Tour de France : "le risque zéro n'existe pas", les coureurs dans l'angoisse du test positif au Covid-19
Zéro autographe, zéro selfie, zéro contact. Quand on additionne trois zéros, ça fait toujours une bulle. Pour que le compte soit bon pendant trois semaines, les organisateurs ont mis sous cloche les trente membres de chacune des vingt-deux formations de ce Tour de France. "On doit tous faire en sorte d'être irréprochables, ça passe par une bulle, par le fait de minimiser les contacts avec l'extérieur même si on sait qu'en cas d'infections dans le peloton, ça peut aller très vite", reconnait Romain Bardet, le leader d’AG2R-La Mondiale. La règle est simple, et elle a déjà été rappelée samedi soir à l’ensemble des équipes et des suiveurs, "toute personne ayant un badge 'Bulle Course' a interdiction de rentrer en contact étroit avec une personne hors bulle course." Contact étroit signifiant être à moins d’un mètre sans masque ou partager un espace confiné pendant au moins 15 minutes sans masque.
"Le plus dur c’est de porter le masque mais quand on est sur le vélo on oublie tout ça."
Au quotidien, le contraste avec les Tours précédent est saisissant. Sorti des hôtels où les gestes barrière et l’isolement sont de rigueur, les coureurs vivent reclus avec leur staff en attendant de tourner les jambes. Les attroupements autour des bus des équipes ont complètement disparu des aires de départ et d’arrivée. Ni invité, ni journaliste, ni badaud ne gravitent sous les auvents alors que le public est maintenu à bonne distance. Une « liberté » retrouvée pour les coureurs qui attendaient parfois les dernières minutes pour rejoindre la ligne de départ où les incessantes demandes de selfies et d’autographes leurs donnaient des allures de rock star. Réconfort habituel des coureurs, les familles sont elles aperçues furtivement au détour d’une barrière quand elles ne sont pas restées à la maison. Un mal pour un bien, espère-t-on dans le peloton.
"Les mesures sanitaires mises en place nous rassurent mais on est tous bien conscients qu'il n'y a pas de risque zéro, on sait qu'il peut se passer quelque chose à tout moment", assure Guillaume Martin, le grimpeur de Cofidis. A l’abri dans leur bulle sans contact avec l’extérieur ou "enfermés dehors" sur les routes du Tour, les coureurs sont les premiers de cordée de ce "vivre avec" le virus. "Le plus dur c’est de porter le masque mais quand on est sur le vélo on oublie tout ça", expliquait Thibaut Pinot par écran interposé vendredi. Pendant la course, "c’est le moment où on est le plus libre", ajoute Pierre Rolland le grimpeur de B&B Hôtels-Vital Concept. On a été privé de faire ce qu’on aime pendant de longues semaines. D’avoir un dossard, faire la course, de faire des stages, d’être ensemble, on en profite encore plus et se rend compte de la chance qu’on a de faire ce métier, d’avoir une forme de liberté à faire du vélo. Ce n’est pas pareil mais ça ne gâche pas la fête."
Une épée de Damoclès permanente
En dépit des rumeurs qui ont pollué l’avant-Tour, seuls deux cas positifs ont été recensés. Jeudi soir, deux personnes de l'encadrement de l'équipe belge Lotto-Soudal ont été renvoyées chez elles ainsi que les deux personnes partageant leurs chambres. Un mauvais timing qui a certainement condamné l’allègement du protocole proposé par l'Union cycliste internationale où seuls deux coureurs positifs sur sept jours lissés provoquait une exclusion de l’équipe. A l’heure où l'épidémie a repris une progression "exponentielle" en France, selon la Direction générale de la Santé, la cellule interministérielle de crise a décidé de retoquer la proposition qui faisait consensus chez les équipes. On en reste à deux cas sur 30 personnes d'une même équipe sur une période de sept jours. "Il n'est pas impossible que certaines équipes n'aillent pas jusqu'au bout", a reconnu le président de l’UCI David Lappartient. "Mais avec le respect des règles, on ne devrait pas en arriver là".
Testés deux fois avant le départ, les coureurs repasseront par la case laboratoire à chaque journée de repos ou s’ils présentent des symptômes du Covid. Une bombe à retardement qui fait craindre une possible exclusion. "Il y a forcement ce stress d’avoir une mauvaise nouvelle quand on passe des tests", reprend Pierre Rolland. Surtout quand on joue le sacre sur les Champs-Elysées. Que ce Tour serait cruel pour un prétendant à la victoire si tous les efforts produits pour arriver au sommet étaient réduits à néant par deux cas positifs dans le staff. "Certains coureurs n’ont pas vu leur famille depuis mi-juillet afin de ne pas prendre de risque. On ne peut pas imaginer voir un maillot jaune la veille d’arriver à Paris perdre la victoire parce qu’un cuisinier est positif", regrette Pascal Chanteur, président de l’Union nationale des cyclistes professionnels. "Perdre le Tour sur tapis vert ? C’est une question que je ne me pose pas du tout, lâche Thibaut Pinot. "J’essaye de rester dans mon truc. J’espère qu’il n’y aura aucune exclusion d’équipe et que le résultat à Paris se fera uniquement sur le sportif. On sait qu’on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête."
Le Tour, poumon économique des équipes
Dans le peloton, on redoute le mauvais scénario des Bora-Hansgrohe sur la Bretagne Classic à Plouay au début de la semaine. L’équipe allemande n’a pas pu prendre le départ à cause d’un coureur positif avant qu’un deuxième test ne vienne affirmer le contraire. Sur le Tour, le protocole prévoit une contre-expertise avant de dégainer l’exclusion. "Demain si on a deux coureurs positifs sur sept jours, il faudra partir, admet le manager de B&B Hôtels Jérôme Pineau qui doute de la fiabilité des tests PCR. "Par contre j’interviendrai derrière pour qu’on prouve que mon coureur mettait en danger les autres. Si une équipe jeune comme la notre, qui participe à son premier Tour, doit partir sur des tests positifs, tout peut vite s’arrêter. Et j’espère que ce ne sera pas des faux tests."
En coulisse, le temps du coûte que coûte en laisse quelqu’uns perplexes. Le Tour est pourtant une question de survie pour de nombreuses équipes financées par des sponsors dont les principales retombées médiatiques proviennent de la diffusion des images sur une centaine de chaînes de télé à travers le monde. En 2018, l’équipe française AG2R-La Mondiale estimait à 46 millions d’euros hors taxe d’achat d’espaces publicitaires ses retombées issues du Tour de France, presque la moitié de sa visibilité sur la saison. Se passer d’une telle vitrine mettrait plusieurs formations en difficulté.
Paris est encore loin…
A l’image du Paris-Nice raccourci en cours de route début mars, la possibilité de voir le Tour stoppé dans son élan suscite également quelques angoisses dans la bulle course. "Si le Tour va jusqu'à Paris, ce sera déjà une réussite", reconnaît Bardet. Cette éventualité fait frémir Jérôme Pineau. "Je ne veux pas y penser ! Si ça devait arriver, il faudra arrêter de dire qu’il faut vivre avec ce virus, avance le manager de la formation bretonne. Il ne faudra plus vivre du tout. Ce n’est pas en arrêtant le Tour qu’on arrêtera le virus de circuler." L’hypothèse d’un Tour arrêté avant la fin existe mais elle est "très faible" selon le Ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer, de passage sur la Grande Boucle samedi. La clé est dans la bulle. Si elle reste étanche, le Tour aura réussi son pari.
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