Défis sportifs, Tik Tok, applis dédiées : comment le sport en communauté se réinvente pendant le confinement
"C'est devenu une habitude en fait : j'essaye tous les jours de trouver des défis à relever ou des mouvements drôles à faire pour que les vidéos soient pas trop ennuyeuses. Je les poste et ça me fait bouger". Alice, 27 ans, vit seul dans un appartement à Toulouse. Le "Restez chez vous, mais bougez quand même", mot d'ordre des pouvoirs publics depuis maintenant cinq semaines, elle n'avait pas tous les jours le désir ou l'envie de le respecter. Et puis un jour, elle s'est mise à relever des défis lancés par des inconnus sur les réseaux sociaux, et elle a trouvé sa routine sportive : filmer son activité physique pour pouvoir le partager avec les autres.
On compte ainsi en centaines de milliers de personnes les gens qui, comme Alice, suivent les mots-dièses consacrés (#samedisport ou #handstandchallenge par exemple) et réservent leur temps quotidien d'activité physique à un défi sportif sur les réseaux sociaux. Il faut un smartphone, deux ou trois idées de mise en scène, et un défi souvent drôle, parfois très difficile. Entre inconnus, entre amis ou famille, et même entre collègues, le sport en communauté s'est adapté aux contraintes du confinement. Et a façonné un nouveau rapport au mouvement.
Instagram, Tik Tok : ou comment faire du sport seul et avec tout le monde à la fois
"Je me lève le matin, je swipe (action de balayage latéral sur un écran de téléphone, NDLR) une dizaine de fois sur Tik Tok, et généralement, ça suffit pour trouver un défi drôle et faisable pour moi" raconte Alice. Comme un manuel sur-mesure, les réseaux sociaux fournissent ainsi un éventail de défis - plus ou moins - sportifs aux internautes, et depuis le début du confinement, le renouvellement se fait beaucoup plus rapidement. Chaque jour, les utilisateurs rivalisent en inventivité pour en lancer de nouveaux. Et si certains ne remplissent pas les conseils minimum d'activité physique donnés par le Ministère des sports, d'autres les dépassent largement. Comme ce challenge lancé par la championne olympique de gymnastique Simone Biles : le #handstandchallenge.
Voir le post sur Instagram
"Moi par exemple je n'arrive jamais, ou très rarement, à me motiver pour bouger si je dois le faire seule dans mon coin" Pourtant, dans les faits, Alice fait du sport "seule et dans (son)coin". L'aspect collectif, voire communautaire, n'est ici que virtuel.
Pour le sociologue William Gasparini, auteur notamment de l'Intégration par le sport, ce désir de communauté virtuelle n'est pas né avec le confinement. Mais il est accentué. "Jamais avant on n'avait vu un Federer qui se filmait en train de frapper la balle contre son mur". Le Suisse avait en effet, le 7 avril, lancé un challenge sur Twitter. Il avait, de ce fait, appelé sa communauté à essayer de le suivre. Evidemment, le challenge a été largement relayé, et des centaines de milliers de personnes se sont retrouvées à répéter (ou plutôt, à tenter de répéter) le geste du champion, avec les commentaires de celui-ci.
Voir sur Twitter
Au-delà du coup de com' évident et de la "nécessité de continuer à exister pour les sportifs de haut niveau", selon les mots de William Gasparini, ce challenge n'est que l'exemple émergé de ce qui est une tendance historique à partager son effort physique individuel. "Lorsque l'aérobique est arrivé en France dans les années 80, tout le monde s'est mis à répéter les gestes de Véronique et Davina (dans l'émission Gym Tonic, NDLR), qu'ils voyaient à la télé". Véronique et Davina, les ancêtres lointains de vos défis Tik Tok ? "L’homme est un animal social, on a besoin de partager. Avant l'épidémie, beaucoup de liens par le sport se faisaient en présentiel, d'autres en virtuel. Désormais, par la force des choses, ça se rééquilibre avec beaucoup plus de liens virtuels. Après cette crise, il se pourrait qu'on retrouve l'équilibre d'avant".
Ainsi, si Alice se contente des défis individuels, d'autres le font en couple, ou en famille. Ça donne parfois lieu à des scènes de partage entre générations.
Voir le post sur Instagram
Voir le post sur Instagram
Défis entre amis ou en famille
Encore plus loin dans ce désir de communauté sportive virtuelle, il y a le sport en visioconférence. Pour les défis sportifs sur les réseaux sociaux, on "fait communauté" une fois l'acte sportif réalisé. On attend ensuite le retour, l'assentiment (les "likes") ou les défis des autres. Là, l'acte sportif lui-même est effectué avec sa communauté virtuelle. "C’est une façon de montrer à ses amis : levez vous faites du sport, ne restez pas plantés là", explique le fondateur d'une appli de visioconférence sportive, Fitandview, Hicham El Archi. "Se retrouver à plusieurs c’est un bon moyen de booster."
Le filon motivationnel est utilisé depuis de nombreuses années par des applications telles Strava, qui misent beaucoup sur l'aspect communautaire de la course. Mais en plein confinement, il n'est pas possible de se retrouver pour un jogging. Alors pourquoi ne pas le faire par visioconférence ? Si son application a été créée dès décembre 2019, Hicham El Archi admet que la situation actuelle constitue une opportunité pour son concept. "Les téléchargements ont doublé depuis le début du confinement. Pourquoi ça marche ? Parce que, quand on sait qu’on n’est pas tout seuls, ça motive plus à se lever de son canapé. Sachant qu’il y a un rendez-vous, on se prépare, on s’organise." Il y a en effet la possibilité de se programmer des séances avec des coaches, et surtout de se motiver entre amis avant et pendant l'exercice physique, même pour ceux qui, en temps normal, ne font que très peu ou pas de sport.
En entreprise, maintenir le lien entre collègues, voire les révéler
Après la famille et les amis, l'autre communauté qui s'entretient à travers le sport, un peu contre tout attente pendant ce confinement, c'est le travail. Dans les entreprises où le télétravail est devenu roi depuis le confinement, collègues et staff ne se côtoient plus vraiment, hormis quelques visioconférences ou appels téléphoniques. Les temps d'échanges hors-travail, qui se tenaient auparavant dans les couloirs ou près de la machine à café, sont réduits à néant. Alors, quelques boîtes ont décidé de se mettre aux défis sportifs. Comme le Pays de Thiérache, collectivité locale qui se situe en Picardie et qui emploie 11 personnes à temps plein. "Je me suis dit que ce serait pas mal, pour recréer du lien entre nous", explique la directrice Virgine Fleury. "C'est important dans le fonctionnement d'une entreprise."
Elle crée alors un groupe Facebook "Défis sports du Pays de Thiérache" et charge Valentin, un de ses employés également étudiant en STAPS, d'y proposer des défis quotidiens. Fitness, pilates, chorégraphies : à la manière des challenges Tik Tok ou Instagram, l'aspect ludique est aussi important que l'élément strictement sportif. "Et ça marche ! Faire des vidéos de sport, ça demande de montrer un peu de sa personnalité ; dans la manière de réaliser, de le faire, on rajoute souvent un peu d'humour. On reconnaît les personnalités de chacun. Certains se sont même révélés !"
A partir du 11 mai, soit la date prévue pour le début du déconfinement, les choses vont progressivement rentrer dans l'ordre : il sera, à terme, de nouveau possible de courir à plusieurs ou d'échanger avec les autres autour d'un ballon, tout en gardant ses distances. Les communautés sportives virtuelles sont-elles pour autant vouées à disparaître ? Verra-t-on de nouveau Federer lancer des défis à ses fans, un grand-père danser pour ses petits-fils sur The Weeknd, ou des collègues se charrier autour d'une "choré" de mauvais goût ? Pour Virgine Fleury en tout cas, il est prévu "dès que possible" une discussion avec tous ses employés "pour prolonger les défis sportifs bien au-delà du confinement".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.