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Vasseur : "On peut avoir deux Français sur le podium"

Performances tricolores, suprématie de Nibali, abandons des favoris : Cédric Vasseur a profité de la seconde journée de repos pour disséquer les deux premières semaines de la Grande Boucle. Le consultant Francetvsport est bluffé par la forme du maillot jaune italien, s’enthousiasme pour le duo Pinot-Bardet, qui peut "faire renaître la rivalité Poulidor-Anquetil", et estime que Valverde a encore les moyens de "faire basculer le Tour". Entretien.
Article rédigé par franceinfo
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Cédric Vasseur verrait bien le duo Bardet-Pinot terminer sur le podium

Attendiez-vous Vincenzo Nibali à un tel niveau ? 
Cédric Vasseur : "Pour être honnête, non. Je l’ai suivi sur le Dauphiné et il n’était pas visiblement pas concentré sur la course. Ces dernières semaines, Vinokourov (directeur sportif d’Astana) aurait même envoyé une lettre recommandée à tous ses coureurs, dont Nibali, pour les remonter car ils ne marchaient pas. Mais on ne peut pas parler de surprise : sur le Giro d’Italie l’an passé, il avait déjà effectué une démonstration, la même que cette année sur le Tour. Ce n’est donc pas la première fois qu’il est à ce niveau-là, Nibali nous prouve simplement qu’il est un coureur talentueux et intelligent. Il a bien géré sa saison : quand Froome et Contador se sont mis des ‘beignées’ sur le Tour d’Oman ou lors du Dauphiné, Nibali est resté hors du match.

C’est un bon signe pour le cyclisme que de retrouver un coureur en jaune capable de s’imposer sur Milan-San Remo ou sur Liège-Bastogne-Liège. On retrouve un cyclisme à l’ancienne où le vainqueur du Tour peut gagner une course d’un jour, ce que Froome est par exemple incapable de faire. Le Tour de France avait ‘fabriqué’ des champions capables de ne briller que sur les courses à étapes. Ce qui ressort de la suprématie Nibali sur ce Tour, c’est son intelligence, son approche de la course. Vinokourov n’est évidemment étranger à cela, on connaît son côté tactique. On peut toujours dire qu’avec Froome et Contador ça n’aurait pas été la même chose, mais les chutes font partie de la course. Et un homme au top de sa forme ne tombe pas…"

Vincenzo Nibali plane sur le Tour

Faisons justement un peu de cyclisme-fiction : quelles auraient été les performances de Nibali avec Froome et Contador à ses côtés ?
C.V. : "La course aurait été différente car Nibali n’aurait pas pu se défaire de Froome et de Contador comme il s’est défait de Valverde et des autres. Mais au vu de son niveau, je suis persuadé qu’il aurait pu rivaliser avec un super Froome et un super Contador. Je n’ai pas l’impression que Nibali soit à fond… J’ai la sensation qu’il a toujours une marge de manœuvre. A la différence des autres, Nibali finit frais. Il attaque et personne ne le pousse dans ses retranchements. Il peut aller encore plus loin dans la souffrance. Je me trompe peut-être mais c’est l’impression visuelle qu’il me donne. Il a l’étoffe d’un grand". 

Peut-il encore perdre le Tour de France ?
C.V. : "Dimanche encore, je suivais l’échappée avec Martin Elmiger et Jack Bauer, et ce dernier a failli tomber dans un virage : il faut donc rester prudent, mais sauf accident, il ne peut plus perdre le Tour. Physiquement, il s’est imposé dans tous les moments importants : la deuxième étape en Angleterre, l’étape des pavés où il a répondu présent, et sur chacune des ascensions difficiles. Nibali a toujours été au-dessus de ses adversaires. Il est l’homme le plus fort sur ce Tour".

"Avec Froome et Contador, Bardet Pinot auraient encore joué un niveau au-dessus"

L’abandon des deux favoris a-t-il favorisé les bonnes performances françaises ?
C.V. : "Non. Les Français jouent une catégorie au-dessus de ce qu’ils étaient habitués à jouer. C’est le travail de ces dix dernières années qui est en train de porter ses fruits. Je reste même persuadé que si Froome et Contador avaient été présents sur le Tour, Bardet et Pinot auraient encore joué un niveau au-dessus. Ils sont aujourd’hui capables de s’adapter au niveau d’une compétition. Rolland a déjà échoué à quelques secondes de la troisième place au Giro, et là, on est dans une situation où on peut avoir deux Français sur le podium. Il n’y a pas longtemps, je disais un. Aujourd’hui je dis deux".

Que s’est-il passé depuis le dernier podium tricolore sur le Tour (Richard Virenque en 1997) ?
C.V. : "Il ne faut pas se voiler la face, il y a eu une génération de coureurs français qui n’était pas au niveau des Bardet, Pinot cette année. Il y a aussi eu, de la part des instances sportives, une lutte acharnée, mais pas forcément égale, contre le dopage. Les coureurs français ont pris la mesure de ce fléau dès 1998 et l’affaire Festina : aujourd’hui, ils retrouvent simplement leur vraie place au niveau international".

"Bardet est presque trop gentil"

Entre Bardet, Pinot et Péraud, lequel vous surprend le plus ?
C.V. : "Pas Péraud, qui a déjà évolué à ce niveau, on sait que c’est un bon coureur. Pinot me surprend dans les descentes où il était complètement crispé l’an passé. Il a fait un gros travail là-dessus, chapeau. Des trois, c’est Bardet qui m’impressionne le plus. Je l’ai vu évoluer chez les amateurs au Tour de l’Avenir en 2011, et il gravit chaque année un échelon dans la hiérarchie mondiale. Il n’a aucun complexe, il est intelligent. J’aime bien ces coureurs qui ont du tempérament, qui savent s’exprimer devant les médias et qui sont en plus très sympathiques. Il est d’ailleurs presque trop gentil, il va falloir qu’il devienne un peu plus méchant. Mais son potentiel est encore énorme".

Peut-on parler de rivalité entre Pinot et Bardet ? 
C.V. : "Oui mais c’est une bonne rivalité, elle va les hisser vers le haut. On l’a vu lors de l’arrivée à Risoul où ils ont fait un sprint de dingue. J’ai comme l’impression que la rivalité Poulidor-Anquetil peut renaître entre Pinot et Bardet. Ils vont passionner les Français. Ça fait longtemps qu’on n’a pas vu deux coureurs tricolores se tirer la bourre à un tel niveau. L’avantage de Pinot, c’est qu’il est seul dans son équipe. Chez AG2R, Péraud joue aussi une place dans le Top 5. Mais si la stratégie est bien faite et que le management de Vincent Lavenu est à la hauteur, on peut avoir un beau duo où l’un apprend beaucoup de l’autre. En servant de capitaine de route à Bardet, Péraud a aussi une opportunité énorme à saisir".

L’un va-t-il se décider à rouler pour l’autre avant la fin du Tour ?
C.V. : "Lors des trois étapes pyrénéennes, il y a sans doute un moment où Lavenu devra en sacrifier un pour l’autre. Le scénario le plus probable, c’est que Péraud se mette au service de Bardet. Avantage Péraud pour le chrono avant Paris, mais je crois que les trois jours difficiles qui arrivent feront plus de dégâts que le contre la montre. Les cartes sont dans les mains de Vincent Lavenu. Le scénario catastrophe pour AG2R-La Mondiale, ça serait Pinot 3, Bardet 4, Péraud 5. C’est très crédible ! A un moment, il ne faudra pas avoir peur de dire : ‘on va en mettre un 3e, quitte à ce que l’autre reste 15e’. Mais j’ai fait dix Tours de France et je sais ce que n’est pas facile à faire comprendre…"

Si deux Français peuvent terminer sur le podium, c’est que Valverde peut dégringoler…
C.V. : "Oui, mais gare à lui. Je suis persuadé que Valverde sera au top niveau en troisième semaine, comme Nairo Quintana -qui est dans la même équipe- l’a été sur le Giro. Celui qui peut enflammer et faire basculer le Tour, c’est lui. Il joue sur ses terres et les Espagnols sont toujours survoltés dans les Pyrénées. Imaginez si la Movistar commence à faire plier Nibali mardi et mercredi ! Ça nous donnerait une fin de Tour formidable".

La défaillance de Richie Porte vous a-t-elle surpris ?
C.V. : "Oui, vraiment, surtout au vu de ce qu’il avait réalisé l’année dernière en tant qu’équipier, où il pouvait faire 3e ou 4e après avoir travaillé pour Froome. Ce n’est même pas l’ombre de lui-même : quand il est lâché dans les Alpes, il y a encore une vingtaine de coureurs dans le peloton maillot jaune. Ce n’est pas qu’une défaillance d’un jour puisqu’il a encore explosé samedi et dimanche. Il me déçoit car pour lui, sans Froome et Wiggins, c’était l’opportunité de monter en grade dans l’équipe Sky. Mais physiquement, il n’a pas les moyens de rentrer dans le club des grands".

Au contraire de coureurs comme Raphal Majka ou Leopold König qui continuent de monter en puissance sur les grands Tours ?
C.V. : "Tout à fait, et König, bien placé au général, est même une menace pour les coureurs français dans les jours à venir. Je l’ai suivi dans la montée de Chamrousse : il a effectué seul le travail, avec Majka dans sa roue. Il faudra l’avoir à l’œil. Lui et Majka sont jeunes, le public ferait bien de les garder à l’esprit car dans trois, quatre ans, ils seront capables de gagner le Tour de France".

"Coquard n'est qu'à 50% de ses moyens"

La nouvelle génération des sprinteurs français brille aussi, avec Arnaud Démare et Bryan Coquard…
C.V. : "Coquard m’a beaucoup épaté, il prouve qu’il a l’étoffe d’un grand sprinteur. Une course de trois semaines comme le Tour te fait gagner de 15 à 20% de puissance, et c’est justement ce qu’il lui manque par rapport aux Kittel, Greipel, Cavendish. S’il termine le Tour, et il faut absolument qu’il le termine, il en sortira endurci, plus résistant, capable d’emmener de plus gros braquets. Aujourd’hui, je suis manager d’une équipe, j’essaye absolument de m’attirer les services de Coquard car c’est un coureur qui va remporter des étapes. Aujourd’hui, il n’est qu’à 50% de ses moyens".

Et Démare ?
C.V. : "Le problème, c’est qu’il a dû lutter pour sa sélection. Il y a eu cette rivalité avec Bouhanni, dont on a beaucoup parlé. Il a peut-être aussi puisé pour gagner les championnats de France : c’est une course de 250 kilomètres qui use énormément. Dans l’avenir, je pense que Marc Madiot devra le conditionner uniquement pour le Tour de France. Je voudrais bien voir un Démare épargné, comme un Nibali s’est épargné pour le Tour, dans les sprints massifs. Là, il pourra jouer la gagne. Il peut aussi gagner des classiques, mais à un moment il faudra choisir. Cavendish et Kittel ne marchent pas sur les classiques. S’il veut jouer dans la cour des grands sur le Tour de France, il ne pourra pas faire Gand-Wevelgem à bloc… C’est normal que Madiot veuille lui faire goûter à tous les plaisirs du cyclisme pro, mais il faudra qu’il se sacrifie une année. Car il a le potentiel pour troquer son maillot bleu-blanc-rouge contre un maillot vert".

D’ici combien de temps ?
C.V. : "Dans deux ans il en sera capable. L’année où il pourra aussi gagner les championnats du monde à Doha, au Qatar, où c’est tout plat…"

La présence de Pinot à ses côtés dans la FDJ.fr limite-t-elle sa progression ?
C.V. : "C’est un problème dans la mesure où c’est compliqué pour une équipe de jouer à la fois le général et les sprints. Les coureurs censés amener Pinot au pied d’un col ne peuvent rouler à 65km/h pour Démare dans les cinq derniers kilomètres. Regardez Cannondale : il y a Sagan et ses équipiers, c’est tout. Pareil pour Kittel chez Giant-Shimano. Au dernier Tour de Suisse, Omega-Pharma avait une équipe autour de Tony Martin pour le général, mais aussi autour de Mark Cavendish pour le sprint. Résultat, Martin était leader jusqu’à la dernière étape où, isolé car pas assez soutenu, il a laissé la victoire à Rui Costa. Cette année, si Pinot termine sur le podium, Démare ne pourra pas espérer aller sur le Tour avec une équipe qui lui est entièrement dévouée. Le cyclisme s’est trop professionnalisé pour espérer jouer sur les deux tableaux".

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