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Entre Donald Trump et les sportifs américains, une fracture irréparable

Si Donald Trump n’a jamais fait l’unanimité dans la société américaine, il semblerait que les dernières semaines, marquées par le décès de George Floyd et des contestations populaires contre le racisme, aient aggravé la fracture entre le président et les sportifs américains. Les athlètes noirs ont notamment pris position pour soutenir le mouvement "Black Lives Matter" mais aussi pour s'opposer au président, et ce, à quelques mois de l'élection présidentielle américaine (le 3 novembre 2020).
Article rédigé par Apolline Merle
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Le président américain Donald Trump, en février 2020, en Floride.  (CHRIS GRAYTHEN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Depuis le début de son mandat, on ne peut pas dire qu’entre Donald Trump et le monde du sport, coule un long fleuve tranquille. Bien au contraire. Et cette relation s’est totalement brisée en décembre 2016, quand le joueur de football américain Colin Kaepernick a posé un genou à terre pendant l’hymne national pour dénoncer les violences policières et le racisme. Ce geste lui attirera les foudres de Donald Trump, qui l’insultera publiquement, lui et ses coéquipiers qui l’avaient soutenu. “Quand des joueurs manquent de respect à notre drapeau, n’aimeriez-vous pas voir dégager ces fils de p… du terrain ? Renvoyés !” Un discours clivant alors même que le président était fraîchement élu. Mais depuis, aucune franchise de NFL n'a pris le risque de recruter le pourtant talentueux quaterback.

LeBron James, autre figure du sport américain, s’est lui aussi opposé au milliardaire. Dans une interview accordée à CNN en 2018, le célèbre joueur de NBA avait indiqué que Donald Trump “essayait de diviser. C’est quelque chose que je ne peux pas comprendre, parce que je sais que c’est grâce au sport que j’ai côtoyé quelqu’un de blanc pour la première fois.” Le président avait alors répondu et taclé : “Lebron James a été interviewé par l’homme le plus stupide de la télévision, (le présentateur de CNN) Don Lemon. Il a réussi à faire apparaître Lebron comme quelqu’un d’intelligent, ce qui n’est pas facile à faire.”

Le président le plus clivant de l’histoire des Etats-Unis

Deux exemples significatifs qui illustrent bien la fracture entre le 45e président des Etats-Unis et les sportifs américains. “Aucun président américain avant Donald Trump n'a été aussi clivant pour le monde du sport. Il s'agit du président le plus clivant de l'histoire du pays depuis, sans doute, la guerre de Sécession. Il a aussi un niveau de violence verbale qui est, selon moi, inédit dans l'histoire de la présidence des Etats-Unis, où il vise d’ailleurs des athlètes directement et publiquement, comme il l’a fait avec Colin Kaepernick”, explique Nicolas Martin-Breteau, historien des Etats-Unis et maître de conférences à l’université de Lille. 

“Trump est à l'antipode de toutes les valeurs que les joueurs de NBA prônent”

Une rupture également constatée par Syra Sylla, ancienne journaliste spécialisée basket, notamment de NBA et aujourd'hui travaillant dans la communication. “Clairement, il y a une vraie fracture par rapport aux autres présidents américains. Et la fracture est d'autant plus forte qu'on est passé de Barack Obama, le premier président noir et qui était fan de basket, à Donald Trump, qui y montre peu d'intérêt. En NBA, les joueurs sont à 80% Africains-Américains, et Obama les représentait. Trump est à l'antipode de toutes les valeurs que les joueurs de NBA prônent. On est passé d’un extrême à l'autre.”

"Toute cette rhétorique de dire que la contestation de la violence policière est de l'anti-patriotisme, que protester calmement pendant l'hymne est en rupture avec la nation, ce ne sont que des arguments de mauvaise foi" 

Les divisions de la société sur les questions raciales se retrouvent dans le sport. Des questions qui ont été ravivées par le président, qui maintient le même cap depuis le début de son mandat. “Donald Trump est dans la droite ligne de son attitude depuis le début, dans sa stratégie du chaos. Ça reflète d’ailleurs l'état des lieux de sa présidence. Toute cette rhétorique de dire que la contestation de la violence policière est de l'anti-patriotisme, que protester calmement pendant l'hymne est en rupture avec la nation, ce n’est que des arguments de mauvaise foi. Car ce geste demande justement de l'égalité et de la justice”, explique Charlotte Recoquillon, chercheuse associée à l’Institut français de géopolitique, spécialiste des Etats-Unis.

Si cliver fait partie de sa ligne de conduite, l’autre trait de caractère qui lui est propre, est de dire tout et son contraire. Trois ans après l'avoir traité de "fils de p..." pour s'être agenouillé pendant l'hymne américain, Donald Trump a estimé mercredi que Colin Kaepernick devrait avoir une autre chance de jouer en NFL, "s'il en a la capacité". Un changement de position radicale qui intervient à la suite de plusieurs semaines de manifestations et à quelques mois seulement de l'élection présidentielle.

Les sportifs blancs peu engagés contre Trump 

Toutefois, la rupture concerne surtout les sportifs noirs, et beaucoup moins les sportifs blancs. Si les lignes bougent, les athlètes blancs sont peu nombreux encore à prendre position.“S'il n'y a aucun doute que les athlètes noirs sont clairement opposés à Trump, les athlètes blancs, voire les athlètes d'autres minorités raciales, ne sont pas aussi engagés contre lui”, souligne Nicolas Martin-Breteau, l'historien des Etats-Unis et auteur de Corps politiques, Le sport dans les luttes des Noirs américains pour la justice depuis la fin du XIXe siècle, (Ed. EHESS).

Et suivant les ligues sportives, les positions diffèrent. En effet, la NBA, la ligue la plus progressiste, et qui comptent dans ses rangs environ 80% de joueurs Africains-Américains, est très engagée contre le président. En plus des joueurs, ce sont également ses cadres, souvent blancs, qui soutiennent les joueurs. Ce qui n’est pas le cas de la NFL. “Il y a des différences entre les sports, car quand Colin Kaepernick met son genou à terre, il est boycotté par tout le monde et banni de ce sport. Si des joueurs le soutiennent, ce n’est pas le cas de l’institution. En NBA, c’est différent, car ils s’unissent pour faire bloc, et notamment contre Trump”, ajoute Syra Sylla.

“En NBA, même si les messages visent le système dans sa globalité, il y a clairement des attaques visées contre le président”

Si en 2016 Colin Kaepernick ne visait pas directement Trump mais dénonçait les violences policières, la NBA est davantage dans la posture offensive envers celui-ci. “En NBA, même si les messages visent le système dans sa globalité, il y a clairement des attaques visées contre le président”, ajoute Syra Sylla. D’ailleurs, depuis le début de la présidence de Donald Trump, aucune équipe championne de la saison de NBA ne s’est rendue à la Maison Blanche, pourtant un rituel. “Quand il a été élu, les joueurs ont refusé d’aller à la Maison Blanche. Et depuis, personne ne s’y est rendu”, indique Syra Sylla. 

La NFL, une ligue plus ancrée à droite

Nicolas Martin-Breteau précise encore. “La ligue d'origine de Kaepernick, la NFL, n’est pas aussi progressiste que la NBA, et est proche du parti Républicain. De nombreux propriétaires de franchises de cette ligue sont notamment des soutiens officiels de Trump, qui ont même, pour certains, financé sa campagne électorale. Les spectateurs de la NFL sont aussi plus susceptibles de voter à droite qu'à gauche, poursuit l'historien spécialiste des Etats-Unis. Il est donc plus difficile de prendre clairement position dans cette Ligue. On ne peut pas dire que cette ligue ait fait preuve de valeurs progressives sur cette question au cours des dernières années, même si la NFL a reconnu publiquement qu'elle avait eu tort au sujet des contestations actuelles.”

Le patron de la ligue professionnelle de football américain, Roger Goodell, s'est en effet excusé le 6 juin de ne pas avoir écouté plus tôt les joueurs. Il a alors demandé à l'instance de condamner le racisme et de soutenir les protestations, après la mort de George Floyd, et a même appelé il y a quelques jours les équipes à engager Kaepernick, sans clubs depuis trois ans. Un changement de discours qui intervient là encore, en plein mouvement de contestation. 

Cette fracture avec le monde du sport a aussi un effet sur le plan politique, selon Nicolas Martin-Breteau, historien des Etats-Unis. “Son image publique et son honneur en tant que président sont touchés, car les positions très dures qu'il a défendues, voire insultantes vis-à-vis des joueurs, sont en train d'être battues en brèche par une bonne partie du monde du sport et voire par la société américaine.” D’autant plus après ses dernières déclarations où il a expliqué vouloir boycotter la NFL et le Championnat de football si les joueurs posaient un genou à terre pendant l'hymne national. “C'est très frappant car il en est à tenir ce genre de propos, mais il n'est pas écouté, les joueurs continuent. En tant que président, il a subi une lourde défaite symbolique. Surtout que dans la rue, des milliers de personnes reproduisent ce geste, même des policiers.” 

Un geste entré dans l’histoire

Le geste révolutionnaire de Colin Kaepernick est devenu ces dernières semaines un véritable symbole mondial. “Il est entrain de prendre une dimension historique aujourd’hui, ce qu'il n'avait peut-être pas en 2016, et qui met d’ailleurs Trump en difficulté. Par ailleurs, en passant par ce geste plutôt qu’une parole articulée, Colin Kaepernick a eu beaucoup plus d’impact que s’il avait fait un discours à la télévision”, analyse l’historien Nicolas Martin-Breteau. 

Alors que les Etats-Unis et son président sont au cœur d’un mouvement de contestation contre les violences raciales, et dont la colère ne semble pas faiblir, la protestation actuelle portée par les sportifs noirs pourrait avoir un impact sur les prochaines élections américaines, le 3 novembre prochain. “Avec le mouvement actuel, les joueurs de NBA ont clairement exprimé leur envie de faire bouger les choses, et ce, en incitant les gens à voter. Donc s'ils font vraiment campagne contre Trump, sachant qu’ils ont une grande influence au sein de  la communauté africaine-américaine et auprès des jeunes, ils peuvent réellement faire changer les lignes", conclut Syra Sylla. 
 

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