F1 : les consignes d'équipe, pire ennemi de Romain Grosjean
Au Grand Prix d'Allemagne, le Français a dû s'effacer pour que son équipier marque plus de points au championnat du monde. Une pratique contestée.
Dure, la vie de pilote chez Lotus. Pour la deuxième course de suite, Romain Grosjean a dû laisser sa place, et les points au championnat du monde qui vont avec, à son équipier le Finlandais Kimi Räikkönen. Dimanche 7 juillet, le pilote français était deuxième de la course, à une seconde du leader, quand son écurie lui a intimé l'ordre de s'effacer. Le Français est-il condamné à ouvrir la voie à son partenaire, et à lui céder les lauriers ? L'histoire des consignes d'équipe dans le sport automobile le laisse penser.
Le mythe du "gentleman driver"
Le championnat du monde de F1 existe depuis 1950. Mais les consignes d'équipe dans le sport auto, via lesquelles le patron d'une écurie donne ses ordres à ses pilotes, datent des années 30. La légende a retenu le sacrifice des coéquipiers du pilote argentin Juan Manuel Fangio, cinq fois champion du monde. En 1956, Fangio, chez Ferrari, subit un problème mécanique lors du dernier Grand Prix de la saison. Son équipe demande à ses autres pilotes de céder leur voiture au pilote argentin. L'Anglais Peter Collins obtempère aussitôt, sacrifiant ses chances de devenir champion du monde. "Je n'ai que 25 ans, j'ai tout le temps pour remporter le championnat", explique alors Collins. Deux ans plus tard, il se tue au volant de son bolide, devenant l'image d'Épinal des gentlemen drivers.
Ce que l'on sait moins, sur cette anecdote, c'est qu'un autre pilote Ferrari, l'Italien Luigi Musso, avait refusé tout net. Et que cinq ans plus tôt, Fangio avait déjà échangé sa voiture contre celle de son équipier. Vexé, ce dernier avait quitté l'écurie sitôt la course terminée. Déjà à l'époque, la F1 était un sport individuel qui se courait en équipe. Comme le cyclisme, où les consignes d'équipe sont monnaie courante.
"Soit je levais le pied, soit je rentrais chez moi"
Mais, contrairement au vélo, beaucoup d'écuries commencent la saison sans numéro un clairement désigné. La hiérarchie s'établit au fil des courses. Une fois qu'un coureur prend l'ascendant, son équipe peut choisir de le favoriser. Notamment en neutralisant son coéquipier.
Lors du Grand Prix d'Autriche 2002, Ferrari demande à Rubens Barrichello de laisser passer Michael Schumacher, qui survole pourtant le championnat du monde. Comme le Brésilien ne veut pas lâcher prise, un travail de harcèlement dans son oreillette commence. "On m'a ensuite avisé de penser à mon contrat. Pour moi, c'était clair : soit je levais le pied, soit je rentrais chez moi", confie Barrichello des années plus tard au site spécialisé américain ESPN F1. Histoire de bien montrer son mécontentement, le Brésilien ne laisse passer Schumacher qu'à quelques mètres de la ligne d'arrivée. Une technique déjà utilisée par David Coulthard, pilote McLaren, lors du Grand prix d'Australie 1998, quand son équipe lui a demandé de laisser gagner son coéquipier. La ressemblance entre les deux arrivées est frappante.
Les directeurs d'équipes assument la pratique : "N'oubliez pas que les coureurs sont payés pour travailler pour [l'équipe], comme on est au service d'une entreprise, nuance le manager de Lotus, Eric Boullier, sur Autosport (en anglais). Je ne connais pas une personne dans le monde qui a désobéi à un ordre sans être sanctionnée."
Et maintenant, les messages codés
Le tollé provoqué par le Grand Prix d'Autriche 2002 a entraîné une interdiction des consignes d'équipe, jusqu'à ce qu'on se rende compte, en 2011, que cela ne changeait rien, les communications radio des teams vers les pilotes étant publiques. Les écuries contournent la mesure au moyen de messages codés. Comme ce "Fernando est plus rapide que toi, peux-tu confirmer avoir compris ce message ?", lancé par son ingénieur au malheureux pilote Ferrari Felipe Massa. Qui a sacrifié ses chances au championnat du monde pour laisser passer son équipier Fernando Alonso lors du Grand Prix d'Allemagne en 2010.
Ou le plus vicieux "multi-21" adressé aux deux pilotes Red Bull, en pleine bagarre pour la victoire, lors du Grand Prix de Malaisie cette année. Mark Webber, alors en tête, comprend le code, qui veut dire "ménage ton moteur". Sebastian Vettel, qui le pourchasse, fait mine de ne pas se souvenir du code, et dépasse son équipier à quelques encablures de l'arrivée. La confiance entre les deux pilotes, déjà mise à mal par de multiples cas de favoritisme envers Vettel, est définitivement rompue. "Je ne vais pas m'excuser, je suis payé pour gagner", a balayé Vettel.
Romain Grosjean a-t-il du souci à se faire ? Son début de saison moyen avait remis en cause sa place dans cette écurie de "première division". Nul doute qu'en laissant passer son équipier, bien mieux classé que lui au championnat du monde, et en décrochant quand même une place sur le podium, il renforce ses chances... d'être prolongé l'année prochaine.
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