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League of Legends : la Chine, superpuissance de l'esport

Shanghai accueille samedi la finale des championnats du monde de League of Legends. En dix ans, la Chine est devenue un acteur majeur de l'esport, avant tout économiquement mais parfois aussi au niveau des performances.
Article rédigé par Hugo Monier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Le Nid d'Oiseau de Pékin, lors de la finale des Worlds 2017 de League of Legends (STR / AFP)

Samedi au Stade Pudong de Shanghai, les Chinois de Suning et les Coréens de Damwon Gaming s’affronteront dans un des événements les plus attendus de la scène esport, la finale des championnats du monde de League of Legends (à suivre sur France tv sport à partir de 11h). Une troisième finale d’affilée pour la Chine, après avoir remporté les deux précédentes. Un symbole de la place désormais inévitable de la Chine dans l’écosystème mondial de l’esport. 

Un marché en pleine explosion 

La Chine, ce sont avant tout des chiffres qui font rêver. Sur ses 1,4 milliard d’habitants, la Chine compterait entre 500 et 620 millions de joueurs. Ampere Analysis, entreprise spécialisée dans les études de marchés, estime que 26% des utilisateurs chinois d’internet regardent de l’esport, contre entre 5 et 9% de moyenne dans les pays européens et nord-américains. De 43 milliards de yuans (5,4 milliards d’euros) en 2016, le marché de l’esport est passé à 113 milliards (14 milliards d’euros) en 2019 selon iResearch. Quand un peu moins de 4 millions de personnes ont suivi la finale des Worlds 2019 dans le reste du monde, ils étaient près de 100 millions en Chine. Des chiffres fous, et difficilement vérifiables. Comme souvent avec la Chine, l’opacité est de mise. Les données proviennent du gouvernement et des entreprises chinoises, sans aucune garantie sur leur fiabilité. 

Le Stade Pudong de Shanghai, où va se dérouler la finale des championnats du monde de League of Legends (HOU LUOPENG)

Mais si les chiffres sont invérifiables, l’engouement est lui bien réel. Neuf ans après les Jeux olympiques, la finale des Worlds 2017 a rassemblé 40 000 personnes dans le Nid d’Oiseau de Pékin. Les équipes chinoises possèdent parfois leurs propres arènes, des centaines de milliers de fan, des compétitions sont diffusées dans des bars ou sur des écrans géants. En 2019, les rôles de joueur professionnel et d’opérateur esport sont rentrés dans la liste officielle des métiers reconnus par l’état chinois. L’esport a également intégré les cursus universitaires. 

League of Legends, un exemple de réussite esportive 

Jeu majeur de l’esport, League of Legends offre un bon exemple du développement chinois. "Le premier tournoi de la Chine, j'en rigole encore", raconte Charles “Noi” Lapassat, commentateur pour OGaming. "C'était aux Worlds IEM (une ancienne compétition internationale), en 2012." Les mises à jour de League of Legends, qui modifient les caractéristiques des champions utilisés en jeu, ont un impact énorme sur la “méta” (comment jouer pour gagner, avec quels champions, etc). La censure chinoise, qui impose à chaque mise à jour un long processus de vérification, a posé problème. "La Chine jouait avec plusieurs patchs de retard par rapport à l’Europe et l'Amérique du Nord", poursuit Charles Lapassat. "Ils arrivaient avec une méta qui ne marchait plus aux championnats du monde. Ils avaient sorti un Warwick (un champion très peu utilisé, ndlr) qui s'était fait massacrer. On s'est dit que c'était une blague.

Mais ces premiers revers n’arrêtent pas la Chine. "Au fil du temps, ça a monté", souligne Charles Lapassat. "La Chine est devenue un prétendant sérieux vers 2014. Il ne fallait plus rigoler face aux Chinois." Un apprentissage progressif, jusqu’à l’accélération au milieu des années 2010. "Il y a eu l'explosion de League of Legends en Chine, avec des investissements pharaoniques, une ligue à 17 équipes", explique Charles Lapassat. "Des moyens démesurés qui ont entraîné une montée en puissance et maintenant c'est une machine très dure à rattraper. Il y tellement de moyens, de matches, d’audience, tellement de tout. On avance au ralenti par rapport à la Chine, et pourtant en Europe on a un bon système, avec le LEC (la super-ligue européenne) et des ligues nationales."

Tencent, le mastodonte 

Derrière ce développement, des investissement donc. Et en Chine, le roi s’appelle Tencent. L’entreprise de télécommunications gère notamment les applications de messagerie les plus utilisées au monde, WeChat et QQ. Avec NetEase, autre géant du secteur, ils représenteraient 90% du marché du jeu vidéo en Chine selon le cabinet d’études Newzoo. Actionnaire majoritaire de Riot Games (League of Legends, Valorant) depuis 2011, Tencent en est devenu l’unique propriétaire en 2015. L’entreprise a investi massivement dans la League of Legends Pro League (LPL), et sa petite sœur la LDL (pour Development League). Une audience revendiquée de plusieurs dizaines de millions de spectateurs, des arènes dédiées (5 équipes possèdent leur propre arène, d’autres sont en construction), elle fait aujourd’hui pâlir ses rivales coréennes, européennes et américaines. 

Un match de LPL à Hanghzou, ville-hôte de l'équipe LGD (JOHANNES EISELE / AFP)

Les investissements de Tencent ne se limitent pas à League of Legends, mais à tout l’écosystème de l’esport (organisation de tournois, fédérations internationales, salles de jeu, etc.). Et à l’international, difficile de s’intéresser à un jeu esport sans y retrouver Tencent. Il possède 84% des Suédois de Supercell (Clash of Clans, Clash Royale), 40% d’Epic Games (Fortnite), 11,5 de Bluehole (PUBG), 5% d’Activision-Blizzard (Call of Duty, Hearthstone, Starcraft, Overwatch) et 5% d’Ubisoft (Rainbow Six). Face au protectionnisme chinois, aussi bien économique que politique, Tencent est un partenaire quasi-indispensable pour l’esport et le jeu vidéo. La commercialisation de la console Nintendo Switch sur le continent ? Tencent. Pokemon Unite, l’adaptation en MOBA (affrontements en arène, comme League of Legends) de la mythique franchise japonaise ? Encore Tencent. 

Politique et polémiques

Ce soft power n’échappe pas aux polémiques. En octobre 2019, le joueur Hongkongais Ng Wai Chung, dit Blitzchung, a affiché son soutien au mouvement pour l’indépendance de Hong Kong lors d'un tournoi d’Hearthstone. Soucieux de préserver ses relations avec la Chine, Blizzard a annoncé l’annulation de ses gains et une suspension d’un an. Cette décision a entraîné un appel au boycott et une lettre signée par plusieurs élus américains (dont la représentante démocrate Alexandria Ocasio-Cortez et le sénateur républicain Marco Rubio). Cinq jours plus tard, Blizzard a annoncé une réduction à six mois de sa suspension, mais pas son annulation. 

Les villes en première ligne

Outre Tencent, d’autres entreprises chinoises investissent. Dans des compétitions, comme le géant du commerce en ligne Ali Baba et ses World Electronic Sports Games, ou dans des équipes, à l’image de Suning (autre entreprise de commerce électronique). Le gouvernement, notamment à travers les villes, n’est pas en reste. En 2015, Shanghai a annoncé vouloir devenir la capitale mondiale de l’esport. Outre la construction d’arènes et de centres de jeu, elle a accueilli deux des plus gros événements de l’esport : The International, le tournoi majeur de DOTA 2, en 2019 et les Worlds de League of Legends cette année. Sa voisine Hangzhou a ouvert un immense complexe esport, un investissement de 240 millions d’euros. La première de 14 structures dédiées à l’esport dans la ville, pour un total de 1,9 milliard d’euros. Elle espère ainsi attirer joueurs, entreprises, tournois et développer un tourisme de l’esport. 

Quand l’OL et le PSG y trouvent leur compte 

Le développement de l’esport en Chine représente une nouvelle porte d’entrée pour les investisseurs étrangers, notamment dans le milieu sportif. En octobre 2017, l’Olympique Lyonnais avait joué les pionniers en s’associant à Edward Gaming sur la simulation sportive FIFA. "Aujourd'hui les clubs veulent attaquer le marché asiatique et concrètement la Ligue 1 n'y existe pas", expliquait alors à L’Equipe Harry Moyal, directeur général adjoint de l’OL en charge de la stratégie. "(...) Alors on s'est dit que ça serait un bon pari d'attaquer là avec l'esport pour nous donner une visibilité rapidement."

Quelques mois plus tard, en avril 2018, le Paris Saint-Germain a annoncé un accord avec LGD, une autre structure esport de première ordre. L’équipe DOTA 2, quatre fois dans le dernier carré de The International, est devenue PSG.LGD. Le partenariat s'est ensuite étendu à FIFA. Autre exemple, quand Barcelone s’est penché sur l’esport en août dernier, le club catalan s’est adressé à… Tencent, décidément incontournable.

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