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Tour de France 2019: Thibaut Pinot, dans les coulisses d'une tragédie

A deux jours de l'arrivée sur les Champs-Elysées, Thibaut Pinot a abandonné, lors de la 19e étape du Tour de France. Une douleur musculaire avait fait son apparition la veille. Impossible à dompter dans les Alpes. Retour sur une immense désillusion individuelle et collective dans l'équipe Groupama-FDJ.
Article rédigé par Thierry Tazé-Bernard
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
 

 "Je me suis toujours battu. J’y croyais." La voix chevrotante, les larmes dans les yeux, Thibaut Pinot est totalement abattu, détruit. Quatre heures avant, il a dû se résoudre à abandonner le Tour de France qu'il avait tant animé. En larmes. Un peu avant, il est arrivé en voiture, en compagnie de Stefan Küng, le visage fermé, comme tous ses coéquipiers qui pénètrent dans leur hôtel de Tignes après cette étape arrêtée en raison des intempéries.

Une douleur apparue au col de Vars jeudi

Depuis la veille, il souffrait. "Il a commencé à souffrir durant l’étape d’hier", explique Jacky Maillot, le médecin de l'équipe Groupama-FDJ. "Au début du col de Vars, il a commencé à sentir cette douleur, qui est devenue très vite importante. Sur le Galibier, comme il m’a dit, il avait tellement mal partout que cette douleur…" Mais au retour à l'hôtel, ce n'était plus la même chose. "Quand il est arrivé à l’hôtel, il ne pouvait quasiment pas marcher. Il était impossible pour lui de monter les escaliers. Il a fallu l’aider", raconte le médecin, qui a fait un diagnostic clinique et mis en place un traitement: "On a fait des soins, de la physiothérapie, des traitements… Ca a amélioré sa situation pendant la nuit, où il a pu dormir. Mais on ne se faisait pas d’illusions."

Cette douleur, le Français ne sait même pas avec certitude d'où elle vient: "J’ai eu un petit coup à l’arrivée à Nîmes. Je ne suis pas sûr que ce soit ça. J’ai vraiment eu mal lors d’une relance hier dans la première descente". Jacky Maillot ne peut, en ce jour noir, que se hasarder à quelques hypothèses dans l'attente d'une imagerie par résonance magnétique (IRM): "C’est une lésion musculaire. Parfois, on peut avoir de petites lésions anciennes, et sur un faux mouvement, cela peut créer des micro-déchirures autour de cette cicatrice qui peuvent provoquer des oedèmes importants. Cela aurait été des étapes de plaines, cela aurait pu passer. Des étapes comme aujourd’hui, il faut être à 100%, sinon on n’est pas dans le coup."

Le matin, au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, "il a fait du home trainer", détaille Jacky Maillot. "Ca tirait, évidemment. On savait que les premières bosses seraient décisives." Et le verdict est tombé rapidement: "Dès le premier grimpeur, il nous a dit qu’il n’arrivait pas à pédaler", explique Matthieu Ladagnous, son coéquipier. "C’était clair, qu’on allait se baser sur Thibaut en sachant qu’il y avait qu’une petite chance qu’il aille au bout de cette journée", note Philippe Mauduit, l'un des directeurs sportifs au sujet de la tactique de l'équipe. "Mais elle était infime."

C'est pour cela que lorsque le N.51 est allé à la voiture médicale, ses coéquipiers ne l'ont pas encadré, attendu. "C'était difficile d’arrêter tous ses copains", justifie le technicien. "Cela n’aurait rien changé malheureusement. Cela ne lui aurait pas permis de repartir, de finir. Cela n’aurait rien changé qu’il ait toute l’équipe autour de lui à ce moment-là. Il sait qu’il a le soutien de l’équipe." Yoann Offredo, ancien coéquipier aujourd'hui chez Wanty-Gobert avouait à l'arrivée: "Je n'ai jamais pleuré sur un vélo. Mais là, quand je l'ai vu en larmes, ses coéquipiers aussi..." L'accolade de William Bonnet, capitaine de route de la formation française, a été comme un dernier salut au leader, avant qu'il n'entre dans la voiture de son équipe.

Thibaut Pinot hors du Tour, presque une malédiction. L'an dernier, 3e du Tour d'Italie, il avait dû abandonner, malade, à la veille de l'arrivée. "J’étais déjà avec lui et le dernier jour il est malade. Ca s’acharne sur lui", constate amèrement Matthieu Ladagnous. "On est très déçus. On a tous le moral dans les soquettes. On avait tous le même but : mettre Thibaut sur le podium. Il pouvait espérer de belles choses cette année, et même la gagne." Thibaut Pinot y croyait lui-aussi, très fort: "Je sentais que depuis dimanche dans les Pyrénées j’étais capable de le faire. Et sans ça j’étais sûr que je l’aurai fait. J’en étais convaincu. Rien ne pouvait m’arriver." Sauf l'imprévisible. Un coup du sort qui lui fait dire que c'est sa plus grande déception en carrière: "Là, j'en ai marre. Ca va prendre du temps mais c'est le Tour."

Grandir dans l'échec

Marc Madiot, son manageur, le sait aussi: "Il y a une grosse déception bien évidemment. Il va falloir passer à l’étape suivante, la reconstruction. Ça fait partie du sport et de la compétition. Pour moi il est grand et il le restera parce que c’est un coureur qui nous a toujours témoigné beaucoup d’affection, qui a toujours donné à son équipe, à ses partenaires, à ses coéquipiers et on se doit d’être avec lui en ce moment. Totalement. Tant qu’on pourra rester avec lui, on restera avec lui." Le Dr Maillot sait le chemin que son protégé va traverser: "Psychologiquement, c’est difficile à vivre, surtout qu’il était dans une grande forme." Mathieu Ladagnous en a bien conscience: "C’est dur de le réconforter. Même pour nous c’est difficile."

Pourtant, dans cette fin de journée bien sombre dans le ciel comme dans les têtes de la formation Groupama-FDJ, une éclaircie apparaît. "J’en suis à mon 23e Tour de France comme manager. J’ai connu de grandes détresses", relativise Marc Madiot. "C’est dans ces moments-là qu’on se forge et qu’on renforce une équipe. Ce n’est pas quand tout va bien qu’on devient une belle et bonne équipe, c’est quand ça va mal, qu’on est dans la difficulté et qu’on arrive à créer des liens entre les différents membres. Quand on y arrive, on revient plus fort. Je suis persuadé qu’on reviendra plus fort." C'est aussi l'état d'esprit du collectif: "Il va falloir rebondir et on va faire au mieux pour le ramener sur le podium l’an prochain", avance Ladagnous. "On a mis beaucoup de choses en place, mais là, c’est un truc rare, très rare", peste Jacky Maillot. "Mais on progresse. Il ne faut pas baisser les bras : on y arrivera." Ce ne sera pas en 2019.

"Un grand Tour, c’est difficile même quand tout va bien", estime Philippe Mauduit, fataliste. "Alors quand ton meilleur coureur a un pépin physique, cela donne une autre intensité. c’est juste un retour à la réalité. Parfois, il faut un petit peu de chance. Dans ce qui s’est passé avec Thibaut, il y un petit facteur malchance même si je n’ai pas envie de parler de malchance. Il peut arriver quelque chose à chaque seconde sur un grand tour. A chaque instant tu peux bien faire, mais tu ne maîtrises pas tout." Thibaut Pinot l'a encore appris à ses dépens.

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