"On parle souvent de la petite mort du sportif, mais je ne vais pas la connaître : je vais donner la vie", se réjouit la sabreuse Charlotte Lembach

A 36 ans, la membre de l'équipe de France d'escrime a décidé de faire une croix sur les Jeux olympiques de Paris et de prendre sa retraite sportive afin de donner naissance à son enfant.
Article rédigé par Sasha Beckermann
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 12min
Charlotte Lembach, au retour des Jeux olympiques de Tokyo, le 2 août 2021 au Trocadéro. (RENARD ERIC / KMSP)

Charlotte Lembach est libérée. Légère, la sabreuse de l’équipe de France - médaillée d’argent par équipe à Tokyo -, désormais jeune retraitée et future maman, revient sur ces années de galère pour tomber enceinte, elle qui a appris très tardivement qu’elle était atteinte d’endométriose. Elle a annoncé sa grossesse dans les colonnes de Marie-Claire il y a quelques semaines.

Franceinfo: sport : Ce bébé, avec les difficultés que vous avez rencontrées, le timing d’avant-Jeux… Il est inespéré ? 

Charlotte Lembach : Il faut savoir qu’après les Jeux de Tokyo, j’avais décidé d’arrêter ma carrière pour fonder une famille. Ce qui ne s’est pas produit. Sauf qu’au bout de deux ans et demi, et même après avoir repris l’escrime, j’ai découvert que j’avais de l’endométriose, et que je ne pouvais pas avoir d’enfant sans aide. 

Quand j’ai décidé de reprendre le sabre, l’objectif premier restait quand même d’être enceinte et pas forcément de faire les Jeux, même si ceux à Paris étaient dans ma tête. On avait convenu avec mon conjoint qu’on essayait et que si ça arrivait, ce serait la plus belle chose du monde. On a donc programmé les protocoles de PMA en fonction de la fin des qualifications pour les Jeux et de ma sélection ou pas. C’était clair dans nos têtes que si j’étais qualifiée, on commencerait le protocole en septembre 2024. Si je ne l’étais pas, on le commencerait en avril. 

On était aussi rassuré par le fait que le protocole PMA suivrait derrière. Le gynécologue m’avait dit : "Ne vous inquiétez pas, vous aurez des enfants, vous avez juste besoin d’aide.Finalement le miracle est arrivé naturellement début janvier 2024.

"Les plans ont changé, mais pour la plus belle chose. J’ai déjà eu une très belle carrière. Bien sûr que j’aurais aimé faire les Jeux, mais ma vie de maman est mille fois plus importante."

Charlotte Lembach

franceinfo : sport

Vous avez découvert tardivement que vous étiez atteinte d’endométriose. Est-ce que ça vous a permis de mettre une cause à vos difficultés pour concevoir ? 

Pour moi ça a été le soulagement de tant d’années de souffrances. C’était : 'Enfin je ne suis pas folle', 'Enfin je sais pourquoi j’ai mal', et aussi pourquoi on n’arrive pas à concevoir naturellement. Mon esprit s’est libéré à ce moment-là. 

En septembre j’ai décidé de partir vivre à Orléans pour me consacrer à 100% à l’escrime. Et ce projet bébé, on n’y pensait même plus. On s’était complètement libéré l’esprit là dessus. J’avais un poids en moins. En six mois j’ai découvert que j’avais de l’endométriose, je suis partie vivre à Orléans, j’ai redécouvert ma vie de couple, et je suis tombée enceinte. Le miracle est arrivé. L’aspect psychologique a beaucoup joué.  

Comment avez-vous réussi à garder le secret en équipe de France ?

Ça a été très compliqué de le garder. Seuls mes deux gynécologues, mon médecin et ma préparatrice mentale, étaient au courant. Le plus dur ça n’a pas été de s’entraîner, ça a été de ne pas pouvoir manger ce que je voulais, et de ne pas montrer aux autres qu’il y avait quelque chose de différent. Quand on partait en compétition à l’étranger, c’était assez compliqué. Mais comme j’avais parlé ouvertement du protocole PMA, j’avais dit que je ne pouvais pas boire d'alcool. J’ai essayé de trouver tous les subterfuges possibles. 

Les entraînements étaient aussi difficiles sur la fin : je commençais à fatiguer. Je n’ai pas eu de symptômes pendant le premier trimestre. Ça passait mieux. Mais sur la fin j’avais un peu peur pendant les entraînements, de répéter, répéter, prendre des coups. Je me disais : 'T’es un peu folle quand même.' Je voulais aller au bout du protocole de qualification.

En quelques mois vous êtes passée de la quête d'une qualification pour la dernière grosse échéance de votre carrière à attendre un enfant et prendre votre retraite. Comment le gérez-vous ?

J’ai appris que j’étais enceinte la veille d’une compétition. Je n’avais plus du tout l’esprit à ça. Pendant ces dix jours, je me suis dit : 'C’est vraiment la fin, ça y est.' Et puis, j'ai pensé : 'Profite de tout ça, profite de ces derniers moments. L’escrime c’est que du kiff. Va à la fin de cette qualification, savoure. Profite.

Au moins, c’est moi qui décide que j’arrête. Ce n’est pas en raison d’une blessure ou d’une non-qualification. J’ai vraiment abordé tout ça avec plaisir. On parle souvent de la petite mort du sportif, mais moi je ne vais pas la connaître parce que je vais donner la vie. La transition pour moi est parfaite. 

Manon Brunet. (FABRICE COFFRINI / AFP)

La vie d’une sportive de haut niveau semble souvent partagée entre les grosses échéances sportives, la volonté d’avoir un enfant et trouver le bon timing pour le faire. Surtout que trois ans entre deux Jeux olympiques, ce n'est pas beaucoup… 

C’est horrible parce que quand on est figé par des échéances dans le temps, on sent la pression pour tomber enceinte entre telle et telle date, et si ça ne marche pas, il faut repousser le projet. Ça a été le plus dur. 

Je l’ai fait en 2016, après les Jeux de Rio, c’était déjà une volonté d'avoir un enfant, et j’avais dit à mon conjoint : "Si en mars ou avril 2017, il n’y a toujours rien, et bien on repousse, tant pis." Finalement ça a été la plus grosse erreur de ma vie de repousser et sans comprendre pourquoi ça n’avait pas marché. 

En plus, en disant à notre staff technique et médical qu'on veut un enfant, on a cette peur qu'ils se disent : "On ne va donc pas compter sur elle, parce qu’elle a cette volonté de nous lâcher à n’importe quel moment." Donc c’est plutôt quelque chose qu’on garde secret et qu’on dévoile que quand ça arrive. On met les gens devant le fait accompli. 

Il y a un vrai besoin de démocratiser cette volonté de fonder une famille dans le projet de performance de sportif de haut-niveau. On est des femmes avant tout, et pas des machines à faire du sport. Plus on libère la parole et plus on prend en compte le fait qu'une sportive de haut-niveau peut devenir maman et continuer à faire du sport en étant performante, plus on sera prise en considération et plus l’athlète féminine sera libre de faire ces choix-là et de s’entraîner de manière sereine. 

Vous avez eu peur d'être mise sur la touche si vous faisiez part de votre volonté de fonder une famille ?

Je n’en avais jamais parlé jusqu’à ma médaille olympique à Tokyo parce que je me disais : "Grâce à ma médaille, je peux enfin me permettre de dire que je veux fonder une famille et revenir après." A 24 ou 25 ans, sans médaille internationale, je ne me sentais pas légitime de faire ce choix-là et de continuer à être soutenue derrière. Je me sentais plus crédible après Tokyo avec ma médaille pour le faire. 

De gauche à droite, les vice-championne olympiques françaises de sabre par équipes Charlotte Lembach, Manon Brunet, Cécilia Berder et Sara Balzer.  (NIC BOTHMA / EPA VIA MAXPPP)

Pensez-vous que votre exemple va permettre à d’autres sportives de se dire que la vie de femme est tout aussi importante voire peut-être plus importante ?

On est clairement dans une vie parallèle, une bulle, un monde à part. On oublie parfois le monde réel. C’est clair qu’on ne vit pas une vie normale. On vit des choses incroyables. J’espère que certaines personnes vont prendre conscience qu’on a une vie après, et qu’elle est tout aussi belle, voire mieux.

En fait, on est assez égoïstes quand on est sportif de haut-niveau. Je pense à mon conjoint, je l’ai fait venir à Paris, puis je lui ai dit que j’allais vivre à Orléans. Il m’a dit : "Ça ne me dérange pas mais après c’est fini." J’ai de la chance d’avoir un conjoint qui a compris. Parfois on oublie qu’on a des gens autour qui nous aiment et nous soutiennent, et on leur fait du mal. 

Mélina Robert-Michon, Clarisse Abgnénégou ont montré qu’on pouvait devenir maman et revenir au plus haut-niveau. Le regard sur la maternité d’une sportive de haut-niveau a-t-il évolué ?

Ces exemples de femmes qui ont décidé de fonder des familles… C’est incroyable de courage et de persévérance. Ces femmes-là permettent à d’autres de se dire que c’est possible. Donner la vie c’est renaître et c’est aussi trouver de nouvelles ressources. On ne se rend pas compte de ce que le corps est capable de faire. Surtout, ce sont des femmes de plus de 30 ans, donc on peut se dire avec l’usure, la fatigue que ça engendre d’avoir un enfant… C’est une adaptation nouvelle à un environnement de performance qui n’est pas forcément propice. 

Grâce à elles, je pense que le système fédéral et tout l’environnement autour, se dit : "En fait, nos athlètes sont presque plus performantes après avoir eu un enfant. Et donc il faut qu’on prenne en considération que la performance se joue aussi avec les cycles menstruels, la vie de famille. Qu’est ce qu’on peut faire en plus pour les mettre dans les meilleures conditions avec un enfant ?

Il y a une vraie évolution, c’est indéniable. Maintenant, je pense qu’il y a une formation à faire au niveau des entraîneurs. Parce que quand on leur annonce être enceinte, ils se retrouvent un peu bouche bée. Alors que c’est une absence de quelques mois, comme une blessure. Je vais juste donner la vie et fonder une famille. On a une vraie sensibilisation à faire à ce niveau-là, mais aussi sur la prise en charge de la maternité. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.