Tour de France : Ineos, le Tour de tous les dangers
Est-ce la fin de l'hégémonie britannique ? C'est l'une des grandes questions au départ de ce Tour de France 2020. Depuis son arrivée dans le peloton en 2010, la formation Sky/Ineos n'a laissé que des miettes aux autres, notamment et surtout sur la Grande Boucle. Pendant huit ans, après deux années de montée en régime jusqu'à la victoire de Bradley Wiggins en 2012, elle n'a laissé la victoire finale qu'une seule fois à une autre équipe (2014 avec Vincenzo Nibali alors que Chris Froome avait abandonné dès la 7e étape sur chute). 2020 marque le début d'une nouvelle décennie, et le collectif britannique doit faire face à bien des inconnues qui ne s'étaient jamais posées à elle jusque-là. Et on ne parle pas seulement de cette course déplacée à la fin août pour cause de Covid-19 et seulement précédée par un petit mois de compétition. Rien à voir avec l'habituel mois de juillet et cette lente montée en régime depuis le mois de janvier.
Jumbo-Visma, l'équipe la plus redoutable
Le 27 juillet 2018, Primoz Roglic avait impressionné tout son monde en remportant la 19e étape du Tour de France, entre Lourdes et Laruns, dominant les meilleurs grimpeurs et les cols du Soulor, du Tourmalet et de l'Aubisque. Un an après avoir décroché la 17e étape, entre La Mure et Serre-Chevalier, le Slovène change de dimension aux yeux du peloton. Il devient un candidat aux premiers rôles. Sa victoire sur la Vuelta 2019 n'a fait que confirmer la tendance. Jumbo-Visma a construit une équipe pour le mettre dans les meilleures conditions. Après Steven Kruijswijk (5e du Tour de France 2018, 3e en 2019) arrivé en 2019, Tom Dumoulin (vainqueur du Giro 2017 et de 3 étape sur le Tour) a été recruté cette année pour s'ajouter à Robert Gesink (5e du Tour 2010, 6e en 2015) notamment. Si le Néerlandais Kruijswijk a déclaré forfait, les autres sont là et sont, sur le papier, tous au service de Roglic. Sur les routes du Critérium du Dauphiné, l'armada Jaune et Noir a été impressionnante de maîtrise (2 victoires d'étapes sur 5, quatre jours en jaune sur les 5 de course). C'est elle qui a dicté le tempo, comme l'a fait si souvent les Sky-Ineos les années précédentes. Jamais une telle formation n'a semblé aussi à même de rivaliser avec les hommes de Dave Brailsford. Même si la chute de Roglic et son abandon à la veille de l'arrivée du Dauphiné maintiennent un voile d'incertitudes savamment entretenu, Ineos-Grenadiers (son nouveau partenaire) n'est plus présentée comme la grande favorite à sa propre succession. Un changement de décennie à venir ?
Ineos sans les joyaux de la Couronne
Christopher Froome, vainqueur de 4 Tours de France, plus deux autres podiums sur les Champs-Elysées, et Geraint Thomas, une victoire et sur la 2e marche du podium l'an dernier. Ces deux hommes, véritables images de cette équipe bâtie grâce aux Livres sterlings de deux grandes entreprises britanniques, ont été laissés de côtés pour cette Grande Boucle. Pas de pitié pour deux hommes qui ont fait briller le collectif par le passé, mais qui n'ont pas résisté au "crash-test" des premières courses du mois d'août. Incapable de suivre les meilleurs ni même de servir d'équipier de luxe sur le Dauphiné un peu plus d'un an après son terrible accident à l'entraînement qui lui avait valu des fractures aux vertèbres cervicales, fémur, hanche, coude et côtes, Froome s'est même engagé l'année prochaine avec Israël Start-Up Nation. Depuis la victoire de Bradley Wiggins sur le Tour 2012, c'est la première fois que cette équipe se présente sans leader britannique. Ça, c'est pour le côté anecdotique. Au-delà, en se passant des deux hommes, Dave Brailsford a fait le choix de se passer de leur montagne d'expérience sur la plus grande course du monde, pour donner les clefs du camion à Egan Bernal, son talentueux et jeune tenant du titre. A 23 ans, le voilà donc estampillé leader unique (même si Richard Carapaz, vainqueur du Giro 2019 a été appelé en renfort). Cela peut tout changer car, l'an dernier, Geraint Thomas avait encore ce statut avec lui.
Ineos, orphelin de Nicolas Portal
Il était le maître tacticien de l'équipe. Il était l'une des personnalités fortes de l'équipe Sky-Ineos. Nicolas Portal, directeur sportif de l'équipe depuis 2010, ne sera pas dans la première voiture sur le Tour de France. Le Gersois est en effet décédé le 3 mars dernier d'une crise cardiaque, à seulement 40 ans. C'est avec lui que l'équipe britannique a appris à gagner, en même temps que lui-même apprenait les ficelles de son métier après avoir pris une retraite forcée sur le vélo, suite à une arythmie cardiaque détectée en 2009. Et il avait appris très vite. Toujours souriant, disponible, calme dans la victoire comme dans la défaite, avec son accent chantant, il ne lâchait jamais ses notes sur l'étape du jour, et était souvent à l'origine des gros coups, des grandes victoires de son équipe. "Il savait manager les hommes et gagner leur confiance. Son sens tactique était très au-dessus de la moyenne. Il avait beaucoup de maîtrise dans les moments où il faut avoir du sang froid", nous avait confié Laurent Jalabert lors de l'annonce de son décès. Très proche de ses coureurs, il avait su gérer de main de maître les possibles rivalités entre prétendants (Froome, Thomas, Bernal). Proche de ses hommes, il a forcément laissé un grand vide dans l'équipe. Sans lui, sans "Froomie" et "Gé" (dire Djé) comme ils les appelaient, Ineos va devoir prouver que, tactiquement, elle sait encore manœuvrer une course et un peloton, et se jouer de tous les pièges.
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