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Yannick Agnel, directeur sportif de MCES : "Donner toutes les armes au joueur pour être performant"

Champion olympique de natation, Yannick Agnel a choisi de rejoindre la structure d'esport MCES après la fin de sa carrière. Directeur sportif du club, il cherche à mettre son passé du très haut niveau au service de l'esport.
Article rédigé par Hugo Monier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 16min
 

Yannick Agnel a innové pour sa reconversion. L'ancien champion olympique du 200 mètres nage libre et du 4x100 mètres nage libre a participé au lancement en février 2019 la structure MCES (Mon Club Esport), dont il est le directeur sportif. Il explique à france tv sport son passage du sport à l'esport, ce qu'il cherche à apporter dans la professionnalisation de la discipline. 

Quelle connaissance de l’esport aviez-vous avant d’entrer dans le milieu ?
Yannick Agnel :
 "J'ai toujours été consommateur et fan de jeux vidéo depuis ma plus tendre enfance. J'ai toujours eu une appétence pour ça, j'ai suivi des streams (diffusion en direct de jeu vidéo, compétitif ou non) et l'évolution du monde de l'esport. J'en avais une image que je voyais en regardant la finale des Worlds en streaming avec mes potes, de quelques personnalités de l'esport que je suivais depuis les réseaux sociaux. L'image que j'en ai maintenant, elle est conforme à l'idée que je m'en faisais, avec encore plus de tenants et d’aboutissants. J'étais à fond déjà avant, sans connaître particulièrement les personnes et les jeux. J'étais un suiveur lambda et je prenais beaucoup de plaisir à suivre ça. J'ai toujours été assez fan de FPS (jeux de tir à la première personne), j'ai surtout joué à des MMO (jeux en ligne massivement multijoueur) mais le jeu qui m'a vraiment fait rentrer dans l'esport, c'est League of Legends. Il y a un peu de tout, le côté tactique, technique, le jeu en équipe, etc".

Comment êtes-vous devenu directeur sportif de MCES ? 
Y. A. : "J’ai rencontré Romain Sombret, le fondateur de MCES, à l'époque où c'était à l'état de projet extrêmement sérieux. On a accroché et on s'est dit qu'il y avait quelque chose à faire ensemble. Qu'il fallait prendre le meilleur de l'expertise du sport, au service de l'esport. L'idée était d'amener toutes les armes possibles aux joueurs pour être performant, et le plus longtemps possible. De mon côté, ça veut dire mettre en place une méthodologie en ce qui concerne la préparation physique, le suivi nutritionnel, médical, psychologique, des routines d'échauffement, de récupération pendant les phases d'entraînement, de compétition. Essayer de créer du liant et démocratiser l'esport auprès des gens qui ont entendu ça de la part de leurs gamins. Les parents sont parfois un peu inquiets de la tournure que peuvent prendre les choses. Pour nous c'était un moyen de rendre les gamins équilibrés, de leur permettre de s'améliorer au sein du jeu mais également de pouvoir bouger leur corps, pratiquer une certaine activité physique. Cela permet également d'améliorer les performances tout court.
 

C'est un sujet qu'on a au quotidien avec nos joueurs et qui commence à porter ses fruits. On est assez fier mais ça reste le début d'une belle aventure. On est arrivé à un moment donné où il y a une certaine appétence de l'esport pour le milieu du sport. Sur certaines parties, quand on reste debout des heures pendant la journée, la première partie ça va, la cinquième ça va se compliquer. L'idée était de les préparer physiquement pour qu'ils soient le plus performant pour qu'ils soient prêt à en découdre et rechercher les facteurs de la performance qui leur permettrait de s'améliorer physiquement au service du jeu vidéo".

Vous sentiez qu’il y avait encore de la marge à ce niveau-là ? 
Y.A. : "Le milieu de l'esport fait avec les armes du moment. Quand on discute de rugby, handball, on sait qu'on va devoir travailler sur tel axe pour améliorer la force, la vitesse, la précision, etc. On est encore dans un milieu où l'on découvre tout ça. Il y a eu une phase de structuration des équipes ces dernières années. Je pense qu'aujourd'hui toutes les équipes ont un préparateur physique ou quelqu'un qui les suit sur les compétitions. Elles ont un manager, un coach, etc. On est au-delà de tout ça, on est dans la professionnalisation de la pratique. Cela va arriver. A MCES, on travaille notamment avec l’entreprise Human Fab qui nous permet de tester les joueurs physiquement et mentalement plusieurs fois sur l'année pour avoir une idée de l'évolution de la performance des joueurs et leur bien-être. L'esport cherche des moyens d'être de plus en plus performant, c'en est un. C'est essayer de mettre en place toute une équipe autour des joueurs". 

Quels rapports avez-vous avec les équipes de MCES ? 
Y.A. : "Quotidiennement, je suis en contact avec les joueurs, les managers, les coaches selon les entraînements et les compétitions. L'idée c'est d'être la courroie de transmission entre les joueurs, le staff et la tête de MCES. L'esport reste une forme de club, d'entreprise à la recherche de performance. Et cela ne se fait pas sans une bonne courroie entre les gens à la tête et les joueurs. L'idée c'est de discuter avec les joueurs mais aussi donner des clés au manager, et rapporter certains soucis". 

Vous les suivez sur des tournois ? 
Y.A. : "Je vais en LAN, je fais les déplacements quand je le peux. Même quand ce n'est pas nous qui jouons, on sera présent d'une façon ou d'une autre. Il y a de multiples occasions d'être sur le terrain, et c'est ce qui est le plus révélateur. Quand vous êtes dans une piscine, que vous êtes entraîneur, ce qui est extraordinaire c'est d'arriver à s'isoler et de regarder ce que font les gens au bord du bassin. Vous apprenez énormément de choses rien qu'en regardant les uns et les autres en observant les attitudes des coaches, des joueurs. C'est l'avantage d'avoir un rôle qui permet de prendre plus de hauteur, on n'est pas dans la bataille à fond. On peut donner des conseils parce qu'on a le recul nécessaire, on n'est pas endémique de ce milieu là". 

Est-ce qu’avoir ce passé du très haut niveau sportif vous donne une crédibilité ? 
Y.A. : "Je ne parle pas de ce dont je ne suis pas expert. Je ne vais pas leur dire "Place toi là sur la carte", ce n'est pas mon job. Par contre, tout ce qui va leur permettre d'être plus performant en dehors, je peux m'en charger. On a ce côté d'estime, qui permet d'être écouté peut-être plus que d'autres, et c'est chouette. Mais il ne faut pas que cette légitimité ne reste que ça, et qu'on apporte autre chose que des grands discours. C'est un atout parce que parfois quand les choses ne vont pas forcément bien, parce que ça reste de l’esport de haut niveau avec des hauts et des bas, avoir quelqu'un de l'extérieur sur qui se reposer de temps en temps". 

Vous travaillez avec des esportifs très jeunes ? Est-ce que ce n’est pas plus difficile, pour gérer la frustration notamment ? 
Y.A. : "Ils la gèrent mieux que nous je pense. Quand ils s'entraînent, tu as une frustration assez forte puisque peu importe ce qu'il se passe, à la fin de la partie il y a écrit victoire ou défaite. Sur du Fortnite, pour faire Top 1 il faut se lever tôt. Ils ont grandi avec cette frustration et la gère très bien". 

Est-ce que vous avez dû vous adapter à ces jeunes ? 
Y.A. : "Pas forcément s'adapter, pas plus qu'au milieu en lui-même. Le milieu est différent. On n'est pas là pour leur dire, “allez, fais moi 50 pompes”, ça ne sert à rien. Il faut adapter le travail en fonction de leurs besoins, de leurs impératifs. Même si le milieu ressemble au sport dit traditionnel, ce n'est pas le même. Mes courses duraient quelques minutes, là certaines parties vont durer des heures et des heures. On a appris rapidement que les contrats étaient signés mais que c'était encore le Far West. Certains joueurs et certaines personnes de l'esport ont une vision différente de l'attachement à un club. Comme ils sont jeunes et qu'on leur propose des sommes parfois mirobolantes, c'est difficile d'apprendre à faire les bons choix si on n'est pas bien entouré. C'est ce qu'on essaye de proposer et de mettre en place. Au-delà de la pratique physique, c'est super important pour eux pour la suite. Nos joueurs de Clash of Clans ont fait deuxième d’un tournoi et gagné un gros cash prize, la question c'est comment ne pas faire n'importe quoi avec l'argent qu'on vient de gagner. Quels sont les conseils qu'on peut leur donner, comment peut-on les orienter ? Ce n'est pas qu'un accompagnement physique, physiologique. Certains gamins sont encore à l'école, comment on fait pour leur permettre d'aller au moins jusqu'au bac, d'avoir un filet de sécurité peu importe ce qu'il se passe, en alliant ça à leur pratique des jeux vidéo ?"

Quelles similarités entre sport et esport ? 
Y.A. : "Il y en a pas mal. Quand tu rentres dans une arène esport, tu as l'impression d'entrer dans un stade de sport. Tout ce qui a trait à la compétition en elle-même a été fait de manière à ce que ce soit aussi excitant émotionnellement, voire même mieux puisque le jeu vidéo à ce côté d'entertainment de base. Ces deux sphères se rencontrent et matchent vachement bien. Au-niveau entrainement, je vous propose de venir à Marseille et regarder ce que font nos joueurs. Ils s'entraînent six à sept heures par jour, au niveau tactique, stratégique, précision. De l'entraînement pur et dur. Ils ont aussi ce côté préparation athlétique et suivi nutritionnel avec des plats variés, équilibrés tous les jours. Ils ont des sessions de team building. Ils ont tout comme des sportifs de haut niveau. je ne veux pas rentrer particulièrement dans le débat sport/esport. Je les traite comme des sportifs. Quand on atteint un certain niveau de performance et qu'ils sont aussi doué que ça, il faut les aider. Je ne réinvente rien, ceux à créditer le plus restent les joueurs. Beaucoup de parents nous disent "Je ne comprends pas, mon gamin je dois cravacher pour le faire se lever avant midi," eux tous les jours ils se lèvent et s'entraînent, font le tour du monde, sont organisés. Ils ont de l'ambition et du talent". 

Quelles ont été vos sources d’inspiration à votre arrivée ?
Y.A. : "Kasper Hvidt (ancien gardien international de handball danois, désormais directeur sporting d’Astralis) commençait à performer énormément sur Counter-Strike avec Astralis quand on a préparé le lancement du projet. Quand on a posé sur papier tout ce qu'on avait envie de faire, c'était mot pour mot la méthode Astralis et ce que je considère aujourd'hui comme étant de la performance pure et dure du sport au service de l'esport. Je trouve que là on était au maximum. Une autre personne que j'ai rencontré et qui est pour moi le gars le plus intéressant et le plus performant du milieu de l'esport, qui a tout compris à la performance dans l'esport, c'est Sébastien “Ceb” Debs. Il a gagné deux fois de suite le plus gros tournoi de DOTA 2, un exploit incroyable. Il a cette casquette de joueur, il a eu celle de coach, il a la vision un peu plus large et la maturité suffisante pour être performant. C'est la preuve qu'on peut s'organiser de toutes les manières pour être performant. L’équilibre physique et mental est super important pour que ça fonctionne dans une équipe. Il faut arriver à faire toutes les composantes d'une équipe. Faire en sorte que les joueurs s'entendent bien entre eux, qu'ils se comprennent, qu'ils soient tolérants entre eux sur leur façon de jouer, sur les différents mécanismes qui permettent à chacun d'être performant". 

Vous n’aviez pas peur d’être un coup de communication ? Comment le milieu a vu votre arrivée ? 
Y.A. : "Quand je me suis lancé là-dedans, je l'ai fait avec plaisir parce que le milieu me plaisait. Ce n'était pas une peur mais j'ai senti en arrivant que certaines personnes avaient une appréhension. D'autres trouvaient que c'était positif. Sans avoir peur, parce que je sais ce que je fais avec MCES, on n'est pas là pour un coup de com. Par contre, je comprends les appréhensions au départ, de ceux qui me regardaient de travers. Il y a dû avoir beaucoup de projets sport-esport qui se sont montés qui n'ont pas été fructueux et bons pour l'image de l'esport. Ce sont des comportements que je comprends. Maintenant, MCES commence à être un peu plus ancré dans le paysage esportif français. On espère prouver dans les mois et années à venir qu'on peut être performant sur toutes nos plate-formes". 

Est-ce que c’est facile de changer ces habitudes ? 
Y.A. : "Je suis arrivé en LAN en disant à mes joueurs "Allez-y échauffez-vous", je ne suis pas sûr que c'était la meilleure chose à faire. Il faut éviter de les ostraciser par rapport aux autres et de les bousculer complètement. Petit à petit, les choses vont bouger. Il faut y aller avec les connaissances qu'on a du terrain, et ne pas faire n'importe quoi sous prétexte qu'on a un préparateur physique". 

Des exemples concrets de changements initiés ? 
Y.A. : "Ce qu'on a apporté à la base, c'est pour beaucoup de joueurs des changements d'horaires déjà. Cela leur a permis de se coucher un peu plus tôt et d'être mieux réveillé lors des compétitions. Ensuite, toute la nutrition. Puis l'aspect purement préparation physique. Tout ça, ce sont des domaines dans lesquels eux n'avaient pas grand chose à la base. Certains joueurs de League of Legends avaient déjà vécu ça. Mais ceux de Fortnite, qui n'existait pas il y a quelques années, ils ont découvert. Les joueurs sont intéressés, ils veulent participer à l'intégralité de la performance. Après parfois, c'est un peu plus difficile de se lever le matin en se disant qu'on va souffrir 1h, 1h30 sur un terrain. Mais tout le monde sait qu'il y aura des gains et des résultats derrière". 

Quel regard avez-vous sur l'essor de l’esport ? 
Y.A. : "L'esport globalement connaît un gain d'intérêt sans précédent depuis ces dernières années. C'est cool. Il faut raison garder dans ce genre de situation. Il peut y avoir du bon et du mauvais dans les gens qui arrivent. Mais globalement c'est toujours positif. Que ce soit au niveau de la performance, des équipes, des annonceurs, de la retransmission, de la façon dont on conçoit le sport. Et rien que pour ça, cela vaut le coup de participer à tout ça". 

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