: Portrait Anthony Turgis, le plus "Flahute" des Français à la conquête du Tour des Flandres
Ce dimanche 4 avril, sur les pavés et les monts aussi réputés que raides les uns que les autres du Tour des Flandres, Anthony Turgis (Total - Direct Énergie) retrouvera la course qui l’a installé parmi les meilleurs Flandriens du peloton. Quatrième l’année passée derrière les deux ogres Mathieu Van der Poel et Wout van Aert et Alexander Kristoff, le natif de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine) se sent comme chez lui en Belgique.
"C'est un vrai Flahute." Le compliment est signé de son manager Jean-René Bernaudeau, et permet tout de suite de cerner son protégé chez Total-Direct Énergie. Ce terme qui désigne les Flamands lui correspond à merveille. Au début du printemps, c’est dans cette région que les classiques se multiplient. Celles qui ne pardonnent aucune faiblesse, où les meilleurs - dont Anthony Turgis fait désormais partie - bataillent devant, à la force des cuisses, quand le vent et l’âpreté des pavés récalcitrants puisent dans les réserves.
Jamais en-dehors du top 15 sur les classiques en 2021
S’il n’est pas le coureur français le plus connu ni le plus attendu, il est bien le plus régulier d'entre eux depuis la saison passée et principalement sur les classiques flandriennes. Sa place de meilleur tricolore sur les deux derniers monuments le prouve. En octobre 2020, il termine donc au pied du podium sur le "Ronde van Vlaanderen" (le Tour des Flandres en flamand) après la violente chute de Julian Alaphilippe. Quelques mois plus tard, le 20 mars dernier, il devance encore le champion du monde, cette fois-ci à la pédale, pour décrocher un top 10 sur Milan-San Remo (10e).
Déjà deuxième d’À Travers La Flandre en 2019 derrière Mathieu Van der Poel, le leader de l'équipe vendéenne fait preuve d’une régularité déconcertante sur ce début d’année 2021. Il n’est tout simplement jamais sorti du top 15 sur ses sept courses d'un jour disputées, et compte quelques jolis accessits : 2e de Kuurne-Bruxelles-Kuurne, 9e de Gand-Wevelgem et 8e d'À Travers La Flandre notamment. Pour autant, ses performances récentes sur ces routes ne surprennent personne.
"Si je suis surpris ? Oui et non, affirme son grand-frère Jimmy, 29 ans, ancien coureur professionnel et aujourd'hui entraîneur chez B&B Hotels. Je sais qu’il est capable de grandes choses mais c’est toujours bizarre de le voir concrétiser avec les grands noms. Il m’épate. Sa qualité première, c’est cette force naturelle qu’il a pour appuyer sur les pédales". Une qualité primordiale qui explique en partie ses aptitudes dans les Flandres où le physique (1,78 m pour 70 kilos) et la puissance développée permettent de ne jamais se laisser malmener par la rudesse des pavés.
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"Une vraie appétence pour les pavés"
Yvon Sanquer, son ancien manageur général chez Cofidis de 2014 à 2017 et celui qui l’a fait passer professionnel, abonde en louant ses qualités faites spécifiquement pour ces classiques : "Je ne suis pas surpris, il est adroit, il passe bien les pavés et surtout il a une vraie appétence pour cela, c’est un point qui favorise la réussite."
La technique et la force sont une chose, encore faut-il réussir à jouer des coudes pour se placer idéalement à l'approche de ces nombreux monts aux routes escarpées, les fameux "berg" déclinés tout au long du parcours. Si la course ne se gagne pas forcément ici, elle peut assurément s'y perdre, coincé dans une chute ou derrière un coureur posant pied à terre à l'arrière du peloton. Mais là encore, Turgis impressionne. "Il a une science du placement au millimètre", loue Jean-René Bernaudeau.
Davantage que les classiques flandriennes, le cycliste de 26 ans cultive l'amour des courses d'un jour depuis longtemps. "J’ai toujours eu tendance à bien cibler mes objectifs sur les Championnats, je me suis rarement loupé", convient-il. Les quelques références à son actif durant sa carrière en jeunes ou en amateurs lui donnent raison. Champion de France sur route cadets en 2010, deuxième de Paris-Roubaix juniors en 2012, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège espoirs en 2014 ou encore médaillé de bronze aux Mondiaux sur route espoirs en 2015. "Je privilégie les courses d’une journée avec beaucoup de kilomètres. C’est usant et sans arrière-pensées."
Mais si Anthony Turgis brille autant sur ce format de courses, c’est surtout et évidemment grâce à ses capacités. "Il ressent la course et sent les moments où il doit agir", détaille le plus jeune de la fratrie, Tanguy, 22 ans et ancien professionnel également, désormais directeur sportif de l'équipe réserve de B&B Hotels, le VCP Loudéac. On touche ici au point fort du coureur de la Total-Direct Énergie : cette intelligence de course couplée à une endurance, une force physique de très haut niveau. "C’est un coureur clairvoyant", synthétise Yvon Sanquer. "J’essaie de courir le plus juste possible pour être mieux dans le final, il y a une part de gestion et d’analyse qui entrent en compte", consent Anthony Turgis.
Séance vidéo en famille
C’est que la bicyclette est dans les gênes chez les Turgis, dont les parents Rémy et Valérie sont tous deux issus d'une famille de cyclistes franciliens. "Ils ne m’ont jamais forcé à faire du vélo, précise-t-il. Mais voir mon père et ma mère toujours sur une selle, ça m’a donné envie. On était souvent au bord des routes pour les courses de mes oncles." C’est justement en regardant "un nombre incalculable de courses", dixit Jimmy, que le cadet s’est construit.
Après les tours de jardins, viennent les compétitions. Rémy, le papa, est président et entraîneur de l'US Métro en région parisienne tandis que Valérie, la maman, filme chaque course des trois frères. Sur la télévision du salon, Jimmy, Anthony et Tanguy échangent, expliquent et partagent leurs expériences et leurs erreurs pour progresser, ensemble.
Les trois frères ont tous été professionnels, ils ont même couru ensemble le Tour de l’Ain 2017 sous le maillot Cofidis, pour la seule et unique fois. En seulement seize mois d’intervalle, de manière assez brusque et soudaine, Anthony se retrouve seul à poursuivre son rêve. Son frère aîné Jimmy et son benjamin Tanguy ont été contraints de mettre un terme à leur carrière professionnelle en raison d'une maladie cardiaque héréditaire, respectivement en février 2020 et octobre 2018.
"Il garde beaucoup d’émotions pour lui, il n’est pas très expressif mais on sentait qu’il était attristé", raconte Jimmy qui, si le sujet n’est pas évité, préfère avec Tanguy laisser son frangin tranquille. "Comme chaque cycliste, je fais des examens chaque année et tant qu’on ne décèle rien, je continue d’avancer, balaie Anthony. Je ne suis pas inquiet."
Fidèle à son caractère. "La force tranquille, comme le décrit son aîné. Il est posé, calme, serein, tellement que parfois les gens pensent qu’il est dans son monde." La tranquillité, c’est autour d’un étang qu’Anthony Turgis aime la retrouver quand il n’a pas les fesses sur la selle. "Sur les jours de récupération, j’aime bien aller pêcher, me retrouver tout seul, m’évader du vélo, loin du stress et de la tension du peloton."
Plus jeune, le vice-champion de France 2018 réveillait son père sur les coups de cinq heures du matin, en vacances, pour titiller le poisson. "C'est un super pêcheur maintenant", jure dans un sourire Rémy. "Il n’y a que lui qui aime la pêche, rigole Tanguy. Il aime ça depuis tout petit. Il touche à tout, comme ses études de plombier, chauffagiste ou paysagiste."
"Il va toujours prendre le risque d'attaquer"
Sur le vélo, l’ancien cyclo-crossman mêle sa science de la course à une vision définitivement tournée vers l’offensive. "Ce n’est pas un attentiste, c’est un attaquant, assène Yvon Sanquer. Il essaie de peser sur la course, d’agir, il a une capacité à créer des choses." Son ancien patron chez Cofidis se souvient particulièrement de sa victoire au général sur les Boucles de la Mayenne, en 2015, à 21 ans et quelques mois seulement après son passage chez les professionnels.
Son grand frère Jimmy confirme : "Il a toujours eu en lui cette faculté à prendre des risques, des initiatives." C’est déjà en jouant devant qu’il remporte le championnat de France cadets en 2010 ou qu’il s’adjuge le Grand Prix de la Marseillaise pour sa première course chez Total-Direct Énergie en 2019.
"Il va toujours oser attaquer quitte à en payer le prix", renchérit Yvon Sanquer. Anthony Turgis en est conscient mais loin de lui l’idée de calmer ses ardeurs : "Si un jour il faut prendre un risque pour remporter une grande course, je le prendrai, même si je dois tout perdre." Une magnifique surprise sur le Tour des Flandres, ce dimanche 4 avril, en vaut certainement la chandelle. La dernière fois que le Ronde a souri à un Français, en 1992, Jacky Durand avait passé l'essentiel de la course à l'avant. Un signe que cette course plaît aux audacieux.
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