Florent Manaudou prend de la créatine… mais c'est quoi la créatine ?
Le champion de natation a brisé un tabou en reconnaissant qu'il prenait ce complément alimentaire à la mauvaise réputation.
La créatine ? Florent Manaudou en prend et il l'assume. "J'ai longtemps cru que cette substance était interdite. Mais quand je suis arrivé à Marseille, en 2011, les aînés m'ont dit que c'était autorisé. Alors je m'y suis mis, comme tout le monde", a reconnu la star des bassins, dans Le Parisien, jeudi 2 octobre.
La confidence du colosse de 100 kg pour 1,99 m, quadruple médaillé d'or aux Championnats d'Europe de natation de Berlin fin août, a été saluée par ses confrères, ravis, comme l'explique sa sœur Laure Manaudou dans Le Parisien, "que le tabou soit levé" sur cette substance chérie des sportifs.
La créatine, ça vient d'où ?
La créatine est une molécule qui compose le muscle. Elle est produite naturellement par l'organisme, dans le rein et le foie. Un homme de 70 kilos en fabrique environ 2 grammes par jour, calcule Libération.
Elle est aussi présente dans le poisson et la viande. En s'alimentant, le corps humain peut l'absorber. Elle est alors filtrée par l'intestin et diffusée dans le sang jusqu'au muscle. "C'est un nutriment", explique dans Le Monde Gérard Dine, professeur de biotechnologie et médecin biologiste, spécialiste de la nutrition et des questions de dopage. Un kilo de steak de bœuf contient ainsi 5 grammes de créatine.
La découverte de cette molécule ne date pas d'hier : elle est l'œuvre d'un chimiste français, Michel-Eugène Chevreul, en 1832. Mais son usage sportif a été théorisé bien plus tard, en 1988, rappelle Libération. Ce nutriment naturel a donc été recréé en laboratoire. Il est désormais largement commercialisé comme complément alimentaire sous forme de gélules ou de poudre à diluer. Il est vendu dans les magasins spécialisés dans le sport ou les parapharmacies et, surtout, sur internet.
Comment ça marche ?
Dans Libération, Xavier Bigard, auteur d'une étude sur la question à l'unité bio-énergétique des armées, compare la créatine à du "kérosène". Une fois produit par l'organisme, ce carburant est transporté par le sang jusqu'aux muscles pour les alimenter.
La créatine, "c’est la molécule de stockage, dans nos muscles, de ce qu’on appelle l’ATP", l’adénosine triphosphate, détaille Gérard Dine dans 20 Minutes. "Il s’agit de la molécule énergétique qui permet le mouvement des muscles. On a naturellement très peu d’ATP dans nos muscles, donc très peu de réserves pour faire un effort intense sur la durée. La créatine, par une conversion biologique, libère cet ATP dans le muscle pour la contraction musculaire."
Quels sont les effets recherchés par les sportifs ?
Explosivité. La créatine n'a rien du produit miracle. Elle ne permet pas de prendre du muscle. Elle se contente d'améliorer la performance musculaire sur un court laps de temps. "Aucune étude scientifique ne montre un intérêt à la prise de créatine, en dehors d'un impact positif pour un effort très bref, type sprint", résume le médecin du sport Jean-Jacques Menuet dans Le Plus du Nouvel Obs.
"La créatine est très utilisée dans tous les sports où il faut de la puissance musculaire. C’est-à-dire ceux où il faut allier la force et l’explosivité, la vitesse. Par exemple le 100 m en athlétisme ou le 50 m et le 100 m en natation. Il y a aussi des sports collectifs, comme le foot ou le rugby, où vous êtes obligé d’être endurant mais aussi explosif", complète le spécialiste de la nutrition Gérard Dine dans 20 Minutes.
"C’est à prendre lors de la phase de préparation à une compétition, trois semaines avant", explique à L'Equipe une source anonyme à la clinique du sport qatarie Aspetar, qui s'intéresse de près à cette molécule.
Récupération. Les athlètes y voient aussi un atout pour récupérer d'une fatigue musculaire, ajoute le médecin du sport. "Certains sportifs soulignent que la prise de créatine leur permet de mieux récupérer après une séance d’entraînement qui sollicite fortement les muscles."
Prise de poids. La créatine entraîne une rétention d'eau dans la fibre musculaire. Un effet secondaire recherché notamment dans le rugby, où il existe "un culte du poids, à tous les postes", selon un agent sportif cité par L'Equipe.
"Dans le foot ou le rugby, certains font des cures de trois mois lorsqu’ils sont blessés" afin de ne pas perdre trop de masse, ajoute-t-il. "Les joueurs arrivent le matin à l’entraînement, et ils ont leurs shakers prêts à boire." La dose ingérée est de 5 grammes par jour maximum.
Est-ce légal ?
La créatine ne fait pas partie de la liste des produits interdits par le code mondial antidopage (PDF). En France, sa consommation n'a jamais été prohibée, mais sa commercialisation l'a été jusqu'en 2007, date à laquelle Paris a dû s'aligner sur la réglementation européenne.
"Ce n'est pas un dopant puisque c'est un élément naturel", tranche sur Europe 1 Gérard Dine. "Ce n'est pas de la chimie ou de la biotechnologie et ça ne court-circuite pas les systèmes de production énergétiques naturels. C'est totalement différent de la prise d'EPO, d'hormones de croissance ou de stéroïdes anabolisants qui vont court-circuiter toutes les régulations, impacter nos grandes fonctions et être potentiellement dangereux."
Est-ce dangereux ?
Attention aux reins. A ceux qui veulent recourir à la créatine, le médecin du sport Jean-Jacques Menuet "conseille", dans Le Plus du Nouvel Obs, "de limiter la prise" : "peu souvent, et en faible quantité". Car, ajoute-t-il, "une consommation prolongée ou trop importante en quantité génère un travail supplémentaire pour les reins et à terme, des possibilités de complications rénales".
"La prise de créatine doit se faire dans le cadre d’une préparation musculaire stricte et de mesures diététiques et alimentaires adaptées", prévient le spécialiste de la nutrition Gérard Dine dans 20 Minutes. Il cite en exemple le Cercle des nageurs de Marseille, où les athlètes "sont encadrés par des médecins qui savent surveiller une préparation à la créatine".
Attention aux articulations. Reste que la prise de poids provoquée par la créatine n'est pas sans conséquences sur l'organisme. "Cette surcharge affecte les tendons, les muscles, les articulations. Les microtraumatismes sont alors plus fréquents", avertit le docteur Jean-Jacques Menuet dans L'Equipe.
Attention au cœur. La créatine peut aussi être "prise par voie intraveineuse", ajoute le médecin du sport dans Le Plus, avant de mettre en garde : "Ce produit existe mais il est d’une redoutable toxicité cardiaque."
Attention aux achats sur internet. Jean-Jacques Menuet recommande de "ne jamais acheter de la créatine sur internet : il y fourmille des produits censés être de la créatine mais qui risquent de contenir en plus des substances interdites. Bien sûr, ce n'est pas marqué sur l'étiquette. Il y a donc un risque pour la santé… Et pour les contrôles antidopage. Il faut s'approvisionner uniquement auprès de laboratoires français ou en pharmacie."
Qui en prend ?
La créatine est à la mode depuis le milieu des années 1990. En novembre 1997, l’équipe sud-africaine de rugby écrase le XV de France au Parc des Princes (52-10). Les Springboks sont plus rapides, plus puissants, plus résistants. L'Equipe découvre leur secret : la créatine.
Autre adepte : Jeannie Longo. La championne cycliste française assure en prendre à petite dose en remplacement de la viande. Elle en fait même la promotion sur son site internet. La tenniswoman française Mary Pierce confie qu'elle en consomme "avec modération" depuis 1998, raconte Le Point.
Au début des années 2000, le procès pour dopage de la Juventus de Turin révèle l'ampleur du phénomène. Didier Deschamps avoue, cité par Le Parisien : "C'était aux alentours de 1995-1996. (...) J'en prenais des doses de 4 ou 5 grammes par jour. Tout le monde en prenait. Comme pour les compléments alimentaires, cela venait du médecin." Zinédine Zidane, lui, reconnaît qu'il prenait "trois grammes de créatine deux ou trois jours par semaine durant la préparation, et, de temps en temps, durant le championnat, entre la première et la deuxième mi-temps", rapporte Libération.
La créatine a même séduit le grand public. Chaque année, les Américains en consomment à eux seuls 4 millions de kilos, selon les National Institutes of Health, cités par Live Science (en anglais).
Pourquoi la créatine fait-elle polémique ?
"Je trouve le débat un peu faux-cul aujourd’hui", peste Fabien Gilot, coéquipier de Florent Manaudou au Cercle des nageurs de Marseille, cité par RMC Sport. "Personne n’ose dire qu’il en prend alors que ce n’est pas du tout du dopage." Ce n'est pourtant pas si simple.
"Depuis 30 ans maintenant, la créatine est effectivement associée à des compléments alimentaires trafiqués, souvent de contrefaçon, contenant surtout des stéroïdes anabolisants", tacle sur Europe 1 le spécialiste du dopage Gérard Dine.
Autre élément à charge : "On constate parfois une prise de muscles impressionnante chez des sportifs, note le médecin du sport Jean-Jacques Menuet sur Le Plus. Que disent-ils ? 'Je prends de la créatine'." Gérard Dine confirme : "La créatine est parfois la justification des gens douteux et des hypocrites à une prise de muscles. Car personne ne peut prendre 10 kilos de muscles en utilisant une préparation sportive et alimentaire uniquement à la créatine."
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