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Coronavirus - Thibaut Pinot à cœur ouvert dans une interview exclusive : "Le vélo n'est rien à côté de tout ça"

Sa parole est rare, surtout en cette période où la France et l’Europe vivent au ralenti en raison du Covid-19. Thibaut Pinot ne s’est pas exprimé depuis la fin de Paris-Nice. L’un des coureurs préférés des Français nous raconte comment il vit le confinement, ses inquiétudes et sa crainte de voir le Tour de France et les Jeux Olympiques annulés à cause de la pandémie.
Article rédigé par franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 11 min
 

Comment vivez-vous cette pandémie et la mort de ces milliers de personnes ? Êtes-vous inquiet ?
Thibaut Pinot : "Je ne suis pas touché personnellement par le virus mais autour de chez moi, beaucoup de personnes le sont et de façon assez grave. Je sais que ce confinement n’est pas là comme ça, c’est parce que la situation est grave, pour la bonne cause, pour notre santé à tous, alors j’encourage tout le monde à rester chez soi pour que l’on passe à autre chose le plus rapidement possible. "

Vous dites que vous n’êtes pas touché directement mais vos parents sont confrontés au virus dans leur travail ?
TP : "Oui, ma mère est infirmière et mon père travaille dans les pompes funèbres, ce sont deux métiers où l’on est en contact avec le virus. Ils savent que c’est une période difficile, ils sont exposés, ils font très attention. On habite à moins d’un kilomètre les uns des autres mais on essaie de ne plus se voir, parce qu’ils peuvent choper le virus et ça m’inquiète parce qu’il est très dangereux et qu’on peut tous l’attraper…"

Comment vivez-vous le confinement ?
TP : "Pour l’instant, je le vis plutôt bien on va dire, vu que je suis en repos depuis la fin de Paris-Nice. Je le vis de façon normale, je n’ai pas la peur de ne pas m’entraîner donc je n’ai pas ce souci-là. Mais quand ça va être la reprise, alors là, faire du home-trainer va vite me faire chier (sic), donc ça va être plus compliqué."

Où vivez-vous ce confinement ?
TP : "Je suis chez moi à Melisey, j’ai la chance d’être à la campagne profonde, je peux aller pêcher dans mon étang juste à côté de chez moi et m’occuper de mes animaux, j’ai de quoi m’occuper…"

Pendant cette période sans vélo, vous en avez même profité pour créer un compte Instagram pour vos biquettes !
TP : "(Rires) Oui, je leur ai créé un compte insta avec ma copine parce que l’on s’ennuyait un après-midi ! Je leur donne les biberons car j’ai le temps de le faire… Beaucoup s’ennuient en ce moment. Moi, avec tout ça, je ne m’ennuie pas une minute, ça prend de l’énergie. Dans les temps qui courent, ça me fait du bien."

Vous êtes en période de repos vous l’avez dit mais est-ce que vous vous entretenez un minimum ?
TP :
"Au niveau physique, je fais un peu de gainage le matin et un peu de marche…"

Avez-vous l’impression d’avoir fait votre préparation hivernale pour rien ?
T.P. : "Je ne suis pas encore dans cette frustration là parce que finalement, j’ai pris ces dix jours de repos un peu plus tôt que prévu, parce que je devais faire le Tour de Catalogne. Mais en ayant fini sur une cinquième place à Paris-Nice, je sais que je n’ai pas fait ça pour rien. Lorsque tu coupes aussi longtemps que moi après le Tour (ndlr : trois mois), il y avait beaucoup de travail pour revenir, donc je ne suis pas frustré. J’avais un peu peur après une telle coupure l’an dernier, mais j’ai eu de bonnes périodes d’entraînement notamment à Tenerife sur le volcan Teide. Mais en février au Tour de Provence et au Tour des Alpes-Maritimes et du Var, je n’ai pas eu de bonnes sensations du tout, je n’ai pris aucun plaisir car mes sensations étaient vraiment mauvaises… J’ai commencé à douter puis lors des deux dernières étapes de Paris-Nice, je me suis rassuré et suis revenu à un très bon niveau."

Quand êtes-vous censé reprendre l’entraînement ?
TP : "A partir de jeudi ou de ce week-end, ça dépend de la météo, euh non, on s’en fout au final de la météo (rires), je vais remonter sur le home-trainer jeudi ou vendredi…."

Vous qui aimez rouler dans la nature et dans la montagne, ça ne doit pas beaucoup vous enchanter ?
TP : "Je pense que mon record sur home-trainer, c’est 1h30 ! Je ne supporte pas de faire du sport dans un milieu fermé surtout quand il fait beau. C’est encore plus dur ! Je n’ai pas envie de m’user mentalement, je ferai 1h30 maximum avec un peu de gainage, j’attends de voir combien de temps va durer le confinement, je n’ai pas envie d’y penser maintenant surtout si ça dure six semaines…"

On dit que le confinement pourrait durer jusqu’à début mai…
TP :Je fais semblant de ne pas entendre…(rires)"

Mais en confinement, le home-trainer sera votre façon de garder le contact avec le vélo même si cela n’a rien à voir avec ce que vous faites à l’entraînement sur route pendant quatre, cinq ou six heures...
TP :
"Oui, ça n’a rien à voir ! Je ne sais pas si on travaille vraiment d’ailleurs sur home-trainer. On perd beaucoup de sels minéraux, on sue énormément, je pense que ce n’est pas très bon de faire trop de home-trainer…"

"Certains roulent et mettent sur les réseaux pour narguer"

Comment vivez-vous cette interdiction d’aller rouler sur la route, vous dont c’est le métier ?
TP : "Je respecte les règles et les consignes de l’État et de mon équipe. C’est pour tout le monde pareil. Ici, on sort d’un hiver dur, où il a beaucoup plu, on rentre dans une belle période, c’est frustrant mais il faut l’accepter, ne pas s’énerver et garder son calme…."

Que pensez-vous des cyclo ou coureurs professionnels qui vont rouler malgré les appels à rester cher soi ?
TP : "Moi ça me désole, je vois certains qui font ça et le mettent sur les réseaux sociaux pour narguer un peu les autres. Là, on parle de pros qui roulent et qui le montrent, ça nous met en colère de voir ça. Et même si certains ont le droit de le faire dans leur pays, tu n'es pas obligé de le mettre sur les réseaux sociaux !"

On l’a compris, vous n’aimez pas le home-trainer mais pourrait-on vous voir sur des courses sur des home-trainer connectés via l’application Zwift très en vogue chez les coureurs, surtout en période de confinement ?
TP : "Peut-être que je vais y venir, je ne vais pas y penser maintenant mais on y sera peut-être obligé si le confinement dure. Mais je dois reprendre avant pour m’entraîner parce que sur ces courses, ça va très vite. Il faut prendre jour après jour, c’est pareil pour tout le monde…"

Avez-vous peur dans ce contexte de confinement de prendre du poids ?  Faites-vous particulièrement attention ?
TP : "Pour l’instant, vu que je suis en coupure, je ne me prends pas la tête là-dessus mais au bout d’un mois et demi, ce sera une vraie inquiétude. Après les courses, j’ai retrouvé petit à petit mon poids de forme. Pour moi, le plus dur, c’est que je vais reprendre mes deux kilos comme en coupure. Mais on sait très bien qu’il faut essayer de manger moins de calories qu’on n’en dépense, éviter les glucides et tout ce qui est sucré, on évite les mauvaises choses. Je suis naturellement assez souvent dehors, je ne pense pas trop à manger mais j’ai tendance à aimer la bonne bouffe. Pour moi, le plus dur, c’est l’hiver où je prends trois kilos qui sont durs à perdre..."

On imagine que cela doit être compliqué de s’entraîner sans objectif, sans savoir pour quelle course vous le faites ?
TP : "Pour l’instant j’ai l’impression d’être en octobre et que je vais reprendre le vélo avec des petites sorties. Cela ne sert à rien de faire des sorties de six heures, on essaie de ne pas y penser. Ça ne sert à rien de se prendre la tête, on n’a pas de date, on ne sait rien, lorsqu’on aura des dates de courses et qu’on en aura le droit, on retournera sur les routes, mais jusque-là il faut patienter. On est beaucoup dans le peloton dans le même cas…"

Mais après trois semaines voire un mois sans rouler pour un coureur professionnel, c’est très compliqué et très long de revenir à son meilleur niveau ?
TP : "15 jours ça va encore. L’an dernier, je l’ai fait après le Tour de Catalogne et un mois et demi après, j’étais parmi les meilleurs sur le Dauphiné. Mais à partir d’un mois, c’est comparable à la coupure hivernale et là, il nous faut trois mois pour revenir. 15 jours sans rouler, c’est le maximum pour être prêt début juillet pour le Tour."

"Si le Tour est annulé, cela voudra dire que la pandémie s'est aggravée"

Craignez-vous justement que le Tour de France soit reporté ou même annulé ?
TP : "Je serais surtout inquiet parce que si on l’annule, cela voudrait dire que la pandémie s’est aggravée. Je ne sais pas si ASO (ndlr : Amaury Sport Organisation, l’organisateur du Tour) peut le retarder. Mais oui il peut être décalé ou supprimé, et oui forcement ça m’inquiète car une année sans le Tour et sans grand Tour, c’est une année compliquée…"

Si le Tour était annulé, ce serait une année pour rien, surtout pour vous qui êtes dans vos meilleures années…
TP : "Oui c’est sûr, cette année, c’est un parcours qui me correspond totalement, je suis dans mes meilleures années, j’ai 30 ans, je suis au top. Ce serait une année de perdue mais je ne sais pas si après, toutes le courses vont s’enchaîner en juillet, en août puis les mois qui suivent…"

A contrario, si le Tour avait lieu comme prévu et que le confinement devait durer jusqu’en mai, serait-il possible d’être prêt avec seulement deux mois d’entraînement ?
TP : "C’est compliqué si on commence à s’entraîner sérieusement début mai pour être prêt début juillet. On serait à 90 %, mais sur le Tour, il faut être à 100%. Ça ne suffit pas pour être avec les meilleurs…"

Et les Jeux Olympiques ? Le Canada a annoncé qu’il n’enverrait pas ses athlètes cet été à Tokyo, certaines fédérations ou sportifs demandent le report des Jeux, quelle est votre position vous qui devez être le leader de l’équipe de France à Tokyo ?
TP : "Je pense surtout aux athlètes pour qui les Jeux sont vitaux, pour les trois-quarts des disciplines, c’est vital, comme l’athlétisme, la natation ou d’autres sports. Nous, on a la chance d’avoir le Tour comme vitrine, pour eux c’est les JO, au final pour nous l’important ce sera d’y être…"

Mais demandez-vous le report des Jeux ?
TP : "Je n’ai pas d’avis là dessus. Je suis juste pour que tout le monde soit sur un pied d’égalité, je préfère que tout le monde puisse se préparer à 100% toutes disciplines et toutes nations confondues."

Envisagez-vous un été sans Tour ni sans Jeux Olympiques ?
TP : "C’est dur parce que c’est tellement loin, j’ai du mal à me projeter si loin. Ce qui arrive est surréaliste, on se croirait dans une série, j’ai du mal à réaliser ce qui se passe. Si on nous demande de se projeter début août, c’est que ce qui se passe est vraiment très important…"

"J'ai du mal à penser qu'une saison entière puisse être annulée"

Craignez-vous une saison blanche ?
TP : "Oui on le craint tous. On espère surtout qu’on ne parle plus du virus mais j’ai du mal à penser qu’une saison entière puisse être annulée…"

Avez-vous peur aussi pour votre sport au niveau économique, autrement dit que les conséquences économiques soient très importantes pour le cyclisme ?
TP : "Je pense que les conséquences économiques d’une année blanche peuvent faire du mal à tout le monde, aux coureurs, au niveau des contrats, mais surtout pour les amateurs qui veulent passer pros, pour les néo-pros… Il y a beaucoup d’incertitudes pour les autres sports aussi. Il n’y a rien de positif là-dedans comme dans la société en général, pour toutes les entreprises. On est tous logé à la même enseigne…"

Vous qui êtes un grand fan de foot, ça doit vous manquer de ne plus voir les matches à la télé ?
TP :
"Oui ça me manque, c’est bizarre de ne plus voir de sport, il n’y a plus de courses, il n’y a que des rediffusions. Je n’allume plus la télé, je ne regarde plus la télé depuis dix jours."

Et je suppose que vous avez dû être très heureux de la qualification du PSG en quarts de finale de Ligue des Champions ?
TP :
"Oui je suis content, je ne pense pas que la Ligue des Champions va être annulée mais ça peut freiner l’élan du PSG. Lorsque l’on gagne comme ils l’ont fait face à Dortmund, ça te met dans une super dynamique et là il va falloir remobiliser tout le monde…"

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Rêvez-vous toujours du Tour ?
TP : "Je n’y pense pas trop dans ma tête, je suis reparti pour reprendre au Dauphiné, c’est la seule course qui est dans ma tête, c’est le Dauphiné. Cela voudrait dire que la pandémie est terminée et que tout va mieux, c’est plus dans cette optique-là que j’y pense."

Au final, diriez-vous que le vélo passe pour vous au second plan devant la gravité de la situation actuelle ?
TP : "Le vélo en ce moment est complètement dérisoire. Il y a tellement plus important que de savoir si le Tour va être annulé ou reporté. C’est pour ça que je ne me plains pas et si je dois faire du home-trainer pendant un mois, je n’ai pas le droit de me plaindre. On est dans une situation un peu irréelle et le vélo n’est rien à coté de tout ça !"

Qu’avez-vous envie de dire aux gens qui vous apprécient ou avez-vous un conseil à leur donner ?
TP : 
"Je suis mal placé pour donner un conseil. Le seul que je puisse donner, c’est de rester chez vous et de respecter les règles de confinement pour que l’on puisse retourner sur nos routes. Mais il y a des gens mieux placés que moi pour donner des conseils…"

Propos recueillis par Nicolas Geay

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