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Tour de France : Comment se déroule l'enquête autour d'Arkea-Samsic ? Les explications d'un spécialiste

L'investigation autour d'une partie de l'équipe Arkea-Samsic et en particulier de son leader colombien Nairo Quintana secoue le monde du cyclisme, à nouveau mêlé au dopage et à la suspicion. L'intervention d'un acteur largement méconnu du grand public, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, qui a mené l'enquête et la perquisition pose question. Explication de Maître Thomas Hugues, avocat exerçant le droit pénal au barreau de Marseille.
Article rédigé par Loris Belin
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Nairo Quintana (MARCO BERTORELLO / AFP)

Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) ?
Thomas Hugues : "Les offices centraux comme celui de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique ont été créés dans des domaines très spécialisés comme le crime organisé, la fausse monnaie, les trafics de stupéfiants à grande échelle, les traites d’êtres humains, les infractions contre la corruption, les infractions fiscales ou financières. Ils agissent dans le cadre d'affaires d'envergure nationale, voire internationale, et ont compétence sur tout le territoire. Ce sont des cellules de policiers qui peuvent s'appuyer sur toutes les brigades d'appui, de leur propre office ou d'autres brigades comme la BRI, parce qu'elles ont une compétence nationale. Leurs enquêtes prédominent quelques fois sur les enquêtes internes des commissariats. Quand un office central doit faire des perquisitions comme à Méribel, il peut réquisitionner l'aide d'un commissariat, l'appui de services de police, leurs moyens financiers comme humains pour pouvoir mener à bien ses enquêtes et actes d’investigations."

La procureure de la République de Marseille a été saisie, pourtant les interrogatoires de deux membres du personnel médical d'Arkea-Samsic ont lieu dans la région parisienne, pourquoi ?
TH : "Peu importe où les gardes à vue ont lieu. L'office central, qui est d’ailleurs basée dans la région parisienne, peut s'appuyer sur ses propres moyens ou agents mais également s'appuyer sur les moyens de n'importe quelle force de police en disant 'vous m'interpellez cette personne et vous me la questionnez, c'est moi qui dirige l'enquête'. Le pôle santé publique du parquet de Marseille a été saisi pour le rattachement de l'affaire car il est extrêmement spécialisé dans ce type d'affaires et que probablement un critère de rattachement de la commission de l’infraction pénale ou de domiciliation des protagonistes mis en cause est dans la région marseillaise. On est dans une enquête classique. Il existe deux cadres d'enquête. Dans le cas de flagrant délit, on enquête sur un fait qui vient d'être commis, ou qui a été dénoncé dans les sept jours. Ici, nous sommes dans le cadre d'une enquête préliminaire, avec des moyens moins coercitifs prévus par notre code de procédure pénale que ce que peut nous offrir le cadre de l’enquête de flagrance."

"Cette enquête peut très bien être menée en réalité depuis plusieurs semaines, voire quelques mois"

Comment cette perquisition a-t-elle pu avoir lieu dans ce cas ?
TH : "Dans une enquête préliminaire, le code de procédure pénale indique, par principe, que l'on ne peut pas faire une perquisition sans l'assentiment de l'intéressé. Quand on rentre chez lui, on tape à la porte, on lui fait signer un papier et on demande si on est autorisé à perquisitionner. S'il refuse, alors les policiers rentrent chez eux. Néanmoins, si l'infraction en cause entraîne une peine supérieure ou égale à trois ans d'emprisonnement alors les services de police, par le biais d’une requête du Procureur de la République, peuvent recueillir une autorisation du juge des libertés et des détentions afin d’effectuer ladite perquisition sans l’assentiment de l’intéressé. Si l'infraction est de moins de trois ans d'emprisonnement, on ne peut pas faire de perquisitionLes délits dont on parle pour l'enquête autour d'Arkea-Samsic sont passibles de cinq ans d'emprisonnement, voire sept si le qualificatif de bande organisée est retenu. La perquisition a donc forcément été autorisée par un juge des libertés et des détentions."

Combien de temps peut durer une telle enquête ?
TH : "On peut rester en enquête préliminaire deux, trois, quatre ans si l'on veut. Les enquêteurs ne sont tenus par aucun délai. Dans le cadre d'une enquête préliminaire, il n'y a pas de juge d'instruction saisi. Mais pour des dossiers aussi techniques, avec de possibles ramifications internationales : il ne fait aucun doute que cela partira probablement en instruction spécialisée à Marseille auprès d'un juge d’instruction. Il faut désormais le temps pour que le parquet puisse "muscler" son dossier, en réunissant toutes les preuves possibles avant de s'en dessaisir auprès d'un magistrat."

Sait-on quand l'enquête a débuté ?
TH : "Non, mais ce que l'on sait, c'est que cette enquête est préliminaire, ce qui signifie donc que nous ne sommes pas dans un flagrant délit qui vient de se commettre. Cette enquête peut très bien être menée en réalité depuis plusieurs semaines, voire quelques mois. Une enquête préliminaire peut être ouverte sur une simple déclaration anonyme. "Je pense qu'un tel et un tel se dopent, que telle personne propose ou administre des substances à des coureurs", cela suffit pour débuter une enquête de police. On ne sait pas si dès le départ, il y a pu y avoir des "lanceurs d'alertes" au sein du monde du sport, qui ont pu lancer lesdites investigations."

Pénalement on vient surtout taper sur ceux qui fournissent les produits plutôt que sur le dopé

L'OCLAESP peut intervenir dans des affaires menées par Europol, voire Interpol. Sait-on si l'enquête autour d'Arkea-Samsic dépasse le cadre de la France ?
TH : "On n'a pas cette précision-là. et je ne m’aventurerai pas sur ce terrain-là. Rappelons le l’enquête est secrète. Les offices peuvent demander des informations par le biais de la coopération policière à l'échelle de l'Europe ou du monde. Mais s'il faut mener des actes d'investigation à l'étranger plus poussés et aboutis, je ne vois alors que la voie de la saisine d’un magistrat instructeur où ce dernier délivrera des commissions rogatoires internationales afin de déterminer les éventuelles ramifications internationales. Cela prendrait nécessairement du temps. Mais cela peut aussi permettre jusqu'à extrader des suspects."

Cela vous a-t-il étonné d'apprendre hier que c'était l'OCLAESP qui avait été en charge de cette enquête ?
TH : "Pas du tout, au contraire ! On parle d'un domaine très spécialisé, ces offices ont été créés pour ça. Ils connaissent le terrain, le domaine, ils sont plus efficaces, plus rapides."

On avait surtout vu l'Office lors de perquisitions après des cas positifs avérés, pas forcément en amont, non ?
TH : "Suite aux affaires comme celle Festina, on veut aujourd'hui sanctionner dans la lutte contre le dopage les pourvoyeurs et l'entourage des coureurs. Le coureur se flingue principalement sa santé, pendant que ceux qui gravitent autour s'enrichissent indirectement. Le sportif encoure principalement des sanctions administratives et disciplinaires par le monde du sport comme une suspension voir une interdiction définitive d’exercer sa pratique sportiveMais au pénal, c'est léger, on est sur des peines très faibles (un an d'emprisonnement) parce qu'il ne s'est pas soumis au contrôle par exemple. On ne sanctionne pas le cycliste fautif pour avoir ingurgité des substances dopantes. Pénalement, on vient surtout taper sur l'entourage. Donc avoir un office central spécialisé sur ce sujet et qui a des techniques d'enquête propres à celui-ci, ça ne me choque pas du tout. 

On n'a pas besoin d'un contrôle positif pour lancer l'enquête. L'objectif, c'est d'aller à la source, d'éviter que le coureur se dope, donc aller vers l'entourage. C'est mieux de diligenter des enquêtes pour prévenir plutôt que d'avoir un coureur dopé. Seule la détention de produits dopants est une infraction pénale, pas la consommation. Ceux qui prescrivent prennent, eux, très cher. On ne parle pas de sportif, d'ailleurs Quintana est présumé ne pas avoir commis d'infractions. Ce dernier comme toute personne mis en cause dans cette affaire doit absolument bénéficier de la présomption d’innocence."

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