Portrait Equitation : Claude Lebon, groom du champion olympique Roger-Yves Bost depuis 25 ans

Article rédigé par Sasha Beckermann, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Claude Lebon, le groom de Roger-Yves Bost. (©JessicaRodrigues)
Dans un milieu où le turn-over est élevé, il est devenu une figure des paddocks et du saut d’obstacles.

"Dis donc, il est difficile ton circuit", souffle un peu grognon Claude Lebon, le groom de Roger-Yves Bost à Anthony Leoni, chef adjoint des écuries du Saut Hermès. Il est 6h pétantes du matin, la Tour Eiffel est éteinte, le 25 tonnes gris de "Bosty", comme on appelle le cavalier médaillé d’or à Rio, vient de s’arrêter, vendredi 15 mars, à côté du Grand Palais éphémère, où se déroule jusqu'à dimanche ce concours très parisien. Claude, arrivé en tout dernier - privilège de la distance, les écuries sont à Barbizon à environ 45 minutes de route - cherche le moyen le plus efficace et le chemin le moins long pour mener les deux chevaux de son cavalier dans leur box pour le week-end de compétition. 

Le pont du camion s’ouvre, les gestes de Claude sont précis, efficaces. Le pas est rapide, cela devient difficile de le suivre. "Claude a ses petites habitudes, nous souffle Anthony Leoni. J’ai commencé à 16 ans, j’en ai 38 aujourd’hui et c’est vrai qu’il y a une histoire derrière le duo Claude et Bosty", lance-t-il spontanément. Une histoire qui dure depuis plus de 25 ans. Un quart de siècle que Claude, bientôt 55 printemps, est le groom du champion d’Europe 2013 en concours de sauts d’obstacles (CSO).  

Une longévité rare 

Grossièrement, il est la "nounou" de ses chevaux, celui chargé de s’en occuper au quotidien, mais aussi en concours : les nourrir, les préparer ou encore s’assurer du transport. L’homme de l’ombre derrière les nombreux succès du cavalier. Sa longévité est rare à ce niveau : "Je suis une Antiquité dans le concours", sourit-il. Le turn-over des grooms est élevé, beaucoup abandonnent même en route. Rythmes de vie effarants, difficultés à avoir une vie privée, métier physique, peu de reconnaissance sportive et financière… Les raisons sont multiples. 

"Le cheval c’est une vocation. Pas une passion parce que ça s’effrite, mais plutôt une vocation."

Claude Lebon

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Expérience oblige, Claude économise ses gestes, mais aussi ses mots. Tout est mesuré, sans pour autant se détourner des questions. "Adolescent, je voulais être cavalier, concède le groom. Mais après ça, il faut avoir du talent, et à l’époque, quand on voulait une place de cavalier, on n’était pas payé, donc il fallait avoir de l’argent d’avance, et je n’en avais pas." Claude ne sera pas cavalier, il sera donc groom, pour être au plus proche des chevaux, son obsession depuis ses 14 ans. Après son service militaire, il travaille dans différentes écuries et finit par débarquer chez Roger-Yves Bost. 

Claude Lebon, au Saut Hermès, le vendredi 15 mars. (franceinfo: sport)

Ils se connaissent et fonctionnent comme "un vieux couple", s'esclaffe Claude. "On n’a plus besoin de se parler, je sais ce qu’il veut, quand il le veut. Et il me connaît par cœur aussi", détaille-t-il. Toutes ces années ont permis de créer des liens, mais ne parlez pas d’amitié à Claude : "Je ne dirais pas qu’on est ami. On a toujours fait en sorte qu’il n’y ait pas ce mélange-là pour justement que chacun reste à sa place, c’est lui le patron. Quand il a quelque chose à me dire, il me le dit, et ça ne m'empêche pas de dire ce que j’ai à lui dire non plus." 

Le secret de leur longévité ? Les deux hommes se ressemblent : ils sont simples, détestent tous les deux "les chichis" ."De ce côté-là, on est assez raccord. Certains passent maintenant plus de temps à faire beaux leurs chevaux qu’à vraiment s'en occuper", regrette Claude. Sur le plan sportif aussi : "On a la même façon de faire, la même façon de voir les chevaux. On ne fait pas de concours pour faire des concours. Si le cheval n’est pas prêt ou si c’est au-dessus de ses moyens, si c’est trop dur pour lui on ne fait pas d’épreuve."

11h30 au Grand Palais éphémère, "Bosty" est au paddock, la carrière de détente avant de s'élancer sur la première épreuve du week-end, avec des barres placées à 1m45. Claude n'est jamais loin, cravache et chiffon dans la poche arrière de son jean au cas où. Les deux hommes se parlent peu, le groom monte les barres au fur et à mesure de l'échauffement de son cavalier. Une fois Roger-Yves Bost en piste, Claude l'observe du bord de la carrière, ce sera une barre à terre et un tour rapide mais pas de victoire ce coup-ci.

Il leur arrive de débriefer après les tours mais chacun à sa place insiste Claude : "Des conseils ? Non je lui dis ce que j’ai vu. Parfois je lui dis : 'T’étais un peu près là.' Ça m'intéresse, je comprends la technique, mais lui dire : 'T’aurais dû faire ça ou ci', non. Déjà il aurait fallu que je fasse moi-même du concours… J’en ai fait deux dans ma vie !"

Un métier ingrat

Claude carbure à la compétition. Être sur les plus beaux concours du monde du mercredi au dimanche, sans compter ses horaires, passer des heures à conduire le camion, c’est ce qui le motive : "C’est pour ça que je tiens aussi longtemps dans cette écurie et ce milieu, c’est que je ne suis pas à la maison tous les jours à faire la même chose. On peut faire six fois de suite le Saut Hermès, ça ne se passera pas six fois de suite pareil." Sa reconnaissance, Claude la trouve "quand [son] cheval gagne” : "Quand il fait des classements c’est bien, mais l’important c’est de gagner." 

Mais Claude le reconnaît, "faire du 5 étoiles [la plus haute catégorie de concours] c’est mon quotidien, quelque part on se blase un peu." Et parfois le métier est un peu ingrat. "On fait beaucoup d’heures et on n’est pas beaucoup payé, par rapport au nombre d’heures qu’on fait. Je suis payé 1600 euros nets plus le logement. Un salaire d’environ 2000 euros en tout, au bout de 25 ans, c’est pas énorme."

Claude Lebon, groom de Roger-Yves Bost depuis 25 ans. (©JESSICARODRIGUES)

Et avoir son propre cheval ? "Ça coûte beaucoup trop cher, c’est beaucoup de soucis, beaucoup d’ennuis, je préfère qu'ils soient chez les autres, c’est comme garder les enfants des autres." Claude a arrêté de monter il y a une dizaine d'années, sur ordre de son cavalier, après des problèmes d'épaule : "Ça m'a beaucoup manqué. Et maintenant ça fait tellement longtemps… Évidemment j’aimerais bien remonter à cheval, mais je me dis qu’on a tous un métier…"  

Claude n’a pas d’enfant, mais la chance d’avoir depuis dix ans, une compagne qui comprend les enjeux de son métier : "La vie de groom étant difficile, on met du temps à trouver. En pleine saison de concours, je suis deux jours par semaine à la maison. Mais si c’est possible c’est parce que j’ai trouvé la bonne personne qui accepte la condition et qui connaissait le milieu." Ca tombe bien, après le Saut Hermès, il prendra la direction du Sunshine Tour, en Andalousie. 

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