Dopage : la goutte de sang séchée, la méthode qui pourrait révolutionner les JO 2021
La lutte antidopage va-t-elle prendre un nouveau virage accéléré ? C’est en tout cas ce qu’estime Witold Banka, le nouveau président de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) depuis le 1er janvier 2020, dans les colonnes de L’Equipe du 21 mai dernier. Grâce à la méthode dite de la "goutte de sang séché" (dried blood spot, soit DBS en anglais), l’institution espère une nette amélioration dans sa lutte antidopage. "Avec quelques gouttes de sang sur du papier, on pourra tester un athlète, et on va donc pouvoir faire évoluer les tests antidopage. Ça demande très peu de sang, c’est plus facile et moins cher à transporter, ça prend moins de place à stocker, et ça peut améliorer la stabilité de l’échantillon.", explique Witold Banka.
En quoi consiste concrètement cette technique ? Grâce à cette méthode, les préleveurs auront simplement besoin d’un goutte de sang de l’athlète, qu’ils poseront sur du papier absorbant avant de l'analyser. Moins de flacons, de stockage de tubes à essai et de transport. De quoi effectuer des contrôles plus rapides, moins contraignants, et donc la possibilité d'élargir le nombre d'athlètes concernés. "L’AMA s’est engagée à rendre disponibles de nouveaux moyens de protéger le sport propre qui réduisent les inconvénients ou la gêne pour les sportifs, et qui sont plus faciles, plus efficaces et moins chers à mettre en œuvre.", expliquait en octobre dernier le Dr Olivier Rabin, directeur exécutif senior, Sciences et partenariats internationaux de l’AMA.
Des résultats en suspens
Interrogé sur cette nouvelle technique, Jean-Pierre De Mondenard, médecin du sport et spécialiste des affaires de dopage, tempère pourtant le côté "révolutionnaire" mis en avant de cette technique. "Elle est révolutionnaire dans sa pratique, mais uniquement dans sa pratique. On ne va pas trouver d’autres substances qu’on ne trouve pas avec les techniques habituelles. Le principe va coûter beaucoup moins cher, prendre beaucoup moins de place, être beaucoup plus facile. Maintenant, il faut voir ce que cela apporte réellement lors du contrôle lui-même au niveau des substances trouvées. De 1990 à 2001, tous les trois mois on nous annonçait qu’on trouvait l’EPO.", explique celui qui a été médecin du Tour de France entre 1973 et 1975.
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Dans le communiqué d'octobre, Olivier Rabin estimait lui que cette méthode pourrait s'ajouter à celles existantes afin de renforcer la lutte antidopage. "Ces tests pourraient s’ajouter au programme mondial antidopage actuel en complétant les contrôles d’urine et de sang en place afin d’élargir la portée des contrôles et de renforcer la capacité des programmes existants à mieux révéler certaines pratiques de dopage. Ces test pourraient constituer une avancée majeure dans les capacités de contrôle antidopage à l’échelle mondiale."
Importée du monde médical par l’AMA, cette technique apparaît flatteuse dans sa conception, mais sa transposition au monde du sport laisse encore beaucoup de zones d’ombre. "Cette technique est utilisée pour des maladies génétiques, pour rechercher des protéines, suivre des traitements. Elle n’est pas du tout faite pour tester des sportifs tricheurs.", atténue Jean-Pierre De Mondenard. "On sait qu’aujourd’hui le meilleur échantillon pour les contrôles, c’est l’urine. Tout ne passe pas par le sang. Il est intéressant quand on recherche certains produits, pas tous. Dans l’urine, on les retrouve tous. Mais c’est certain que ça faciliterait quoiqu’il arrive, notamment en terme de coût.", explique de son coté Christophe Bassons, ancien coureur cycliste professionnel entre 1996 et 2001 et membre de l'Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) jusqu'à décembre 2019.
"C’est une habitude de l’AMA de toujours annoncer avant que les choses soient en place. Le jeu, c’est de montrer qu’on lutte et d’attraper le moins possible.
Par la voix de son président, l’AMA vise les JO d’hiver à Pékin en 2022 pour utiliser cette technique. Le report des Jeux de Tokyo d’un an en raison de l'épidémie de coronavirus lui laisse néanmoins une porte supplémentaire ouverte. "Ca parait court de prendre Tokyo en objectif. Pour rendre la méthode en application, il faut la publier, ce que l’on trouve, quelle est la finalité, quelles sont les substances qu’on peut détecter à coup sûr. Une fois publié, il faut que d’autres équipes parviennent au même résultat. Le laboratoire qui va chaperonner cette technique doit publier, puis d’autres labos doivent arriver au même résultat.", continue le spécialiste.
Un écran de fumée ?
Dans un communiqué datant d’octobre 2019, l’AMA explique avoir signé des protocoles avec sept organisations antidopage (OAD) et avoir débloqué 100 000 dollars dans ce projet en collaboration avec le CIO, l’Agence de contrôle internationale (ACI) et plusieurs organisations nationales antidopage. Révolutionnaire dans son mécanisme et sa célérité, la technique de la goutte de sang séché devra prouver sa fiabilité sur le long terme avant d'intégrer le circuit classique du contrôle antidopage.
"Ils font souvent des effets d’annonce, comme lors du problème des moteurs électriques dans les vélos. Aujourd’hui, nous n’avons plus aucune nouvelle.", commence Christophe Bassons, suivi par Jean-Pierre De Mondenard. "C’est une habitude de l’AMA de toujours annoncer avant que les choses soient en place. Le jeu, c’est de montrer qu’on lutte et d’attraper le moins possible. Reste à savoir si les gouttes de sang seront destinées aux bonnes personnes. Le principe va apporter un plus, mais c’est l’usage, soit la partie d’aujourd’hui aux JO de Tokyo qui va révéler ce que peut apporter cette méthode.", conclut le spécialiste.
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