Football : Amandine Henry, Jenni Hermoso, Priscila... Comment le Mexique fait-il pour attirer certaines des meilleures joueuses du monde ?
Une poussée de croissance impressionnante. En seulement sept ans, la Liga Mx Femenil - comprenez le championnat féminin mexicain de football - a réussi à attirer certaines des meilleures joueuses de la planète. Cinq championnes du monde espagnoles y évoluent (Jenni Hermoso, Irene Guerrero, Lucia Garcia Cordoba, Andrea Pereira et Sandra Panos), tout comme les Françaises Aurélie Kaci, Sarah Huchet, et la très jeune Celia Bensalem (19 ans), rejointe à Toluca cette saison par Amandine Henry.
"Amandine a adoré évoluer aux Etats-Unis, mais elle avait envie de découvrir un nouveau championnat avant de raccrocher, glissait Sonia Souid, la conseillère de la joueuse française dans L'Equipe le 11 septembre. Amandine souhaitant devenir manager, elle a conscience de l'importance de parler plusieurs langues." La Française a connu sa première défaite lors de son quatrième match, et a inscrit jusque-là un but, alors que son équipe pointe en 11e position du classement.
"Amandine Henry ne vient pas ici par hasard, confirme la présidente de la Ligue mexicaine, Mariana Gutiérrez. Ici, tout commence par une vision. Nous savions que nous avions un grand potentiel, parce que nous avons un plan stratégique, et surtout une énorme volonté de développer le football féminin, qui est considéré comme un grand business. C'est une opportunité gigantesque, dans un pays qui respire, mange et vit le football toute la journée."
Un jeune championnat de plus en plus suivi
Des mots soutenus par des chiffres éloquents cette saison. Après la 10e journée du tournoi d'ouverture, le championnat féminin a été suivi par 5,75 millions de téléspectateurs sur les chaînes gratuites, payantes et le streaming, une augmentation de 25% par rapport au tournoi de clôture du championnat l'an dernier. Dans les stades, pour ce même tournoi final 2024, 5,4 millions de personnes sont allées dans les enceintes mexicaines.
A plusieurs reprises pendant l'année, les joueuses évoluent devant plus de 50 000 personnes, un succès populaire qui ne laisse pas les joueuses insensibles : "Le public est le meilleur joueur de Club América. Sans lui, nous ne serions pas une si grande équipe", affirmait l'internationale mexicaine Monica Rodriguez, avant de rejoindre Juarez cette saison. Si la ligue féminine peut se targuer de telles audiences, c'est qu'elle profite des infrastructures déjà existantes.
"Nous jouons dans tous les grands stades. C'est un privilège, car tous les clubs masculins ont eu l'obligation de créer un club féminin. Cela nous a permis de tirer parti de toutes les structures et des stratégies de communication qui existaient."
Mariana Gutiérrez, présidente de la Liga Mx Femenilà franceinfo: sport
Au-delà de "l'un des plus beaux pays" vendu par Mariana Gutiérrez, la ligue féminine mexicaine se veut "un projet très pertinent pour les joueuses", grâce aux infrastructures, notamment les mêmes stades que pour les hommes, mais aussi à "la mentalité des propriétaires des clubs, bien décidés à créer une ligue de destination, et surtout pas une ligue d'exportation."
Une stratégie qui fonctionne, en témoigne l'arrivée cet été d'une pépite brésilienne. "Priscila Flor da Silva est devenue le transfert le plus cher du Brésil pour une joueuse. Elle a été magique à la fois lors de la Coupe du monde des moins de 20 ans [3 buts] et lors des Jeux olympiques, s'enthousiasme la présidente de la Liga Mx Femenil. Nous sommes devenus une destination très importante pour rivaliser avec les États-Unis." Les sponsors y voient une réelle opportunité, à l'image de Nike, qui a signé l'an dernier "un accord de trois ans avec la Liga BBVA MX Femenil, pour devenir le partenaire sportif exclusif d'une ligue qui a connu une croissance spectaculaire".
Pourtant, lorsque la Ligue féminine a été créée en 2017, il a fallu du temps pour gagner en attractivité. Concernant le niveau du championnat, cela a été plus long pour observer une progression. "Il y a une chose que l'argent ne peut pas acheter, c'est le processus de développement d'une joueuse", reconnaît Mariana Gutiérrez. Cette jeune ligue a donc dû partir de zéro, pour réussir à installer 18 clubs. "Certaines joueuses ont été détectées dans la structure de l'équipe nationale, mais il n'y en avait pas beaucoup d'autres. Nous avions 500 joueuses inscrites dans de nombreux clubs, mais la plupart d'entre elles n'avaient pas participé à des compétitions de haut niveau. Nous avons donc organisé une détection chez les jeunes, et nous assistons aujourd'hui à leur évolution", détaille la présidente.
Amandine Henry, un exemple de professionnalisme
Les joueuses, qui ont progressé au fil des ans, arrivent aujourd'hui à maturité, améliorant la compétitivité du championnat. De plus, l'apport de plusieurs internationales - qui peuvent désormais, pour les meilleures d'entre elles, espérer "des salaires annuels à six chiffres" selon la présidente de la Ligue - ne fait que pousser les joueuses locales vers le haut. "Les États-Unis ont des années d'avance sur nous, des pays comme la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Angleterre aussi. Là-bas, le football féminin se développe depuis beaucoup plus longtemps, observe Mariana Gutiérrez. Mais nous progressons vite, et nous avons eu l'opportunité d'internationaliser le championnat pour nous développer plus rapidement. Cela fonctionne, puisque nous aurons au moins une équipe mexicaine au Final Four de la Ligue des champions Concacaf."
Pour accélérer cette croissance, la Ligue a augmenté le quota d'étrangères à cinq par équipe. Une façon "d'attirer de très bons talents, et de donner envie à nos jeunes de nous rejoindre", explique sa présidente. L'enjeu est important : "Nos joueuses seront bien meilleures aux côtés d'internationales, c'est vrai, mais elles seront surtout de plus grandes professionnelles, assure Mariana Gutiérrez. Celles qui ont admiré Amandine Henry pendant de nombreuses années, et qui jouent désormais avec elle, ont beaucoup plus à apprendre en dehors du terrain que sur le terrain. C'est primordial pour moi, car nous voulons former de meilleurs êtres humains et de meilleures professionnelles, parce que les footballeuses sont aujourd'hui un exemple pour de nombreuses filles."
"Le football féminin est tendance"
Au Mexique, les joueuses - qui sont à 99% professionnelles (seules quelques très jeunes joueuses, qui montent des U19 à l'équipe première, ont d'abord un "accord de formation" avant de passer pro) -, bénéficient également d'une Ligue des champions prestigieuse. "Nous disposons d'un grand avantage, à savoir que notre pays voisin est une puissance dans le monde du football féminin. Nous participons à la nouvelle Ligue des champions Concacaf, avec les meilleurs clubs américains", explique Mariana Gutiérrez. De nombreuses jeunes joueuses américaines ou américano-mexicaines viennent d'ailleurs s'aguerrir au Mexique, où elles ont la possibilité d'avoir du temps de jeu tout en profitant de belles ambiances.
Aujourd'hui, 25 millions de personnes s'intéressent au football féminin au Mexique, et les femmes sont de plus en plus présentes dans les stades, à hauteur de 40%. Du travail reste à faire, mais le 17 avril, la ligue a organisé sa première Assemblée générale sans son homologue masculine. "C'est un grand pas, nous commençons à élaborer des stratégies de communication pour vendre notre produit aux potentiels acheteurs, se réjouit la présidente. Les chiffres que nous atteignons cette saison montrent que le football féminin est tendance, et que les gens le consomment. Il y a une formule que j'adore, qui dit que les personnes qui regardent le football féminin passent plus de temps à le regarder que le football masculin." La présence de stars du football n'y est certainement pas pour rien.
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