Coronavirus - Thomas Voeckler : "Pas aberrant d'organiser le Tour de France"
Comment avez-vous réagi à l’annonce du report des Jeux de Tokyo ?
Thomas Voeckler : "Je n’ai pas été surpris. Comme tous les acteurs du sport, je suis de manière très proche l’actualité, on savait que ça ne serait pas possible, donc je ne dirais pas que c’était une surprise mais un soulagement."
Vous aviez mis en place une stratégie très précise pour l’équipe de France avec d’un côté, Thibaut Pinot et Julian Alaphilippe qui enchaîneraient le Tour de France et les Jeux et de l’autre, Romain Bardet qui aurait eu le temps de se préparer après le Giro ? Ce report remet-il tout en cause ?
T.V.: "Il y a les noms que l’on a sortis mais il y a des situations qui peuvent évoluer. L’ossature était faite autour de ces trois coureurs et la problématique était de gérer au mieux l’enchaînement Tour/JO et dès le début, on savait qu’on n’était pas sur d’être à 100% en sortant du Tour. C’était un luxe d’avoir avec Romain Bardet un coureur frais qui ne faisait pas le Tour, qui faisait des Jeux son objectif, on avait cette chance d’avoir trois coureurs de ce niveau là, capables de gagner, donc il va falloir revoir nos plans, on a eu beaucoup de moments de réflexion et tous nos plans tombent à l’eau…"
"Les coureurs pressentis pour les Jeux restent les mêmes"
Donc vous gardez votre équipe type ?
T.V.: "Que les Jeux soient reportés ou non, les coureurs pressentis restent les mêmes. On ne sait pas quand ça va être, disons que l’on prend acte du report. Pour le cyclisme sur route, ça a moins d’impact que le cyclisme sur piste ou le BMX, il y a le Tour de France qui est très important donc ils devaient faire le Tour, ça ne change pas des mois de plan d’entrainement sauf pour Romain Bardet qui devait passer par le Giro."
Mais beaucoup de choses peuvent changer en un an, pourrez-vous refaire la même équipe ?
T.V.: "Ce n’est pas possible de répondre parce que dans le vélo, il y a des valeurs sûres, Bardet, Alaphilippe et Pinot ne vont pas être nuls du jour au lendemain, mais il peut en effet y avoir des coureurs qui s’affirment, des révélations, des baisses de forme, il y a une chance que ça évolue. Une carrière n’est pas un long fleuve tranquille, ce n’est pas parce que l’on sort de deux années excellentes qu’on ne peut pas avoir une saison difficile ensuite. Il y a des hauts et des bas, il faut juste prendre acte que les JO sont reportés, on repart à zéro."
Et d’ici 2021, des jeunes coureurs peuvent se révéler et intégrer l’équipe de France ?
T.V.: "Il faut toujours être prudent et ne pas prendre pour acquis quelque chose, la concurrence à partir du moment ou elle est saine peut être bénéfique et qu’est-ce qui nous dit qu’un David Gaudu qui est dans un rôle d’équipier de luxe pour Thibaut Pinot ne va pas se révéler davantage, et si Warren Barguil revient à son meilleur niveau et Guillaume Martin, on ne sait pas jusqu’où il peut aller ! Tout était calé mais finalement là rien ne presse."
"Il ne faut pas que le Tour ait lieu à tout prix"
Avez-vous eu vos coureurs au au téléphone, comment prennent-ils ce report ?
T.V. : "Je les ai eus par message, c’est compliqué pour eux de penser aux Jeux, pas qu’ils s’en foutent, ce qui leur importe c’est de savoir quand ils vont reprendre, je n’en ai entendu aucun se plaindre, aucun ne dit 'c’est pas juste que l’on n’aille pas sur la route', ils font preuve d’un civisme absolu et d’un grand sens des responsabilités, mais finalement pour eux, c’est juste reporté, c’est juste partie remise car pour eux c’est un package Tour/JO…"
Et le Tour justement, comment peut-il avoir lieu alors que les Jeux sont reportés ?
T.V.: "Pour moi, ce sont deux événements différents en terme de brassage de population. Il y a beaucoup moins de nationalités différentes, moins d’acteurs, en termes de coureurs, de staff et de journalistes, et concernant l’équité sportive tout le monde est sur le même bateau, il faut voir si les coureurs peuvent reprendre l’entrainement à la même période, mais au moment où l’on parle, il n’est pas aberrant de penser pourvoir organiser le Tour. S’il a lieu, ce n’est que si la situation sanitaire le permet, il ne faut pas faire le Tour pour que le Tour ait lieu à tout prix, et ce n’est pas possible si les coureurs reprennent mi-juin. De toute façon, si le Tour a lieu, ce sera un Tour particulier et ce sera une année 2020 particulière."
Thibaut Pinot nous disait que le Tour ne peut avoir lieu que si les coureurs reprennent l’entrainement début mai car après ce sera trop juste, êtes-vous d’accord ?
T.V.: "Exactement, il est possible de s’entraîner à l’intérieur jusqu’à début mai, c’est faisable, mais l’on ne pourra pas être au top. Pour un sportif de haut-niveau ça va vite de revenir à 85% mais les 15% à aller chercher, c’est un travail colossal par rapport à la base, pour arriver à 100% ce sont des sacrifices énormes et des grosses base de travail…"
Un Tour plein de surprises
Dans ces conditions, on pourrait assister à un Tour très surprenant ?
T.V.: "Je ne sais pas à quoi ça ressemblerait, si tous les meilleurs sont sur un pied d’égalité en terme d’entrainement, ça ne changera pas grand chose, il y aurait des surprises dans les deux sens, mais au niveau du spectacle, la course serait belle aussi. Pour avoir côtoyé les responsables d’ASO, je peux vous dire qu’ils sont hyper respectueux des coureurs et du public, ils ne joueront pas avec la santé des coureurs… "
Vous voulez dire qu’ils n’organiseraient pas le Tour si les coureurs ne reprennent l’entrainement que début juin ?
T.V.: "Non, une décision aura été prise avant, il est évident que si début juin les coureurs n’ont pas repris, ce sera trop tard. Ils sont dans la réflexion, ils pensent pouvoir l’organiser, mais encore une fois, ASO a un grand respect pour la partie sportive au delà de la partie économique."
Etes-vous inquiet pour les équipes et l’économie du cyclisme dans son ensemble ?
T.V.: "La situation est catastrophique au niveau sanitaire et après il y aura la situation économique qui va être désastreuse, certaines des courses annulées ne survivront pas, elles sont faites par des passionnés bénévoles et certaines d’entre elles ne survivront pas.
Quant aux équipes, leurs sponsors sont de plus en plus gros, il n’y a plus de petits sponsors comme Brioche La Boulangère au début de ma carrière, les enjeux sont colossaux, et ces grosses entreprises seront impactées, et j’ai donc peur que les équipes financées par ces sponsors le soient aussi."
Et vous Thomas, comment vivez-vous cette situation et ce confinement ?
T.V.: "Je suis content de ne plus être coureur, c’est dur pour les coureurs, bien sûr on regarde la santé avant tout, mais c’est compliqué de gérer une période d’inactivité sans savoir quand reprendre. Moi, je fais l’école à la maison, j’ai essayé une fois, je me suis énervé, alors mon épouse fait la maîtresse d’école et moi je m’occupe de la petite qui a deux ans et demi, on respecte scrupuleusement le confinement, comme tout le monde, on est contraint de rester à la maison. Niveau vélo, tout est reporté et on attend que le calendrier se mette en place et ça voudra dire que ça va mieux. J’ai conscience qu’il y a pire que ce que vivent les coureurs et on a une vraie prise de conscience collective, je reste optimiste mais on est tous exposés et le vélo devient accessoire, mais ça fait partie de la vie comme toutes les autres activités, et ce n’est pas égoïste d’en parler…"
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