Etre athlète et enceinte : les sponsors jouent-ils le jeu ?
Il y a des nouvelles qui redonnent le sourire. Le 25 mai, Nike a décidé de renoncer aux objectifs de performance sur un an pour toutes ses athlètes enceintes. « Nous reconnaissons que Nike peut faire mieux, et c’est une chance pour l’industrie du sport d’évoluer et de mieux soutenir les athlètes. » Dommage que cette nouvelle fasse suite à une polémique grandissante depuis le témoignage d’Allyson Felix, plus grande médaillée aux championnats du monde d’athlétisme.
Dans une tribune publiée dans le New York Times, la sextuple championne olympique explique que le renouvellement de son contrat de sponsoring avec Nike ne s’est pas déroulé comme prévu. « Malgré toutes mes victoires, Nike voulait me payer 70% de moins qu’avant. Si c’est ce que je vaux, je l’accepte. Mais je n’accepte pas ce statu quo autour de la maternité. » Après une grossesse compliquée, elle accouche d’un bébé prématuré, et Nike la presse de reprendre l’entraînement au plus vite pour revenir au haut niveau. Elle demande même à inscrire dans son contrat "une clause garantissant qu'elle ne serait pas punie si ses performances n'étaient pas bonnes les mois suivants son accouchement." La marque a refusé.
Cette réaction fait suite à une tribune, parue dans le même journal, quelques jours auparavant. Alysia Montano, médaillée de bronze aux championnats du monde de Moscou et Daegu sur 800 m, avait fait parler d’elle en prenant le départ de la finale du 800 m au championnat américain à cinq et huit mois de grossesse. « On m’appelait « la coureuse enceinte ». Je voulais casser les stéréotypes autour de la grossesse. » Elle dévoile que Nike soumet l’ensemble de ses athlètes à des critères de performance car « seulement les meilleurs signent chez Nike ». Sauf que ces critères sont suspendus seulement en cas de blessure, or, une grossesse est trop longue pour être une blessure pour eux. Ainsi, dans ses contrats, Nike stipulait qu’il avait le droit de diminuer voire de suspendre le salaire d’une athlète enceinte. « Ils m’ont dit « c’est simple : on va suspendre ton contrat et arrêter de te payer ».
Selon elle, plusieurs athlètes décrivent Nike comme « une entreprise qui pousse ses athlètes à communiquer sur leur famille en public mais ne leur garantit aucun salaire pendant ou après leur grossesse. » D’ailleurs, Nike soumet ses athlètes à une clause de confidentialité. « Celle-ci nous empêche de parler des raisons de notre problème sans leur autorisation sous peine de violer le contrat. J’aimerais qu’ils arrêtent de traiter la grossesse comme une blessure ». Le New York Times révèle qu’en 2018, l’entreprise américaine avait déjà affirmé que ses athlètes ne seraient plus pénalisées. Sauf que dans un contrat de 2019, Nike pourrait toujours réduire le paiement de ses athlètes « pour n’importe quelle raison » si l’athlète n’atteint pas un seuil de performance requis. Pire encore, Alysia Montano n’est pas soutenue non plus par le comité olympique américain ni la fédération américaine d’athlétisme. Les meilleurs athlètes reçoivent une assurance santé de ces deux instances, mais celle-ci peut vite disparaître s’ils ne participent pas aux meilleures compétitions.
Allyson Felix et Alysia Montano ne sont pas les seules, Kara Goucher, vice-championne du monde du 10 000 m en août 2007, a été confrontée à la même situation. Une semaine après son accouchement, elle était de retour à l’entraînement. Trois mois plus tard, elle disputait son premier semi-marathon et quatre mois après le marathon de Boston. « Revenir si tôt en compétition était une mauvaise idée ». Mais elle a été poussée par ses sponsors à revenir rapidement. Natasha Hastings, régulièrement médaillée avec le relais 4x400 m américain, a annoncé sa grossesse en mai dernier et partagé ses peurs de ne pas revenir au haut-niveau. Contrairement à ses compatriotes, son sponsor, Under Armour, la soutient dans cet heureux événement. Un pas vers le changement ?
Même combat en France ?
Qu’en est-il en France ? Les sponsors, et les instances de l’athlétisme sont-ils aussi durs envers les athlètes françaises qui désirent avoir un enfant ? Trois d’entre elles ont accepté de parler de leur expérience de grossesse au cours de leur carrière. Mélina Robert-Michon est maman de deux enfants, Elyssa huit ans et Enora un an. Elle a percé au haut niveau mondial, vice-championne du monde en 2013 à Moscou, alors qu’elle était déjà maman. Sponsorisée par Nike jusqu’à la fin de l’année 2018, elle a connu deux grossesses bien différentes. Pour la première, pas de sponsor à l’horizon, et la recherche d’après grossesse avait été un peu compliquée. Pour la seconde, son sponsor principal est Nike. « Ils m’ont suivi sur mon année 2018 où j’étais enceinte. Ils ne m’ont pas diminué mon fixe alors que je n’ai pas fait de compétition de la saison. Ils n’ont pas réduit mon contrat en cours ». Si officiellement Nike n’est plus son sponsor principal, c’est à cause de son changement de politique marketing. « Ils ont voulu se recentrer, ou en tout cas c’est ce qu’on m’a dit, sur le running et sur le sprint. A priori rien à voir avec ma grossesse. »Le doute est tout de même permis, contacté, Nike n’a pas donné suite à nos demandes.
La lutte pour le droit des athlètes à être enceinte pendant leur carrière sans être discriminées, est une cause chère à Mélina Robert-Michon. « C’est quelque chose contre lequel j’ai envie de lutter et de montrer que justement non la grossesse ce n’est pas une maladie, ce n’est pas une blessure. Au contraire, une femme si vous voulez qu’elle s’épanouisse dans son sport, il faut qu’elle soit bien dans sa vie. On peut voir que des athlètes reviennent meilleures ou à leur niveau. A partir du moment où elles sont bien encadrées et soutenues, il n’y a pas de raison qu’elles ne puissent pas revenir. »
"J'ai envie de réussir mon challenge et de ramener Cameron à Tokyo" - Floria Gueï
Floria Gueï, vice-championne d’Europe du 400 m en 2016 et maman depuis quelques mois d’un petit Cameron, redoutait l’annonce de sa grossesse à ses sponsors. « Je ne savais pas comment ça allait se passer. J’ai décidé d’être transparente. J’ai attendu de passer les trois mois pour l’annoncer. » Et là, c’est le soulagement. « Mon coach m’a affirmé qu’il me suivait dans mon nouveau projet. Avec Puma, mon contrat se terminait cette année. Le directeur m’a dit « aucun problème, on resigne avec toi à 100 % ». Il croit en moi et c’est le plus important. On a commencé à mettre en place mon retour. Ça m’a vraiment touché. C’était un de mes sponsors les plus importants et ça m’aurait embêté de ne pas continuer. Avec MGEN ça a été le même procédé. Je sais que je suis hyper chanceuse parce que rien n’a été chamboulé.» Quant à la pression pour revenir au plus vite à haut niveau, « au contraire je me sens soutenue dans mon challenge. J'ai envie de réussir mon challenge et de ramener Cameron à Tokyo ».
Myriam Soumaré, seule contre tous ?
Championne d’Europe du 200 m en 2010 à Barcelone, médaillée de bronze sur le 100 m et vice-championne d’Europe sur le 4x100 m, Myriam Soumaré a longtemps porté le sprint féminin français. En 2014, elle décide de prendre une année sabbatique et d’avoir un enfant avant de revenir en forme pour les Jeux de Rio en 2016. A l’image de ses deux compatriotes, la spécialiste du sprint est totalement soutenue par son sponsor de l’époque, Adidas. « Ils m’ont dit « tu fais ton enfant, on a toujours confiance en toi, et tu reviens après. Avant d’accoucher, je ne voulais pas savoir le sexe de l’enfant avant. Adidas m’a envoyé un packetage avec pleins d’habits pour garçon et fille. » Officiellement, elle n’est plus sous contrat avec Adidas au début de sa pause. « Mon contrat s’arrêtait en 2014 donc au lieu de partir sur une autre année je leur ai dit que je prenais une année sabbatique. On avait décidé de renégocier le contrat en 2015. Je ne me voyais pas toucher de l’argent alors que je venais de reprendre et que je ne savais pas ce que ça allait donner. Je n’avais pas du tout de pression pour revenir. Ils m’avaient beaucoup rassurée sur ça, que je pouvais prendre mon temps. »
Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. Elle accouche fin 2014 et tente de reprendre l’entraînement. Tente, car elle se voit forcée de changer de groupe d’entraînement « contre ma volonté, disons que ça ne passait plus ». La Française trouve refuge chez Guy Ontanon. « Pendant 4-5 mois ça a été compliqué. Je m’entraînais un peu à l’INSEP, un peu à Sarcelles, puis de moins en moins, ce n’était pas possible. » Elle annonce sa retraite en 2015. Manque de soutien de son coach ou de la fédération ? « Je prends un joker ».
Le rôle de la fédération
Contacté par téléphone, le directeur technique national de la fédération française d’athlétisme, Patrice Gergès, est clair : accompagner les athlètes dans leur grossesse est fondamental. « La fédération a été motivée pour développer le statut professionnel de l’athlète. C’est notamment lié au fait d’accompagner les femmes enceintes pour qu’elles aient des garanties de protection sociale alors que les athlètes avaient parfois des situations précaires. Elles n’avaient plus de revenus parce que les meetings ne les payaient plus, vu qu’elles ne pouvaient pas courir. Là on voulait qu’il y ait un maintien des revenus où les athlètes pouvaient garder le statut professionnel. » Pour cela, la FFA met en place une liste qui donne le statut d’athlète professionnel. « On garantit que les athlètes ne sortent pas de la liste parce qu’elles sont enceintes. Elles conservent ce statut pendant leur grossesse et jusqu’à ce qu’elles reviennent à leur niveau. Floria (Gueï), par exemple, a toujours ce statut. Et sa grossesse ce n’est en aucun cas un critère qui peut la faire sortir de la liste. »
Entre 2014 et la situation malheureuse de Myriam Soumaré, et 2019 avec l’amélioration des conditions financières en soutien pour les femmes enceintes, la fédération française d’athlétisme a fait un pas en avant. Contrairement à leurs homologue américaines, les athlètes françaises semblent davantage soutenues dans leur projet d’avoir un enfant au cours de leur carrière. Dans d’autres sports, la situation évolue aussi. Laura Glauser, gardienne de l’équipe de France féminine de handball et de Metz, a bénéficié d’une année, prévue dans son contrat avec Metz, pour accueillir une petite fille. D'autres exemples de maman sportives existent, Sarah Ourahmoune, Automne Pavia, Estelle Mossely, Siraba Dembélé ou encore Cléopâtre Darleux, mais c'est encore peu. Des efforts restent à faire dans l’ensemble du sport féminin, ce n’est qu’un petit pas pour le droit des femmes.
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