Bienfaits, dangers pour la santé, effet placebo... Les compléments alimentaires, une frontière ténue entre amélioration de la performance et dopage
Les compléments alimentaires au cœur de plusieurs affaires de dopage ? En l'espace de quelques semaines, le footballeur Paul Pogba, la joueuse de tennis Simona Halep et le sprinteur Mouhamadou Fall ont été épinglés pour des résultats positifs à des produits interdits par l'Agence mondiale antidopage (AMA). Dans chacun de ces cas, les sportifs ont évoqué les compléments alimentaires pour se disculper d'une pratique dopante. Parmi ces trois situations, Simona Halep est celle qui met le plus fermement en cause ces produits. Le 12 septembre, l'ancienne numéro un mondiale a écopé de quatre ans de suspension pour deux violations des règles antidopage : un test urinaire positif au roxadustat (un antianémique) lors de l'US Open 2022, ainsi que des irrégularités relevées sur son passeport biologique sur cette même année.
La vainqueure de Roland-Garros 2018 et Wimbledon 2019 se défend en évoquant la prise de collagène, un complément alimentaire, acheté au Canada. "Au moins deux ingrédients contenus dans ce complément alimentaire proviennent de Chine, a justifié auprès de franceinfo: sport Jean-Claude Alvarez, directeur du laboratoire de toxicologie du CHU de Garches, et qui a réalisé une nouvelle analyse des cheveux de la joueuse, à sa demande. "Le roxadustat est très rare en Europe et aux Etats-Unis, mais est très répandu en Chine. Il est probable qu'une même chaîne de production ait été utilisée, à la fois pour fabriquer des médicaments à base de roxadustat, et pour la production de collagène, qui a donc été contaminée. Des produits contaminés en Chine, malheureusement, il y en a énormément", poursuit le professeur qui travaille également à l'université de Paris-Saclay, dont le laboratoire est en pointe sur les questions de dopage. La joueuse a fait part de son intention de faire appel devant le Tribunal arbitral du sport (TAS).
Les athlètes, seuls responsables de leur prise alimentaire
Si les compléments alimentaires ne sont pas interdits dans le sport, et ne se trouvent pas sur la liste des substances bannies par l’AMA, la prudence doit toutefois être de mise. Au-delà de possibles effets secondaires, "l’industrie des compléments alimentaires n’étant pas régulée, les produits pourraient contenir des substances interdites qui ne sont pas indiquées sur l’étiquette ou l’emballage", alerte l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sur son site internet. Certains fabricants affirment même sur leur étiquetage que "leurs compléments alimentaires sont 'certifiés' ou 'testés' ou encore 'certifiés' par des organismes indépendants", ce qui "n'atteste pas que ces produits ne contiennent pas de substance interdite", précise encore le site de l'AFLD. L’AMA ne certifie d'ailleurs aucun complément alimentaire. En 2022, 20 % des contrôles positifs réalisés par l'AFLD étaient liés à un (més)usage de compléments alimentaires, a indiqué l'Agence à franceinfo: sport.
Si le "risque zéro n'existe pas, il est toutefois très faible quand on prend des produits normés, c'est-à-dire que l'on sait ce qu'il y a dedans et que l'on connaît leur provenance", souligne Véronique Rousseau, diététicienne nutritionniste du sport à l'Insep (Institut national du sport, de l'expertise et de la performance). À l'Insep, elle prescrit donc aux athlètes des produits référencés sur une "liste de suppléments sécurisés", qui répond à une norme européenne.
Car pour tout athlète de haut niveau, une règle prévaut : que la contamination soit volontaire ou accidentelle, il en reste le responsable. "En matière de lutte contre le dopage, le principe de responsabilité stricte s'applique, ce qui signifie qu'il est du devoir de chaque athlète de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son corps. Les sportifs sont responsables de toute substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs présents dans leurs échantillons corporels", rappelle à franceinfo: sport l'International Testing Agency (ITA), qui n'a, comme l'Agence mondiale antidopage, pas souhaité s'exprimer davantage.
Un marché en hausse
En 2022, le marché des compléments alimentaires a augmenté de 3 % en France par rapport à 2021 avec un chiffre d'affaires de 2,6 milliards d'euros, d'après une étude du Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet). Toujours d'après cette étude, 59 % des Français en consomment, dont 44 % de façon régulière (plusieurs fois par an), soit un pourcentage en hausse de 7 % depuis deux ans. Tout cela au sein d'un marché peu lisible sur les provenances des produits et des ingrédients ajoutés. "Le marché des compléments alimentaires a explosé depuis une vingtaine d'années. La gamme est très large, avec du marketing associé très fort", constate Véronique Rousseau. Cette tendance n'a pas échappé au milieu du haut niveau. Bien qu'aucun chiffre ne donne la part exacte d'athlètes consommant ces produits, les spécialistes confirment l'engouement chez cette population.
"Des athlètes de haut niveau vont avoir recours à ces compléments dans l'espoir qu'ils améliorent leurs performances ou leur récupération, explique Raphaël Faiss, chercheur antidopage à l'université de Lausanne (Suisse). Ils permettent aussi de compléter un apport alimentaire qu'on n'aurait pas forcément de façon efficace avec l'alimentation normale. Dans ce cas-là, on trouve une certaine utilité pour les compléments", assure le chercheur. Les compléments alimentaires sont aussi utilisés à des fins de renforcement musculaire, avec des protéines isolées, dépourvues des graisses associées.
"Si un coureur du Tour de France devait compenser la quantité d'énergie en sucre qu'il brûle pendant une étape de montagne, il devrait consommer à peu près 400 grammes de sucre, soit environ huit ou neuf assiettes de pâtes, ce qui est compliqué à réaliser avec une alimentation normale."
Raphaël Faiss, chercheur antidopage à l'université de Lausanneà franceinfo: sport
Autre intérêt pour les athlètes : la praticité. "Parfois, en post-entraînement, si le sportif ne mange pas dans l'heure, car il n'a pas la possibilité d'avoir un vrai repas dans l'immédiat, on va avoir recours à des poudres de protéines qui s'assimilent vite, et qu'on va associer à des glucides. S'il ne faut pas négliger le côté pratique, nous mettons toujours une priorité sur l'assiette avant le complément alimentaire", nuance Véronique Rousseau.
Si le repas traditionnel est à prioriser selon la diététicienne nutritionniste à l'Insep, la prescription de certains compléments alimentaires, comme la "boisson de l'effort et des protéines en poudre, est toutefois assez commune et encadrée", assure-t-elle. Même s'il est difficile de contrôler tout ce qu'ingèrent les athlètes. "Nous ne sommes pas tous les jours avec eux, et leur entourage peut aussi leur conseiller certains produits. D'ailleurs, quand on leur demande ce qu'ils prennent, quelle quantité et pourquoi ils le prennent, ils ne savent souvent pas répondre", observe cette diététicienne nutritionniste.
Une efficacité qui divise
Mais leur utilisation ne fait toutefois pas l'unanimité auprès des professionnels. "Il y a beaucoup de croyances dans la nutrition. Souvent, chez les sportifs il y a une surestimation de la perception de ces compléments, sans vérifier vraiment leur besoin, qui dépend pourtant d'un suivi individuel. La priorité devrait être l'alimentation naturelle, mais chez eux, le curseur est souvent un peu déplacé, et davantage axé sur une préoccupation de prendre des suppléments", observe Véronique Rousseau, qui appelle à la prudence.
"Il y a parfois un effet placebo, tranche quant à lui le chercheur Raphaël Faiss. Certains vont se dire que 'si j'en prends, cela n'aura peut-être pas d'effet positif, mais que ne pas en prendre aura un effet négatif'." Surtout, leur efficacité n'a pas toujours été démontrée. "Le CIO a publié un consensus afin de lister les compléments et les aliments pour lesquels on a un intérêt scientifique d'avoir une supplémentation, ceux pour lesquels on a très peu de preuves scientifiques et ceux où on n'a absolument aucune preuve", relève Raphaël Faiss, qui regrette un manque d'information chez les athlètes. Mais "si on a un doute, si on a une liste d'ingrédients peu claire, conclut-il, les athlètes doivent alors passer simplement leur chemin."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.