: Reportage "Ça les aide à retrouver de la dignité"... Margaux Rifkiss, membre de l'équipe de France d'escrime, enseigne le sabre dans un Ehpad
La Maison des Vergers est cachée dans un jardin au bout d'une allée par une façade moderne, à la limite entre Vincennes et Montreuil (93). Dans une salle à part, Margaux Rifkiss, médaillée d'or par équipe aux championnats d'Europe de Cracovie en 2023 – non sélectionnée pour les Jeux olympiques de Paris – prépare le matériel : sabres en plastique à bout rond, plots de toutes les couleurs, petites balles en mousse… Ses élèves patientent un peu plus loin devant un film dans le foyer de l'établissement. Les élèves ? Les résidents de cet Ehpad, âgés d'environ 88 ans à 102 ans. Toutes les semaines, ils retrouvent l'escrimeuse pendant une heure et enchaînent des exercices adaptés à leur grand âge, de manière ludique et parfois même avec un brin de compétition.
"Ma grand-mère était en Ehpad. Je lui rendais visite et je lui racontais beaucoup les entraînements, les compétitions, se souvient Margaux Rifkiss. Elle était demandeuse de ces histoires parce que ça la faisait voyager. Peu après son décès, la Fédération française d'escrime a envoyé un mail pour proposer une formation pour adapter l'escrime en Ehpad aux personnes âgées. Je me suis dit : 'Ça veut dire que ma grand-mère aurait pu faire de l'escrime dans son établissement.' Elle aurait tellement aimé", glisse-t-elle avec un brin de pudeur et d'émotion. La jeune femme de 27 ans, également vice-championne du monde de sabre par équipes, suit cette formation de quelques jours, mais aussi un diplôme à l'université d'Aix-Marseille en "Silver economy". Elle met un peu de temps à se lancer avant de devenir, depuis septembre 2023, une habituée de la Maison des Vergers.
"Je pense que c'est hyper valorisant pour eux de pratiquer un sport olympique qui véhicule des très belles valeurs."
Margaux Rifkiss, vice-championne du monde par équipes de sabreà franceinfo: sport
16h30 précise. Simone, Marguerite, Yvette, les deux Marie-Rose, Monique, Daniel, s'installent toutes et tous dans le foyer de l'Ehpad. Ils sont huit en tout – sept femmes et un homme – , assis sur des chaises ou dans leur fauteuil roulant. L'intégralité du cours est réalisée assis. Ils commencent par des petits exercices de motricité : chaque pensionnaire a une balle en mousse qu'il doit lancer en l'air d'une main et réceptionner de l'autre. Puis, la balle entre les jambes, les résidents doivent lever la jambe droite, puis la gauche, sans faire tomber le petit ballon.
Les visages sont concentrés, les élèves assidus, parfois un peu dissipés, Margaux est obligée de rappeler à l'ordre deux résidentes un peu trop bavardes. Mais l'escrimeuse complimente à chaque fois que l'exercice est bien réalisé : "La santé mentale des personnes âgées n'est pas assez prise en compte et pourtant c'est une vraie problématique. Il y a la dégradation de l'image que l'on a de soi. Ils ressentent les pertes de mémoire, ils ressentent leur corps, les pertes de force, la perte d'endurance. Tout ça participe à cette dégradation de l'image qu'ils ont d'eux. Et ça entraîne une grosse perte de confiance. Et les encourager, leur montrer qu'ils sont capables de le faire, ça les aide à retrouver de la dignité et cette confiance en eux."
L'échauffement terminé, les pensionnaires peuvent passer aux choses sérieuses : les exercices avec les sabres. Margaux les distribue et commence par une révision de l'anatomie du sabre. En cœur, les résidents récitent : la lame, la poignée et la coquille, un autre moyen ludique de leur faire travailler la mémoire. Vient ensuite le salut : sabre vers le ciel, au cœur, puis vers la terre. "Yvette se souvient de tout, c'est une élève exemplaire", complimente l'escrimeuse. Place maintenant aux exercices avec les sabres.
La manière dont sont installés les résidents, deux rangs de quatre face à face, leur permet de travailler par paire ou de faire des défis les uns contre les autres : le premier qui arrive à attraper avec son sabre le plot d'une couleur que Margaux aura défini, ou le premier qui arrive à chiper le plot de l'autre. Daniel, l'un des centenaires du groupe, un grand monsieur sec, tout vêtu de bleu, sous assistance respiratoire, se prend au jeu, ne lâche rien face à Marie-Rose, et recommence encore et encore les exercices tant qu'il n'est pas satisfait. Toujours avec le sourire. "Ils adorent être mis au défi", constate Margaux.
Et certaines personnalités ressortent pendant ces cours. Marguerite, 102 ans, se joue de Margaux quand cette dernière veut récupérer le plot sur son sabre : "Je ne suis pas obligée de vous le donner ce plot !", lui lance-t-elle avec insolence en bougeant son sabre dans tous les sens pour l'empêcher de le prendre. Ni étonnée, ni offusquée, Margaux en rit avec elle. En huit mois, la sabreuse a appris à tisser des liens avec les résidents mais aussi à connaître leur personnalité : "Marguerite, si elle ne râle pas ou qu'elle ne se moque pas de quelqu'un, je vais me dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas."
"Ils ont passé une heure à s'amuser ensemble. Alors qu’en fait on a travaillé la mobilité articulaire, on a travaillé la mémoire, on a travaillé l'endurance…"
Margaux Rifkissà franceinfo: sport
Indépendamment d'offrir une bouffée d'air dans un quotidien monotone rythmé par les repas, parfois les visites des familles et d'autres activités plus classiques, ces cours d'escrime améliorent la santé des résidents : "J'observe que la détérioration n'est pas la même entre quelqu'un qui se mobilise comme ça, mentalement et physiquement, confirme Laurence Châteauroux, chargée des animations de la Maison des Vergers. Ils vieillissent moins vite. Quand on fait de la gymnastique, et qu'on leur demande de tendre les bras, ils nous disent : 'Ah non, ça je ne peux pas !' Par contre, avec Margaux, ils oublient qu'ils doivent tendre le bras et ils le font. Marguerite par exemple, a de l'arthrose aux épaules et ne peut pas lever les bras. Eh bien, quand elle fait le salut, elle lève le bras aussi haut qu'elle peut."
Grâce à sa double formation, Margaux est capable d'adapter les exercices en fonction des pensionnaires : "J'ai une formation sportive grâce au sport de haut niveau et ma formation universitaire et scientifique est très fine et me permet d'avoir des connaissances assez pointues sur ce public". Le personnel soignant de la Maison des Vergers lui a également confié les bénéfices de ces cours sur les résidents : "On m'a fait part d'une amélioration du sommeil, d'une amélioration de l'appétit aussi. Des choses qui ne sont vraiment pas négligeables pour les personnes âgées".
"Le fait de savoir qu’ils ont un rendez-vous ludique, ça crée de l’espoir, ça crée de la positivité. Il y a une énergie positive qui est super importante. A cet âge-là, le mental et le physique sont étroitement liés."
Laurence Châteauroux, responsable des animations de la Maison des Vergersà franceinfo: sport
Ces rendez-vous hebdomadaires sont aussi une bouffée d'air pour Margaux, qui – excepté le mercredi – s'entraîne cinq heures par jour : "On vit un peu la 'fast life' avec les voyages tous les trois jours, les stages... Venir ici m'apaise. Ça me permet de retrouver du sens dans l'escrime. Ça fait 17 ans que j'en fais... Je me souviens de cette réaction que j'ai eue quand je suis revenue d'un cours où je leur ai appris l'escrime. J'ai repris le sabre et il n'avait plus les mêmes valeurs dans ma main. Savoir que ça peut apporter autant d'autres aspects positifs éloignés du haut-niveau...C'était important aussi pour moi de redonner du sens à la pratique de ce sport."
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