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Biennale de la danse de Lyon : "Itmahrag", la dernière création d'Olivier Dubois plonge dans le tumulte de l'Égypte contemporaine

Le chorégraphe est de retour dans la capitale des Gaules jusqu'au 11 juin 2021 avec son collectif de sept danseurs et musiciens égyptiens.

Article rédigé par Odile Morain
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
 "Itmahrag" la nouvelle création chorégraphique d'Olivier Dubois présentée en première mondiale à la Biennale de la danse
 (Michel Cavalca)

C'est à la Biennale de la danse, dans les grands entrepôts des anciennes usines Fagor de Lyon, que le chorégraphe Olivier Dubois dévoile pour la première fois à un vrai public sa toute dernière création. Un lieu désormais dédié aux expositions ou aux concerts électro, idéal pour présenter Itmahrag. 

Chaos au Caire 

Tel un happening, le spectacle commence alors même que le public s'installe peu à peu dans les gradins. Les artistes investissent le plateau, posent des micros, interpellent les spectateurs, font des essais de voix, communiquent avec la régie, chauffe le public, lancent les basses, font des farces... Le ton est donné : on va bien s'amuser. C'est d'ailleurs la promesse du titre énigmatique. Itmahrag, un néologisme inventé par Olivier Dubois qui signifierait "festoyons, vivons le moment présent". 

Sauf que la fête va vite tourner au vinaigre. Car nous sommes au Caire, mégalopole de près de 24 millions d'habitants en perpétuel bouillonnement, berceau de la Révolution de 2011 qui va, durant plusieurs semaines, embraser la place Tahrir. Un embrasement exprimé par le sursaut des corps des danseurs, par la musique rap-électro ultra saturée dopée à l'autotune (des bouchons d'oreille sont distribués à l'entrée), par les fumigènes d'une révolte réprimée, par l'incessant va-et-vient des protagonistes.

"Itmahrag" une plongée au coeur de la révolution égyptienne de 2011 (Blandine Soulage)

Hors-champ ou sur le plateau, la tension redescend aussi vite qu'elle est montée. "J’aime en Égypte ce chaos qui organise le quotidien, le rapport humain, le rapport au temps. Tout est étiré aux extrêmes et cela offre chaque jour des situations et fulgurances humaines inimaginables en Europe", détaille Olivier Dubois dans sa note d'intention.

Célébrer la jeunesse

Portée par l’énergie de quatre jeunes danseurs-performeurs de rue et trois musiciens autodidactes égyptiens, Itmahrag est une ode à la fête et à la liberté mais aussi le manifeste d'une jeunesse révoltée qui demande qu'une seule chose : être entendue et se délester d'un passé millénaire. Avec un esprit de fête qui lui est cher, Olivier Dubois place la célébration au centre de sa création. 

Les musiciens chantent le "mahraganat", ou "electro-chaâbi", style musical le plus écouté en Égypte (Blandine Soulage)

Une ambiance festive magnifiée par le courant musical du mahraganat. Cette musique (désormais interdite) apparue au moment de la révolution dans les rue du Caire s'est insinuée partout, dans les taxis, les cabarets, et surtout les soirées entre amis. "On ne peut pas réellement échapper à cette musique. On saisit très vite que c’est la musique d’une jeunesse qui parle. Il ne faut pas oublier que l’âge médian en Égypte est de vingt-quatre ans ! Cela devient de fait la nouvelle voix d’un pays. Inspirée de la danse traditionnelle des couteaux, la danse y est sauvage et retentissante. Les corps sont tendus aux extrêmes et toujours en dialogue avec un autre", explique le chorégraphe qui vit depuis quelques années entre l'Égypte et la France. 

Une dimension mystique 

Durant près d'une heure, Olivier Dubois, transcende les corps, secoue les âmes, construit et déconstruit des scènes hypnotiques, parfois trop longues, parfois trop bavardes, autour d'une jeunesse en suspens.

Itmahrag, le fruit d'une longue et étroite collaboration entre la compagnie d'Olivier Dubois et de jeunes musiciens et danseurs amateurs basés à Alexandrie (Blandine Soulage)

On serait tenté de voir dans Itmahrag un message politique. Interprétation qu'Olivier Dubois balaie d'un rapide revers de la main. "C'est un exercice démocratique, c'est sûr, mais je n'ai pas de message à transmettre, je ne suis pas prophète", assure-t-il. Loin d'un documentaire sur l'Égypte contemporaine, Itmahrag porte une dimension spirituelle universelle. "C'est une métaphore de la vie et de la mort, je cherche à transmettre cette énergie et cet espoir", indique encore le chorégraphe. Reste que le voyage au pays des pyramides n'a rien d'une croisière sur le Nil. On ressort groggys, assommés, un peu perdus et plein de questions sans réponses. Sans doute l'intention première du créateur : nous remuer au plus profond de nos êtres. Car on l'a bien compris, chez Olivier Dubois, l'art est inconfortable. 

Il y a autant de terrible que de sublime

Olivier Dubois

Chorégraphe

Itmahrag  : une danse incendiaire et pleine d’espoir, à l’image d’une jeunesse qui gronde et qui frappe fort (Blandine Soulage)

L'enfant terrible de la danse contemporaine

Agitateur de la scène contemporaine française, Olivier Dubois a signé ces dix dernières années quelques-unes des œuvres chorégraphiques les plus radicales. Directeur du Ballet du Nord de 2014 à 2017, élu l’un des vingt-cinq meilleurs danseurs au monde en 2011 par le magazine Dance Europe, il jouit d’une expérience unique entre création, interprétation et pédagogie. 

Interprète hors-norme au physique de catcheur, il joue notamment pour Angelin Preljocaj, le Cirque du Soleil, Jan Fabre, Dominique Boivin, ou Sasha Waltz. En 2006, il crée et danse au Festival d’Avignon le solo Pour tout l’or du monde. La création reçoit le prix spécial du jury par le Syndicat professionnel de la critique. En 2008, toujours au Festival d’Avignon, il présente Faune(s), autour de la pièce de Nijinski.  En 2012, le chorégraphe marque les esprits avec son hypnotique Tragédie. Quatre ans plus tard, il revient à la Biennale de la danse avec Auguri. 

"Itmahrag", d'Olivier Dubois
Aux Usines Fagor-Brandt, dans le cadre de la Biennale de la Danse, ​jusqu'au vendredi vendredi 11 juin 2021 puis en tournée en France. 
La pièce sera présentée au Caire et à Alexandrie à l'automne prochain. 

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