçons qui l'encercle ne peut être totalement mise sous le tapis tant elle a nourri les conversations, interrogé les suiveurs et fait grincer les dents des plus méfiants.
Le climat de suspicion qui a entouré ses performances est inévitable : remporter le Tour de France avec trois étapes et trois maillots distinctifs deux fois de suite implique un doute naturel après tant d’années noires et de mensonges. Porter le maillot jaune est autant une bénédiction qu'un fardeau pour ceux qui paient les pots cassés d'années de bobards lâchés sereinement en mondovision.
L'avenir nous dira si Pogacar est véritablement le vent de fraîcheur qui balaye le Tour depuis deux ans, ou un nouvel esbroufeur de grand calibre. Mais plus que lui, c'est le cyclisme slovène qui est très surveillé. La perquisition mercredi 14 juillet de l’hôtel Bahrain-Victorious - dont le patron Milan Erzen est slovène et qui a vu plusieurs de ses coureurs slovènes suspendus pour dopage dans l’opération Aderlass - n’a rien fait pour rassurer tous ceux qui doutaient déjà (mais toujours sans preuves) de la prise de pouvoir foudroyante des Slovènes sur le cyclisme mondial.
La formation de Pogacar, UAE-Emirates, n’y est pas liée, mais elle n’a pas échappé à la méfiance qui entoure le maillot jaune. A ce titre, le manager Mauro Gianetti cristallise toutes les inquiétudes. Le patron de la formation émiratie avait été entre la vie et la mort en 1998 après inoculation de perfluorocarbures (PFC), une substance du milieu hospitalier à titre expérimental, et qui produit les mêmes effets que l’EPO. Il était également le manager de la formation Saunier-Duval - une entreprise de chaudières, ça ne s'invente pas - qui employait Riccardo Ricco, contrôlé positif à l’EPO lors du Tour de France 2008.
Liaisons dangereuses
"Il y a des gens dans son entourage qui ont fait du mal au vélo par le passé. Maintenant, si on doit nettoyer toute la caravane du Tour de France de toutes les personnes qui ont fait du mal au vélo, on va se sentir seuls", déplorait à franceinfo Jérôme Pineau, le manager de la formation bretonne B&B Hôtels p/b KTM. Tout un environnement qui n’inspire pas à l’optimisme mais qui ne permet, pour ceux qui doutent, que des supputations sans preuves à l’heure actuelle.
Pogacar lui, s’est défendu autant qu’il pouvait. "Ce sont des questions inconfortables car l'histoire du cyclisme n'a pas été rose, mais je comprends totalement pourquoi il y a toutes ces questions", a expliqué le Slovène, dont le visage juvénile et le gabarit frêle tranchent avec certains robots aseptisés du passé. "Le cyclisme, pour moi, c'est un jeu. Je reste encore jeune, j'aime la vie. Si on ne s'amuse pas dans le sport que l'on fait, c'est qu'on n'a rien compris. Il faut s'amuser", rappelait-il samedi.
Proche de Gianetti depuis plusieurs années, "Pogi" veut faire partie du cyclisme de demain, celui qu’il incarne mieux que quiconque du haut de ses 22 ans. La candeur de son visage est-elle la même que celle qui accompagne ses performances ? "Je pense que ce qui s’est passé appartient au passé. Le nouveau cyclisme est un sport bien plus beau qu'auparavant", a-t-il avancé, convaincu. On ne demande qu’à le croire. Que l'obscur qui gravite autour de ses victoires disparaisse pour qu'il ne reste que le clair.
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