Thibaut Pinot, la formation d'un grimpeur hors pair
Thibaut Pinot, Warren Barguil, Adam Yates, Rudy Molard … Si l’on vous disait que tous ces coureurs qui brillent sur les routes du Tour de France sont en fait des Erbatons, vous auriez sans doute bien du mal à comprendre le sens de cette affirmation, et à raison. Le Britannique et les trois français sont pourtant bien liés par ce nom. Il désigne en fait les habitants de la commune d’Étupes (Doubs), mais aussi les coureurs de son club cycliste amateur, le CC Étupes, qui s’est imposé depuis dix ans comme l'un des principaux viviers de la formation française.
Avec 58 coureurs professionnels formés en vingt ans et 7 coupes de France remportées, le petit club de Division nationale 1 a fait sa réputation auprès des meilleures équipes du circuit professionnel. Passé par Étupes le temps d’une année, en 2009, Thibaut Pinot (Groupama-FDJ) fait aujourd’hui la fierté de son ancienne formation. Lui, le local, qui a grandi à 50 km de là dans la petite commune de Mélisey (Haute-Saône), est plus que jamais en lice pour remporter le Tour de France. L’occasion de se replonger dix ans en arrière, à l’aube de sa carrière chez les professionnels.
Sur les traces du frère aîné
Nous sommes donc en 2008, Thibaut est âgé de 18 ans. Alors qu’il brille en juniors sous les couleurs de l’AC Bisontine (Besançon) - avec laquelle il a remporté neuf victoires lors de sa deuxième saison, dont la Ronde de Haute-Saône – le Franc-Comtois décide de changer de club avant d’intégrer les espoirs. Il rejoint le CC Étupes, club de DN1 dont la réputation n’est plus à faire dans la région, avec l’ambition d’intégrer la cour des grands, et pourquoi pas une équipe World Tour.
"Nous le suivions depuis longtemps. Nous savions qu’il avait de très bons résultats et il y avait déjà eu un premier contact", se souvient Jérôme Gannat, ancien directeur sportif (DS) du club, aujourd’hui en charge de la réserve de la Groupama-FDJ. "Sa venue s’est faite assez naturellement. Le fait que son frère Julien (Pinot) était entraîneur au club à ce moment-là a aussi aidé", précise-t-il. Avec Julien Pinot à la tête de l’équipe DN1, le CC Étupes devient l’un des premiers clubs amateurs à mettre en place un entraînement scientifique, ce qui incite plusieurs coureurs à rejoindre le Doubs. "On était un peu novateurs dans le domaine. On a été les premiers au niveau amateur à s’entraîner avec des capteurs de puissance par exemple", explique Jérôme Gannat, tout en se souvenant combien la trajectoire du frère cadet des Pinot semblait déjà toute tracée à l’époque.
"Quand vous avez un junior comme ça, vous avez envie de le garder. Mais Thibaut avait un objectif clair, il voulait intégrer un grand club, pouvoir faire de grandes courses. Il avait énormément d’ambitions. Il voulait réussir et savait que cela passait par un club de haut niveau", raconte l’ancien directeur sportif du club. "Il savait exactement ce qu’il voulait. Quand on faisait le programme en début de saison, il avait déjà coché les courses qu’il voulait faire. C’était presque lui qui nous imposait ses choix de courses", plaisante-même Jérôme Gannat.
"Il était au-dessus du lot"
Habitué aux podiums en juniors, Thibaut Pinot enchaîne dans la catégorie supérieure. Les débuts sont prometteurs et le prodige de la pédale s’impose assez vite sur le Tour du Canton de Mareuil et Verteillac. Toutefois, sa précocité incite ses encadrants à le préserver, mais lui n’en fait qu’à sa tête. En février 2009, avant les trois jours du Vaucluse, Jérôme Gannat et Julien Pinot ne sont pas forcément pour envoyer leur protégé disputer la course.
Mais le natif de Mélisey, bien décidé à briller, parvient à convaincre son club de l’emmener. "On a tout de suite vu qu’il était au-dessus. Il n’avait que 18 ans et était déjà à l’avant avec les meilleurs. Il les accompagnait facilement dans les côtes. Très peu de coureurs sont capables de faire ça à cet âge-là", se souvient son ancien DS, qui a passé 14 saisons au sein de la formation franc-comtoise.
"Chez les juniors il était déjà très très fort, dès que les circuits étaient exigeants. Il se plaignait même souvent que les parcours n’étaient pas assez durs et assez longs", raconte Boris Zimine, ancien cycliste professionnel et grand ami de Thibaut Pinot, "Il faisait partie des meilleurs mais il n’était pas le meilleur. Je dirais que c’est chez les espoirs qu’il a commencé à mettre ses qualités de grimpeur en lumière. Un garçon qui gagne le tour du Val d’Aoste en espoir 1 devient rarement un manche", poursuit celui qui a d'ailleurs succédé à Jérôme Gannat au poste de directeur sportif du CC Étupes en 2019.
L'année de l'arrivée de Pinot (2009), le petit club de DN1 remporte la Coupe de France amateur pour la septième fois. Un véritable exploit pour une équipe créée en 1974 dans une ville de moins de 4000 habitants, surtout qu’en face, les principaux candidats à la victoire s’appellent UC Nantes, VC Rouen, SCO de Dijon ou Nogent-sur-Oise. C’est justement face au club du Nord que se joue la gagne lors de la course de Le Pertre, sur le circuit des deux provinces. Alors que Thibaut Pinot est le seul coureur du CC Étupes à l’avant avec une vingtaine d’échappés, le directeur sportif de Nogent va voir Jérôme Gannat et lui dit : "Tu laisses faire l’échappée alors que tu as juste un gamin de 19 ans à l’avant ?". Sans hésiter, Gannat répond par l’affirmative, "parce qu’on faisait entièrement confiance à Thibaut", se souvient-il.
Le meilleur dos au mur
Parfaitement intégré à l’équipe de son frère aîné au bout de quelques mois, Thibaut Pinot termine dixième du championnat de France amateur disputé en juin, et manque de peu le podium. Une performance remarquable pour un coureur aussi jeune, "dans une course qui était probablement plus relevée avant", admet Jérôme Gannat. Mais c’est surtout la capacité du jeune grimpeur à rebondir qui impressionne. Car si dix ans plus tard sur le Tour de France, le Franc-comtois a su parfaitement réagir dans les Pyrénées après avoir perdu 1’40 à Albi, c’est probablement qu’il s’est rappelé au bon souvenir d'exploits passés similaires.
En 2009 déjà, le gamin de Mélisey savait se transcender dans la difficulté. Contraint à l’abandon lors des championnats de France espoirs de Vendôme en août de la même année, Thibaut connaît une désillusion rare. Bernard Bourreau, sélectionneur de l’équipe de France espoirs à l’époque, remet alors en question sa participation au Tour de la Vallée d’Aoste, course extrêmement prisée par les cyclistes amateurs. Finalement sélectionné pour l’épreuve, le jeune Erbaton est vexé, piqué au vif. Il termine premier du classement général et remporte l’une de ses plus belles victoires avant de passer professionnel.
"Thibaut a toujours su rebondir rapidement. Quand il est touché dans son orgueil, c’est dans ces moments qu’il est le meilleur", analyse Jérôme Gannat. "Je me souviens d’une étape sur le Tour des Pays de Savoie, avant l’arrivée à Saint François Longchamp, Thibaut a une défaillance et perd quasiment 10 minutes. Il abandonne ses espoirs de victoire au classement général mais rebondit le lendemain, en gagnant l’étape. C’était incroyable", poursuit-il non sans nostalgie.
Dans le grand bain à 20 ans
Ces victoires de prestige donnent encore plus de crédit au CV déjà bien garni du jeune Pinot. Assez logiquement, il est vite repéré par les formations françaises du circuit professionnel : "Nous avions déjà couru ensemble en équipe de France et je devais changer de club pour le rejoindre au CC Etupes" se remémore Boris Zimine, "mais au mois d’août il a eu un appel de la FDJ lui disant qu’il allait passer pro".
"C’est allé très vite. Je n’étais pas forcément d’accord pour que Thibaut passe professionnel tout de suite. Je m’étais dit qu’il était peut-être préférable qu’il signe à la FDJ en cours d’année pour faire une première partie de saison chez les amateurs en tant que leader", raconte Jérôme Gannat. "Mais finalement il a eu de très bons résultats d’entrée chez les pros. En plus, il a été le détonateur. Son passage au CC Étupes a fait grandir le club d’un coup, et est devenu une vitrine pour d’autres coureurs comme Warren Barguil, Rudy Molard ou encore Adam Yates", poursuit le DS de la réserve de la Groupama-FDJ.
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La suite, tout le monde la connaît. Thibaut Pinot connaîtra une ascension fulgurante, et brillera sur les routes du Tour dès 2012, avec une victoire mythique à Porrentruy, puis une autre à l’Alpe d’Huez en 2015. Avec 31 victoires en professionnel, il est le meilleur grimpeur français de la dernière décennie. Et justement, dix ans après sa formation à Étupes – où il est d’ailleurs toujours licencié - les bénévoles et encadrants du club doubiste ont pu acclamer leur champion et les anciens du club à domicile, lors de l’arrivée à la Planche des Belles Filles.
"Il n’y a pas 10 français capables de gagner le Tour, pour moi, il n’y en a qu’un seul", affirme son ami Boris Zimine, qui reconnaît aussi que la simplicité du Franc-comtois fait sa force, "Thibaut est très attachant mais il faut gagner sa confiance. Il ne se donne pas en spectacle, il est comme il est. Même s’il est mature, ça reste un mec vachement détaché du vélo. Moi je ne parle jamais de vélo avec lui. Là où d’autres vont vraiment jouer avec leur image, lui aime la simplicité".
On ne saurait dire le contraire quand on sait que le 4e du général aime à rentrer chez lui, se ressourcer dans sa Haute-Saône natale, sur le plateau des Mille étangs. Pinot n'a jamais oublié les clubs par lesquels il est passé, et le démontre au quotidien. Et dimanche, quelle ne serait pas la fierté de ses anciens encadrants s'il devenait le successeur de Bernard Hinault, 34 ans plus tard.
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