"Un Tour en septembre", le billet d'humeur de Nicolas Geay
La fin du suspense. Enfin. Depuis des semaines, on attendait, on calculait, on extrapolait, on se creusait les méninges à se faire mal à la tête… Et l’on se posait une question, LA question, tellement futile en ces temps si douloureux pour notre pays, pour les personnels soignants et les victimes du Covid-19. Mais une question qui nous aidait à nous projeter, à espérer des jours meilleurs, quand le sport et la culture rythmeront de nouveau nos existences en quête de plaisir, de beauté et d’insouciance. Cette question donc : le Tour pourrait-il avoir lieu alors que les Jeux Olympiques et paralympiques étaient reportés d’un an ? Et si oui, quand ? En juillet comme prévu, à cheval sur les mois de juillet et d’août ou plus tard ?
Et bien maintenant on sait ! Enfin. Le Tour aura lieu du… 29 août au 20 septembre ! Oui vous avez bien lu ! Je ne parle pas de la Vuelta mais du Tour de France. Première bonne nouvelle. Le Tour partira. Et avec lui, des noms qui font vibrer, que l’on aime, que l’on espère ou que l’on critique parfois jusqu’à un certain désamour… Les Pinot, Bardet, Alaphilippe, Bernal, Quintana ou Froome. Le Tour partira, et avant lui, il y aura des semaines, que dis-je des mois de projections, de paris, de fantasmes sur les chances d’untel ou untel, sur ces scénarios improbables et haletants qui s’écriront sur l’éventuelle victoire d’un Français 35 ans après Bernard Hinault…
L’honneur est sauf ! La plus grande course du monde aura bien lieu. Comme tous les ans depuis plus d’un siècle. Ou presque. Cet été, nous ne serons pas orphelins de nos souvenirs d’enfance, de ces joies enfouies, de ces premiers émois de juillet, rivés sur le transistor, le poste de télé ou sur le bord des routes jaunies d’insouciance pour vivre "ces moments filigranés au cœur" comme le dit si joliment l’amoureux du Tour qu’est Eric Fottorino. Nous ne serons pas orphelins des plus anciens Coppi, Bartali, Bobet, Anquetil, des classiques Merckx, Poulidor, Thévenet, Hinault ni des modernes comme Fignon, Lemond, Jalabert, Pinot ou Alaphilippe…
Le Tour aura donc bien lieu. Il n’y aura eu finalement que les guerres pour l’arrêter. Et souvenons-nous de ce Tour 1947 remporté par Jean Robic. Une deuxième libération symbole d’une France qui se remet à vivre, à espérer et à rêver pour tourner le dos à la guerre, à l’horreur, aux tickets de rationnement et se tourner vers la paix et les 30 Glorieuses.
Un sacrilège
Le Tour aura bien lieu. Oui mais en septembre ! Le Tour en septembre ! Cette phrase en elle-même est une incongruité. Absolue. Un contre-sens historique. Un sacrilège même. Le Tour est en juillet. Point. Le Tour c’est le début de l’été, c’est le retour de la plage tout essoufflé d’avoir couru pour ne pas manquer l’arrivée les chaussures encore pleines de sable. Le Tour c’est la chaleur, ce sont les vacances chez les grands-parents, c’est l’attente de la caravane avec le bob Cochonou sur la tête, cette excitation pour obtenir un stylo, un saucisson, un ballon. Le Tour c’est ce peloton, qui file devant vos yeux, c’est une farandole de couleurs, de bruits, de sentiments, le Tour c’est faire la course en culottes courtes après les étapes sur son vieux vélo en se prenant pour Poupou, Hinault ou Julian…
C’est rêver. C’est l’été mais pas le mois de septembre ! Non ! Le Festival de Cannes est en mai, pas en août ! Et Noël est en décembre quand il fait froid ! Bref, ce sont des repères qui rythment notre vie depuis qu’on est gamin. Comme le disait magnifiquement le prêtre de Saint-Léonard de Noblat lors des obsèques de Raymond Poulidor : "On ne guérit jamais de l’enfance !" On n’oublie pas ces mois de juillet, ces moments passés à rêver, à encourager nos idoles, ces grimpeurs magnifiques qui s’envolent dès que la pente se raidit comme Claveyrolat, Virenque, Moncoutié, ces sprinteurs aux allures de purs-sang : Moncassin, Cipollini, Sagan et ces cracks, ces fuoriclasse comme les appellent les Italiens : les Hinault, Fignon ou Lemond… On n’oublie jamais ces mois de juillet. Et pourtant, on va devoir tout changer ou presque.
Le Tour en septembre… Au moment de la fin des vacances, de la rentrée scolaire, du retour au boulot, dans les embouteillages, de l’été indien, de la Vuelta… Mais non ! Où seront le public et ces centaines de milliers de fans venus du monde entier massés dans les cols qui ont fait la légende du Tour ? Dans le Galibier, l’Alpe d’Huez ou le Tourmalet. Et cette année, d’Orcières Merlette au col de Peyresourde en passant par le Port de Balès, le Grand Colombier ou la Madeleine ? Où seront-ils et le Tour sera-t-il encore le Tour alors que les Français seront au bureau en train de bosser ? Crime de lèse-majesté !
L'esprit de responsabilité a pris le pas sur la passion et le romantisme
Oui, mais que pouvaient faire les organisateurs de l’épreuve ? Le discours d’Emmanuel Macron est venu confirmer qu’il était impossible d’un point de vue sanitaire d’organiser le Tour aux dates initialement prévues (du 27 juin au 19 juillet, ndlr). Et le décaler en août rendait impossible la tenue de courses de préparation. Dans cette configuration, le mois de septembre est la moins mauvaise des solutions. Christian Prudhomme a dû se rendre à l’évidence, la mort dans l’âme, lui qui dédie sa vie au Tour et qui connait son histoire sur le bout des doigts, lui le "Président du mois de juillet". Pas du mois de septembre. Sauf cette année donc. Mais l’esprit de responsabilité a pris le pas sur la passion et le romantisme. Et ils ont bien fait.
Alors si le Tour restera le Tour sportivement parlant, sera-t-il à nouveau cette madeleine de Proust, ce pan du patrimoine français, cette institution qui évoque en nous cette part d’enfance que l’on soit fan de vélo ou non ? Difficile à dire. Mais il vaut mieux un Tour en septembre que point de Tour du tout. Si toutefois, la situation sanitaire le permet et que l’on ne fait courir aucun risque aux coureurs, aux staffs ni au public. Evidemment. Alors, en septembre prochain, il nous faudra peut-être faire l’école buissonnière pour nous offrir une part de rêve, de passion et d’enfance. Et revivre ces émotions du mois juillet, fussent-elles en plein mois de septembre…
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