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Fair-play financier : ces transferts qui profitent des failles du système

Lundi, les clubs du FC Barcelone et de la Juventus ont officialisé ce qui pourrait être l'une des plus grosses opérations de transfert de cet été. Arthur, le milieu de terrain du Barça, va rejoindre la Juventus pour 72 millions d'euros, tandis que Pjanić, le milieu bosniaque du club italien, va faire le chemin inverse contre 60 millions d'euros. Sur le papier, le club catalan fait une petite plus-value de 12 millions d'euros. Mais en réalité, les deux clubs sortent vainqueurs de ce transfert qui ne concerne finalement que très peu l'aspect sportif.
Article rédigé par Denis Ménétrier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
  (ENRIC FONTCUBERTA / ANDREA DI MARCO / EFE-ANSA)

Les rumeurs, puis la nouvelle annoncée lundi font débat chez les supporters du FC Barcelone. Pourquoi le Barça a-t-il accepté d'échanger le jeune et talentueux milieu Arthur (23 ans) contre le vieillissant et non moins talentueux Miralem Pjanić (30 ans), de la Juventus de Turin, pour une plus-value de 12 millions d'euros seulement ? L'opération a été officialisée il y a deux jours par les deux clubs : le Brésilien du Barça va rejoindre la Juve, après avoir terminé la saison de Ligue des champions avec son club, pour un montant de 72 millions d'euros. Le milieu bosniaque va faire le chemin inverse, pour une indemnité de transfert de 60 millions d'euros.

À première vue et d'après un grand nombre des supporters du Barça, le club catalan serait perdant dans cette opération, en ne récupérant qu'une petite dizaine de millions d'euros dans cet échange. La politique sportive du club et de la direction est remise en question par les Culés (les socios du FC Barcelone) qui voient partir Arthur, milieu arrivé il y a deux ans notamment dans le but de prendre la suite d'Andrés Iniesta. Mais à y regarder de plus près, l'échange opéré par la Juve et le Barça permet aux deux clubs de dégager chacun une plus-value de 50 millions d'euros et d'optimiser leurs comptes avant leur clôture le 30 juin pour l'exercice 2019-2020. Les supporters du Barça ont raison d'être en colère, car le transfert n'a rien à voir avec l'aspect sportif dans cette histoire.

Le Barça et la Juventus, experts de l'ingénierie comptable

Avec cet échange, le FC Barcelone et la Juventus ne font finalement que de l'ingénierie comptable, en réécrivant des lignes en leur faveur, et le tout de manière légale. "C'est une plus-value sur une ligne comptable. Pour les dirigeants des deux clubs, il y a cette plus-value, c'est une belle affaire pour eux", explique Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du sport. Pour bien comprendre, penchons-nous sur le cas d'Arthur Melo, arrivé en juillet 2018 au FC Barcelone pour 30 millions d'euros et un contrat de six ans. Lorsque le Barça l'achète pour ce montant, le club blaugrana amortit le prix du joueur en répartissant dans ses lignes de compte les 30 millions divisés par le nombre d'années de contrat, soit 5 millions par an.

Après deux saisons passées au club, la valeur comptable d'Arthur est encore de 20 millions (après avoir amorti dix millions d'euros). En le vendant pour 70 millions d'euros, le Barça réalise donc une plus-value de 50 millions d'euros. Une indemnité de transfert, comme le précise le site de la Juventus, qui sera échelonnée et payée sur quatre ans. Mais pour le FC Barcelone, peu importe, puisque l'indemnité totale de transfert, même si elle n'a pas encore été entièrement reçue, sera directement inscrite dans les lignes de compte. Une manière, donc, d'améliorer les finances du club avant la clôture de l'exercice comptable 2019-2020 et de passer entre les mailles du Fair-play financier (FPF), ce mécanisme imaginé par Michel Platini, président de l'UEFA de l'époque, afin d'empêcher les dépenses excessives des écuries européennes.

Vers une multiplication de ces "trocs" ?

"Pour les deux clubs, c'est intéressant de fonctionner de cette manière parce que ça permet de se conformer aux règles du Fair-play financier, de rééquilibrer les comptes après la crise économique liée au Covid-19 et d'avoir une marge de manœuvre sur plusieurs années", analyse Pierre Rondeau, avant d'ajouter : "Ce sont des méthodes alternatives qui ne sont ni fautives ni illégales aux yeux du FPF, c'est même plutôt intelligent de leur part". Pour la Juventus, la vente de Pjanić au FC Barcelone lui permet de dégager une plus-value, inscrite sur l'exercice comptable 2019-2020, de 47 millions d'euros. Une réalité bien éloignée du simple bénéfice initial de 12 millions d'euros pour le Barça.

Si cette ingénierie comptable paraît étonnante, les deux clubs n'en sont pas à leur premier fait d'armes. Le FC Barcelone avait déjà réalisé la même opération la saison dernière, en vendant son gardien remplaçant Jasper Cillessen au FC Valence pour 35 millions d'euros, tandis que Neto faisait le chemin inverse pour 26 millions. La Juventus, de son côté, avait vendu Danilo à Manchester City l'été dernier pour 37 millions d'euros, et racheté João Cancelo aux Citizens pour 65 millions. Ces opérations d'échange de joueurs visant à améliorer les comptes des clubs existaient donc déjà, "mais elles pourraient s'intensifier et s'accélérer car les clubs vont préférer favoriser ce type de trocs en cette période de crise économique", juge Pierre Rondeau.

L'aspect sportif relégué au second plan

Si le FPF ne jugera les comptes des clubs que sur une moyenne de 2020 et 2021 la saison prochaine en raison de la crise liée à l'épidémie de coronavirus, "le mieux pour les clubs est de pouvoir rééquilibrer leurs comptes le plus tôt possible", explique le spécialiste de l'économie du sport. Ce type d'échange entre clubs pourrait donc bel et bien se multiplier. Des rumeurs évoquent depuis plusieurs semaines déjà un troc entre le FC Barcelone et l'Inter Milan pour un échange Júnior Firpo-Lautaro Martínez. Arsenal et l'AS Roma envisageraient de faire de même avec Henrik Mkhitaryan et Justin Kluivert. Viable à court terme, cette solution peut cependant poser quelques soucis financiers aux clubs sur le long terme.

Pour le côté sportif, il faudra donc repasser. Un "effet pervers" du FPF selon Pierre Rondeau, pour qui "le football est devenu une industrie et les dirigeants agissent comme des gestionnaires." "Les clubs ont changé de logique : ils doivent d'abord réfléchir comme des entreprises et penser à leur rentabilité, leur solvabilité, à leur profit, avant de penser au sport. Il faut gagner de l'argent en priorité et ça passe par ces méthodes", explique le spécialiste de l'économie du sport. Un inversement des tendances entre les aspects sportif et financier qui explique donc le deal entre la Juventus et le FC Barcelone pour l'échange Pjanić-Arthur. Pas non plus à plaindre avec l'arrivée d'un milieu de classe mondiale en la personne du Bosniaque, les supporters du Barça ne pourront cependant pas assister à la progression du Brésilien et pourraient faire payer cette décision au président du club Josep Maria Bartomeu lors des élections de 2021.

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