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Editorial. Avec l'UTS, Mouratoglou en fait-il trop ?

C'est donc ça le tennis du futur. Une sorte de jeu de rôle, avec des cartes à jouer, inspiré des jeux vidéo. Imaginé par le visionnaire Patrick Mouratoglou, l'UTS veut dépoussiérer le tennis à papa, ses codes, son aseptisation, pour attirer un public plus jeune. L'ambition est louable et il ne s'agit pas, ici, de tuer dans l'oeuf les bonnes volontés. Ni, a contrario, de réaliser un plaidoyer pour les raquettes en bois. Mais simplement de ne pas enterrer un sport que l'on aime tel qu'il est et qui aurait juste besoin de quelques retouches. Pas d'un complet ravalement de façade.
Article rédigé par Julien Lamotte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 4min
  (CYRIL DODERGNY / MAXPPP)

Si le tennis est comme la mer et qu'il ne porte que ceux qui s'agitent, Patrick Mouratoglou ne risque pas de couler. On peut lui reprocher son interventionnisme, parfois une certaine suffisance, mais certainement pas de ne pas faire bouger les lignes. L'homme est un bosseur. Et un amoureux inconditionnel de son sport pour lequel il en fait beaucoup. Peut-être un peu trop même.

L'Ultimate Tennis Showdown, c'est un peu Hunger Games ou The Running Man, sauf que les participants ne mettent pas (encore ?) leur vie en jeu. On plaisante évidemment mais l'idée est la même que dans ces fictions : faire du tennis un sport spectacle total. Mouratoglou, que l'on verrait bien dans le rôle du producteur génial mais ambigu dans l'un des films précités, n'a pas lésiné sur les moyens. Interaction avec le public, coaching en direct, code de conduite assoupli pour permettre les débordements, et surtout ces fameuses cartes à jouer censées embrouiller l'adversaire. Pour la théorie, lire l'article ci dessous. Pour la pratique, lire le paragraphe suivant. On s'en doute, il y a quelques différences.

"Tennis. Like Never Before" annonce le slogan de l'UTS. Pour une fois, la pub n'est pas mensongère. Dès les premiers points, on est vite déboussolé, tout comme les joueurs qui s'emmêlent les crayons dans leurs cartes à jouer. Les micros avec les entraîneurs ne fonctionnent pas. Bref, le tennis du futur, c'est un peu le Kamoulox. Les joueurs sont ensuite interviewés en plein match, ce qui a l'air de les ennuyer royalement. Et pourtant. Malgré ces couacs, finalement bien légitimes pour un début, on assiste à des rencontres plutôt serrées et les joueurs semblent se prendre au jeu. Les coups gagnants pleuvent. Les rires fusent. La mayonnaise prend. 

Mais cela ressemble plus à une exhibition sympa entre potes qu'à une véritable révolution. Pour l'intensité et l'émotion, il faudra attendre. Le sport fiction, et friction, voulu par l'apprenti sorcier Mouratoglou, se heurte à un obstacle de poids : la comparaison avec ce que l'on appelle encore le tennis. Quitte à passer pour un vieux con, l'auteur fait partie de ces passionnés qui aiment le tennis joué en 3 ou 5 manches, avec des 15, des 30 et des 40. Mais il n'est pas obtus et il sait aussi que tout ce qui est nouveau fait peur. Il partage l'opinion de Patrick Mouratoglou quand ce dernier dit que ce sport manque aujourd'hui de Connors ou de McEnroe. Mais le problème c'est que lorsqu'une grande gueule comme Nick Kyrgios surgit, le règlement le fait passer pour un criminel recherché par Interpol. Tout ça parce qu'il a dit "fuck" et cassé trois raquettes. 

Le temps, le nouvel adversaire

C'est donc plus du côté de l'esprit qu'il faut creuser, plus que de celui de la règle. C'est bien beau de vouloir faire du "jeunisme" en louchant sur les recettes du gaming - pour la partie délirante, les jeux sur console, c'est bien déjà - mais franchement Patrick, les cartes à jouer, faut les remballer. Les surnoms aussi. "Le Dieu Grec" contre "Le Rebelle" pour annoncer Tsitsipas face à Paire c'est un peu pompeux non ? Les visuels peuvent également rendre épileptique.

Tout n'est pourtant pas à jeter, loin de là. Le concepteur a certainement mis le doigt sur une composante essentielle du jeu qui, elle, mérite que l'on s'y attarde : le rapport du joueur au temps. Un critère fondamental, bien plus que les cartes, qui ne sont finalement que des gadgets. 

Avec ce nouveau système, clairement inspiré de la très populaire NBA, le joueur se bat non seulement contre un adversaire mais aussi contre le buzzer. Dans sa volonté d'accélérer les matches (bravo les 15 secondes pour engager !), Mouratoglou ouvre une piste intéressante. Car pour un Mahut - Isner d'anthologie combien de purges sans nom auraient mérité une agonie moins longue ? Reste que, la durée illimitée d'une partie fait partie de l'ADN de ce sport. C'est, en partie, ce qui fait son sel. Priver le tennis de ça, c'est aussi le vider de son sens. 

Le temps, toujours lui, dira si Mouratoglou avait vu juste. Pour l'heure, l'UTS n'est pas l'Ultimate Tennis Sabordage. Mais il n'est pas encore l'Ultimate Tennis Sauvetage. Mouratoglou a certainement encore beaucoup de cartes dans son jeu. Nous, ça nous va et on lui fait confiance, tant qu'il ne les prête pas aux joueurs pendant les rencontres.

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