Emile Allais nous a quitté
Rien ne prédisposait ce fils d'un boulanger de Megève à une si brillante carrière. Le ski de compétition balbutiant, Emile Allais s'est inventé un destin doré sur les pistes puis en dehors. Champion de sa station haute-savoyarde, le "gamins" se frotte alors aux imbattables Suisses et Autrichiens. Premier médaillé français aux JO d'Hiver (bronze en combiné aux JO de 1936), Allais prenait son envol en 1937 à Chamonix. Une moisson dorée exceptionnelle. Il signe un triplé en or (slalom, descente, combiné) qui le propulseront dans la légende du ski mondial. En France, il faudra attendre Jean-Claude Killy en 1968 pour retrouver trace d'un autre champion d'exception. A nouveau titré l'année suivante en combiné avec deux autres médailles d'argent (slalom et descente), Allais ne s'arrête pas aux saveurs des podiums. Il participe à la mise en place de l'école de ski française qui mettra fin à l'hégémonie de l'Autriche et devient le moniteur N.1 des "pulls rouges".
Allais 60, la révolution métallique
Quant le conflit mondiale éclate, Emile Allais intègre les chasseurs alpins. Après l'armistice, il participe à la Libération et s'engage dans le bataillon du Mont-Blanc. Amoureux de son sport et de ses montagnes, le Haut-Savoyard va beaucoup oeuvrer pour son développement et la pratique du ski. Allais a toujours été un précurseur dans son domaine. En compétition, il fût l'un des premier à prôner le parallélisme dans les virages contre le chasse-neige autrichien. Très attaché au matériel, Allais a également travaillé avec Rossignol pour l'élaboration des skis. Des Allais 41 en bois jusqu'aux mythiques Allais 60 en métal (il importe des USA une technologie mise au point par l'ingénieur américain Howard Head, ndlr), ce sont plusieurs générations qui ont profité de son savoir-faire pour le plaisir de la glisse. Jean Vuarnet sera médaillé olympique à Squaw Valley avec ces skis (1960). Côté vêtement, on lui doit aussi la création des fuseaux, notamment ceux de la société Allard basée à Megève.
Allais le bâtisseur
Boudé par sa région après la deuxième guerre mondiale, Emile Allais s'exile en Amérique où il met ses compétences à profit pour développer des stations modernes. Ses compétences d'instructeur et de bâtisseur sont reconnus au Chili, au Canada et aux Etats-Unis où il participe à la création de Squaw Valley en Californie, qui deviendra l'une des plus célèbres stations américaines de ski. Traçage de pistes, installation de remontées mécaniques, damage à l'aide de chenillettes, canons à neige, Allais n'est jamais à court d'idée et finit par revenir en France pour partager son immense expérience. On peut reconnaître sa signature dans les grands domaines de Courchevel, La Plagne, Vars et Flaine. Père spirituel de tout le ski français actuel, Emile Allais a effectué sa dernière montée vers les sommets.
Réactions
Jean-Claude Killy (tiple champion olympique aux JO de Grenoble-68): "C'est un très grand sentiment de tristesse car c'était, j'ai envie de dire entre guillemets, notre père à tous. C'était le père du ski moderne, admiré par tous, respecté par tous. C'est déjà extraordinaire dans un milieu comme le nôtre et puis le fait qu'il skiait encore à 97-98 ans, c'était à peu près inimaginable. Il avait cette passion incroyable pour le ski qui l'a jamais quitté. Sa fille disait ce matin, que le jour où il est parti à l'hôpital (...), il cherchait partout ses chaussures de ski, car il voulait voir ses chaussures de ski. Il avait la médaille numéro un des moniteurs de ski. C'est-à-dire qu'il était le premier moniteur de ski. Il a écrit des livres sur la technique de ski, il a vraiment réfléchi, sur comment skier mieux, comment ne pas skier comme les Autrichiens, mais skier comme les Français, comment par exemple traiter les pistes d'une station de ski, comment traiter la neige sur cette piste, tout ça en pionnier, toujours. Il m'a appris à prendre des risque dans les domaines qu'on ne connaît pas pour pouvoir se développer. C'est vraiment le rôle du précurseur. Le ski français lui doit énormément. Evidemment qu'on s'éloigne maintenant de cette période. C'était il y a plus d'une demi-siècle, mais il était une vraie référence."
Guy Périllat (double champion du monde et vice-champion olympique de descente aux JO de Grenoble-68): "Quand j'ai commencé le ski, comme pour tous ceux de ma génération, il a été la référence avec James Couttet. Quand j'ai commencé le ski international, il était le sélectionneur pratiquement et c'est lui qui m'avait retenu pour les Mondiaux de 1958, j'avais alors 18 ans. A l'époque, il n'y avait pas un seul sélectionneur, mais une équipe de personnes avisées, dont il faisait partie. Je me souviens aussi qu'il m'avait hébergé gracieusement pendant deux semaines lors de l'hiver 59 alors qu'il était directeur technique de la station de Courchevel".
Michel Vion (DTN du ski français) : "C'est un grand moment de tristesse, cela fait un choc même si on le savait très fatigué et on se préparait au pire. C'était un peu notre père à tous dans le ski de compétition, en terme de médaille. Mais il était plus que cela. C'était un personnage incontournable, médaille N.1 des moniteurs, N.1 des pisteurs... C'était un visionnaire qui a contribué à façonner notre sport à une époque où tout était à construire. On ne pourrait plus faire cela aujourd'hui, tout est cloisonné".
Valérie Fourneyron (ministre des Sports): "Avec lui disparaît un pionnier infatigable. (...) Emile Allais avait la passion du ski chevillée au corps et na eu de cesse dinnover et dinventer toute sa vie pour contribuer au développement de sa discipline et au rayonnement de lécole française. (...) Curieux et ouvert desprit, il avait mis à profit ses nombreuses expériences professionnelles à létranger, notamment aux Etats-Unis, pour créer les toutes premières stations de ski modernes, inventer le métier de pisteur secouriste ou encore inspirer les équipements les plus innovants. Rares sont les athlètes qui auront marqué dune empreinte aussi indélébile leur sport. Emile Allais fût une figure du ski français, un précurseur et un modèle dengagement. (...)"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.