De la Seine-et-Marne à Arsenal, rencontre avec Suzana Garcia, première "scout" de l’histoire des "Gunners"

A 29 ans, la Française Suzana Garcia est une précurseure. Elle occupe le poste de recruteuse au sein du club anglais d’Arsenal, une première pour une femme.
Article rédigé par Julien Froment
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Suzana Garcia, 29 ans, est à la recherche de nouveaux talents pour le club d'Arsenal. (JULIEN FROMENT / RADIOFRANCE)

Quand on rencontre Suzana Garcia dans l’ouest de Londres, entre Sheperd’s Bush et Nothing Hill, elle garde précieusement dans son sac un tour de cou rouge et le badge sur lequel figure son nom, accolé à l'un des logos les plus prestigieux du football anglais : Arsenal FC.

Suzana Garcia est "scout" pour Arsenal. "Cela signifie recruteur. Le club a proposé d'ouvrir un poste pour moi afin de devenir pour la première fois de l’histoire du club, recruteur au sein du centre de formation", expose-t-elle à franceinfo. Mais comment, de fan de foot à Lognes, en Seine-et-Marne, cette femme de 29 ans est devenue salariée d’un des clubs les plus emblématiques de la Premier League anglaise ? On vous raconte son parcours.

Le foot chevillé au cœur

Suzana Garcia a grandi à Lognes, ville de Seine-et-Marne d’un peu moins de 15 000 habitants. Elle y découvre le foot grâce à son grand frère. "Il jouait au Portugal, j’ai un background familial de footballeurs. Le football, c’est ma vie", résume-t-elle à franceinfo. "Mais, à l’époque, il n’y avait pas de section féminine dans ma ville." Elle décide alors de la créer.

"Les structures étaient peu développées, elles étaient même quasi inexistantes. Pour moi, c’était important que les filles puissent jouer au foot."

Suzana Garcia, scout pour Arsenal

à franceinfo

"Je n'ai pas eu cette chance à l’époque, je faisais seulement du handball alors que je voulais vraiment faire du football. Mais, il n’y avait pas de club aux alentours, et ma mère ne pouvait pas m'emmener", se souvient-elle.

Créer cette équipe féminine, c'est aussi le moyen pour elle de combler un manque. "C'était vraiment tabou dans les années 2000 de faire du football pour les femmes, se rappelle-t-elle. On n'avait pas beaucoup de représentations dans le football féminin à cette époque-là, donc c'était un peu compliqué de convaincre ses parents de faire du football et je pense que c'est pour ça que cela a été le projet de ma vie."

Manchester United-PSG en Ligue des champions, le déclic

Tout en faisant ses études à Nice, "Coach Zana" entraîne les équipes féminines de jeunes à l’OGC Nice. La Seine-et-Marnaise touche du doigt son rêve de travailler dans le foot professionnel : cette époque, mes semaines-types, c’est : je vais au travail, je vais à l'école, je vais au foot, je vais voir les matchs. C'était toute ma vie. Mais j'ai dû remonter à Paris."

La raison ? "Le Sud est un endroit qui est pas mal fréquenté par l'extrême droite et à ce moment-là, je n'étais pas assez en confiance pour rester. C'était très compliqué parce que les minorités étaient très peu représentées dans le club", juge-t-elle.

Après avoir tenté de passer différents concours à la Ligue de football amateur de Paris, sans succès, le déclic intervient lors d’un match de Ligue des champions, en 2019, entre Manchester United et le Paris Saint-Germain. "J’étais dans le parcage parisien et j’ai vu qu’il y avait des femmes dans le staff de Manchester. Cela m’a vraiment touchée, se souvient-elle. C’était un message fort pour moi. En France, les femmes noires dans le coaching ou dans un staff technique, ne sont pas du tout représentées. Cela m’a donné envie de tenter ma chance."

"Quand j'ai eu la réponse d'Arsenal, j'ai pleuré"

Elle part tout d'abord un an à Londres, comme fille au pair, pour s'imprégner de la culture anglaise. Une expérience qui lui plaît beaucoup. Un de ses amis l'informe d'un programme lancé par le club d'Arsenal. Le Arsenal Community Coach Development Programme. Elle postule et, quelques mois plus tard, le verdict tombe : Suzana Garcia est retenue. "Quand j'ai eu la réponse, j'ai appelé ma mère, mes proches, et j'ai pleuré. C'est quelque chose de grand, pour moi qui vient du 77, d'avoir une opportunité à Arsenal."

Suzana Garcia apprend vite et bien, elle obtient son certificat et le club lui propose même de devenir "scout", recruteure pour les Gunners. C'est la première fois que le club propose ce poste à une femme. Suzana Garia se retrouve en charge de l’ouest de Londres, pour les garçons de 12 à 15 ans, puis pour les féminines. "Je pense que j'étais légitime parce que j'avais vraiment une expérience aussi de coach. Je sortais quand même d’un an et demi, voire deux ans, de formation au sein de la Fondation."

Des rapports détaillés à ses supérieurs, un choix collégial

Avec un rôle bien précis : "Je recrute au sein de l'Académie, le centre de formation. Mon poste consiste à superviser des joueurs, aller dénicher des joueurs, des talents de demain - on croise les doigts (rires). Je parcours les terrains tous les week-ends dans Londres, à la recherche de joueurs qui auraient potentiellement le niveau de devenir footballeur, d’intégrer l'académie du centre de formation."

Suzana Garcia réalise des rapports complets sur des jeunes joueuses et joueurs puis les soumet à ses supérieurs. "Je vois, en fonction du profil des joueurs, comment ils peuvent s'adapter au sein du centre de formation. Ensuite c’est une réflexion collective, collégiale." Avec deux possibilités : recruter le jeune en devenir ou le laisser se développer dans sa structure tout en continuant de garder un œil sur lui. Pour l’heure, les joueurs qu’elle a "scouté" sont encore trop jeunes pour figurer dans le groupe professionnel, mais d’ici cinq à dix ans, Suzana Garcia aura face à elle le résultat concret de son recrutement, avec peut-être un ou plusieurs éléments qui évolueront au sein de l’équipe première.

"Ma plus grande fierté ? Quatre femmes ont été recrutées à Arsenal depuis mon arrivée"

Première femme à occuper ce poste à Arsenal, Suzana Garcia s’est rendu compte de cette portée historique au moment de son congé maternité. "À mon retour, on a eu une réunion où on m'a informée que grâce à mon travail, à mon combat quotidien depuis trois ans pour qu'il y ait plus de femmes au sein du centre de formation, mais aussi globalement au sein du club, quatre femmes ont été recrutées."

Et d’ajouter avec une larme sur sa joue : "C'est une fierté de se dire que je reviens de loin, cela fait dix ans quand même que je suis dans le milieu du football. Mais je dois toujours faire mes preuves, c’est dur."

"Des 'petites' me prennent en exemple. Elles auraient pu avoir d'autres parcours, elles auraient pu sombrer dans des choses pires et elles me disent via les réseaux sociaux que, grâce à moi, elles ne font pas de bêtises."

Suzana Garcia

à franceinfo

"Je vais être comme toi, tu es un exemple pour moi", voilà le genre de messages qu'elle reçoit via ses réseaux. "C’est ce qui me rend le plus fière. J’ai ouvert le champ des possibles pour les femmes qui viennent d'arriver derrière moi", raconte-t-elle.

"Coach Zana", grande fan du PSG, s’est fixée d’autres objectifs, élevés bien sûr. "Mon rêve, ce serait d'avoir un poste à haute responsabilité, de faire partie l’équipe première d'un club de foot."

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