Yoann Offredo, la nouvelle voix Ă suivre
À trente-trois ans, dont vingt sur un vélo, Yoann Offredo va sans doute devoir mettre un terme à sa carrière cycliste en fin de saison. La faute à une cheville droite "qui le fait souffrir" depuis sa lourde chute au Grand prix de Denain, en mars 2019. Le Français ne portera donc certainement plus le maillot blanc et bleu de Circus - Wanty Gobert, la formation belge qu'il a rejoint à son départ de la FDJ, en 2017. Il garde pourtant un ton enjoué lorsqu'il évoque "sa passion", le vélo. Sûrement parce qu'il a déjà  trouvé une nouvelle équipe. Celle de France Télévisions, dont cet "hyper sensible" intégrera le service des sports en tant que consultant, lors de la 107e édition du Tour de France.
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Pourquoi vous avez décidé de mettre fin à votre carrière cycliste ?
Yoann Offredo : "Je n’ai pas pris cette décision. Des circonstances font que, malheureusement, à la fin de l’année, je vais devoir mettre un terme à ma carrière. J’ai subi de nombreuses chutes l’an passé, notamment au Grand prix de Denain (mars 2019), où j’ai eu une tétraplégie provisoire. Elle a duré quelques jours mais j'ai eu un gros choc post-traumatique. Après une opération et huit mois de rééducation, je marche avec des béquilles car ma cheville droite me fait souffrir. Dès que je m’entraîne de manière intensive, je ressens des douleurs. Ça devient très compliqué de continuer à pédaler."
Vous ne pourrez donc plus prendre part Ă une course cycliste ?
YO : "A priori, selon l'avis des médecins, je ne serai plus en mesure de courir une course cycliste… (Silence)"
Pendant votre carrière, vous avez eu le sentiment de vous être "trompé de sport" en devenant coureur cycliste. Vous avez toujours cette sensation ?
YO : "(Il réfléchit) J’ai vécu des choses extraordinaires dans le cyclisme, du côté extra-sportif : des rencontres, notamment avec le public. C’est le sport de proximité et populaire par excellence. Je n’aurais pas pu vivre cela dans un autre sport. L’année dernière, pendant le Tour de France, je termine avant-dernier et pourtant j’ai ressenti une émotion très particulière sur les Champs-Élysées. Le genre d’émotion qu’on tutoie très peu souvent dans une vie. Avec du recul, je me rends compte que c’est un sport magnifique. Et justement, le fait de ne pas pouvoir le pratiquer et de regarder le Dauphiné à la télévision est très très très (il se répète) frustrant. Un côté presque masochiste en se disant : « J’aimerais bien avoir mal et souffrir dans les cols comme les coureurs. » (Rire)"
Parmi les rencontres que vous évoquez, est-ce qu’il y a une qui vous a particulièrement marquée ?
YO : "L’année dernière, je prends le départ du Tour alors que deux mois avant on m’annonce une tétraplégie. Pendant la journée de repos, alors que je me bats depuis deux-trois étapes pour terminer dans les délais, une personne m’attend pour signer un autographe. Je pars m’entrainer et à mon retour, deux heures plus tard, elle était encore là . Puis elle me dit : « Yoann, tu es un exemple pour moi, tu me donnes la force de me battre. » Elle avait une tumeur au cerveau et ses jours étaient comptés. Je me suis rendu compte que le sport de haut niveau véhiculait des émotions, de la passion et pouvait être un vecteur d’exemple. Je me suis dit : « Je ne peux pas abandonner car des personnes s’identifient à moi, que je sois en tête ou dernier du classement. »"
"Le Tour de France est le plus grand évènement du monde, il décuple les émotions. On est tellement soutenus que l'on peut aller chercher des forces insoupçonnées."
Et sur un vélo, est-ce que vous gardez un souvenir en particulier ?
YO : "Si il y a une image dont je me souviens, c’est la souffrance que l’on peut ressentir et dépasser sur le Tour de France. C’est le plus grand évènement du monde, il décuple les émotions, et on est tellement soutenus qu’on peut aller chercher des forces insoupçonnées. Milan - San Remo m’a aussi marqué par son côté atypique. En 2013, on a couru sous la neige et j’avais l’impression de participer à un évènement historique. Ce que j’aime, dans le terme de « Classique », c’est qu'on suit nos aînés. Et ce Milan - San Remo, à l’image d’un Liège-Bastogne-Liège gagné par Bernard Hinault (1977, 1980), avait une dimension extraordinaire."
Est-ce que vous n’étiez pas trop romantique pour le cycliste moderne ?
YO : "J’ai une vraie passion pour le cyclisme dans son ensemble, notamment pour son histoire, contrairement à des copains coureurs qui ne la connaissent pas. Ce qui m’intéressait dans le vélo, ce n’était pas la victoire (il parle au passé). C’était plus ce rapport à la sensation, aux évènements, à ces choses qui nous rappellent des souvenirs d’enfance. J’ai toujours eu une approche différente du cyclisme, peut-être à tort ou à raison, mais en tout cas j’ai fait le vélo que j’aimais."
"Ce qui me marque dans le cyclisme moderne, c'est l'absence d'humanité."
Vous sentiez un décalage avec certains coureurs, dans votre approche du cyclisme ?
YO : "Oui, complètement. Je suis rentré à la Fondation de la Française des Jeux en 2005, avant de passer professionnel en 2007. Le soir, on jouait aux cartes, on se réunissait dans des chambres. Les coureurs ont désormais des capteurs de puissance et sont installés dans un certain confort : il y a les bus, ils mangent ce que leur préparent leurs cuisiniers et leurs nutritionnistes puis mettent les jambes en l’air. Je ne sais pas si le vélo a évolué dans le bon ou le mauvais sens mais il a changé. Comme beaucoup d’autres sports, il s’est professionnalisé."
Dans le cyclisme moderne, il y aurait donc trop de contrôle et peu de place laissée à l’instinct ?
YO : "Ce qui me marque, c’est l’absence d’humanité. On est le sport populaire par excellence, qui doit être proche des gens. Or le cyclisme se rapproche des sports très professionnalisés : il y a des retours avec le staff, les mécaniciens, les entraîneurs. Cela laisse moins de libre-arbitre au coureur, à l’image d’un Thomas Voeckler qui s’échappait quand bon lui semblait. Maintenant, on a un vélo assez sclérosé, stéréotypé. Mais c’est un vélo tout aussi intéressant. Quand je vois les performances développées sur le Dauphiné, la vitesse à laquelle les couleurs roulent, c’est exceptionnel."
En tant que futur consultant, qu’est-ce que vous inspire la domination de la Jumbo-Visma sur ce Dauphiné ?
YO : "Ils dégagent une vraie force collective. La Jumbo-Visma me fait un peu penser au Real Madrid de l’époque, qui recrutait les meilleurs joueurs du monde. Les équipiers qui roulent actuellement pour Primoz Roglic sont eux-mêmes des prétendants à la victoire finale du Tour de France. Ça nous promet un spectacle très intéressant. Mais on est encore à une quinzaine de jours de la Grande Boucle et beaucoup de choses peuvent se passer d’ici-là . Certains coureurs ont réussi à bluffer sur ce Dauphiné et ne se dévoilent pas à 100 %."
"Malgré les équipiers dont bénéficie Primoz Roglic, ce sont les jambes qui comptent, il faut appuyer sur les pédales. Thibaut Pinot est un candidat très crédible à la victoire finale sur le Tour de France."
Les favoris du Dauphiné ne seront donc pas forcément ceux du Tour de France ?
YO : "Les coureurs qui sont à la rue sur le Dauphiné ne pourront pas jouer les prétendants sur le Tour mais il peut y avoir des ajustements. La dernière semaine du Tour, c’est dans cinq semaines. Et malgré les équipiers dont bénéficie Primoz Roglic, ce sont les jambes qui comptent, il faut appuyer sur les pédales. J’ai vu des choses très intéressantes sur ce Dauphiné, notamment avec Thibaut Pinot, toujours présent dans le final et Guillaume Martin, qui a passé un vrai cap depuis qu’il est chez Cofidis."
Est-ce que Thibaut Pinot est un candidat crédible à la victoire finale sur le Tour de France ?
YO : "Bien sûr, très crédible. Cette année, il est complètement décomplexé. Sur les arrivées du Dauphiné, on voit le regard qu’il jette à Primoz Roglic en disant : « T’as beau avoir une belle équipe, tu ne me fais pas peur et je suis capable de te taper au sprint. » Le Tour 2020 est taillé pour lui et c’est du cyclisme, rien n’est écrit d’avance. C’est un sport qui dépend de la météo, de la maladie, de la crevaison, de l’accident mécanique, de la chute et c’est ce qui fait la beauté de ce sport."
Cet été, vous allez suivre le Tour de France en tant que consultant pour France Télévisions. Qu’est-ce qui vous attire, dans ce métier ?
YO : "Consultant, je n’aime pas trop ce terme. Il faudra que je réfléchisse à un autre... C’est plus un œil sensible, pas sportif. J'ai envie de partager ma vision et ma passion du cyclisme, humaniser ce sport en expliquant les choses parce que je suis encore coureur (il insiste) et que je peux apporter mon empreinte. Parfois, on regarde du vélo mais on ne comprend pas toujours les tenants et les aboutissements des stratégies d’équipes ou des évènements de course. J’ai envie d'analyser les choses de manière posée et rigoureuse."
"Je connais la peur du coureur, les sacrifices nécessaires pour arriver à un bon niveau, le rapport à l’opinion publique, le stress."
Vous souhaitez donc apporter votre regard de coureur ?
YO : "Je ne sais pas ce que c’est que de tutoyer la victoire ou un podium sur un grand tour mais je sais ce que c’est d’être en difficulté, de se remettre en question. Je connais la peur du coureur, les sacrifices nécessaires pour arriver à un bon niveau, le rapport à l’opinion publique, le stress. C’est un langage que j’arrive à vulgariser et j’espère pouvoir apporter ma marque dans cette équipe."
Vous comptez garder votre franc-parler à l’antenne ?
YO : "On peut dire les choses tout en étant mesuré mais bien sûr que je garderai mon franc-parler. Je vais être moi-même car je l’ai toujours été, que ce soit avec mes amis ou pour passer à la télé et à la radio. Si on me demande mon avis ou d’intervenir dans une émission, ce n’est pas pour faire de l’eau tiède. Je n’aime pas les discours politisés. On fait un sport qui est vrai, on doit avoir un discours qui est vrai. Et puis on ne peut pas plaire à tout le monde. (Rires)"
"Je suis hyper sensible et je pense que cela pourra me servir lors de mes interventions. J’ai toujours parlé avec mon cœur, avec mes tripes, avec mon âme."
Est-ce que vous avez des modèles chez les consultants ?
YO : "Non (rires). Chaque consultant a son style. J’aimais beaucoup Laurent Fignon car il avait un regard qui lui était propre, il était emprunt d’une émotion et ça me parlait. J’aime beaucoup Alexandre Pasteur car, quand il commente, il arrive à faire vivre les choses de manière différente. Je n’ai pas de modèle mais beaucoup d’inspirations. Je suis quelqu’un d’hyper sensible et je pense que cela pourra me servir lors de mes interventions. J’ai toujours parlé avec mon cœur, avec mes tripes, avec mon âme. C’est ce que j'espère véhiculer en tant que consultant et que cela va s’inscrire dans la durée."
Quel sera votre rôle, lors du prochain Tour de France ?
YO : "Normalement, je serai présent dans Vélo Club et dans Le Journal du Tour mais les rôles sont modifiables. Je serai peut-être aux commentaires de temps en temps."
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