Ça s'est passé un 19 mai 1996, Olivier Panis remporte le Grand Prix de Monaco, la dernière victoire française en F1
Monte-Carlo, le glamour, la piste aux étoiles et la légende. Le circuit de Monaco, c'est un tourniquet entre les rails, un exercice d'équilibriste sur des engins aux centaines de chevaux. Dans les rues de la Principauté, il ne faut pas seulement être un bon pilote pour s'imposer. Le tracé sinueux ne fait pas la part belle aux plus rapides, ceux au pied lourd. Ni uniquement aux stratèges, ou aux opportunistes. Il sourit à ceux qui savent être un peu tout ça à la fois. C'est ce qui rend le Grand Prix monégasque unique, capable de couronner des icônes du sport automobile comme des merveilleux coups d'un jour. De tout ceux-ci, celui réussi par Olivier Panis le 19 mai 1996 est sans doute le plus fumant.
Tout pilote de Formule 1 rêve d'inscrire un jour son nom au palmarès de cette course mythique. Mais il lui faut parfois un je-ne-sais-quoi, le destin, la bonne étoile, la chance ou toute autre assistance divine. Comme quand Ricardo Patrese remporta le premier Grand Prix de sa carrière en 1982 alors que cinq leaders se sont succédés dans les trois derniers tours au gré des accidents et des pannes mécaniques. Ou comme Daniel Ricciardo, privé de succès en 2016 par une erreur du stand Red Bull, et vainqueur rocambolesque deux saisons plus tard malgré une panne pendant 50 tours lui faisant perdre deux rapports de boîte de vitesses et deux à trois secondes au tour. Ces scénarios renversants ne sont pourtant rien devant l'après-midi princier vécu par le pilote français il y a 24 ans.
La pluie rebat les cartes avant même le départ
Tout commence pourtant par une grosse douche. Il pleut à verse ce dimanche matin sur Monaco, peu après le warm-up, ces derniers essais de rodage. Les enseignements de la si cruciale séance de qualification de la veille, qui dessine traditionnellement les contours de la course, sont à revoir de A à Z. Le départ sera donné sur une piste mouillée pour arriver au virage de Sainte-Dévote, un des plus traîtres de la saison. Avec les gerbes d'eau qu'envoient les monoplaces sur leur passage, la visibilité est particulièrement réduite. David Coulthard (McLaren) est même contraint d'aller demander à Michael Schumacher de lui prêter un de ses casques, qui disposent d'un système de double visière anti-buée pour pouvoir courir. L'Ecossais, avec son heaume aux couleurs du drapeau allemand et aux sponsors masqués par du scotch, terminera deuxième. Une des nombreuses bizarreries d'un Grand Prix sans dessus-dessous.
Olivier Panis part lui 14e au volant de sa Ligier. La voiture française ne peut faire mieux que lutter en milieu de peloton, à deux secondes de la pole position de Schumacher cette année-là. Surtout, Ligier est en grande difficulté financière alors qu'un rachat a capoté en début d'année. L'écurie n'est pas attendue aux premiers rangs et vivote en partie grâce à son pilote tricolore, qui vient de livrer deux premières saisons prometteuses en F1 avec deux deuxièmes places. Cette fois, aussi loin sur la grille, dans de telles conditions et à Monaco, difficile d'espérer un bon résultat. Sur un circuit où il est aussi difficile de dépasser, le Lyonnais prend un départ prudent mais profite des erreurs de ses adversaires. Cinq voitures terminent dans le décor dans le seul premier tour ! Si Jos Verstappen met fin à sa course dès le premier tournant, le champion du monde en titre Michael Schumacher ne fait guère mieux. Parti en tête, il perd d'entrée le commandement puis un demi-tour plus loin le contrôle de sa Ferrari au Portier, brisant sa suspension avant gauche.
12e après un tour, Panis contrôle. Pour obtenir un résultat à Monaco, le principal est avant tout de finir. Surtout, le Français a un plan, sorti du chapeau de son motoriste Mugen-Honda. Avec les conditions météo pénibles, les ingénieurs japonais décident juste avant la course de surcharger la voiture et de la faire partir avec un réservoir rempli à ras-bord, qui devrait suffire pour toute la course si celle-ci dure assez longtemps sur piste humide. Avec 26 boucles sur un sol détrempé, la Ligier n'aura pas besoin de faire le plein contrairement à de nombreux rivaux. Il en tiendra 28. Le pari est d'ores et déjà réussi.
Avant son seul passage aux stands, Olivier Panis gagne en vitesse. Lui que l'on loue pour sa constance plutôt que pour ses performances se montre offensif. Il attaque Brundle dans la montée de Beaurivage, surprend Hakkinen au tournant de Mirabeau, Herbert à l'épingle de Loews, le virage le plus serré et le plus lent de tout le championnat. Le voilà 7e au moment de passer à son garage troquer ses pneus pluie contre des pneus lisses, la piste ayant bien séché. Au jeu des ravitaillements, il tombe un temps 9e avant de remonter la hiérarchie pilote par pilote, arrêt par arrêt. La stratégie de Ligier lui offre une quatrième place déjà remarquable.
La malchance de Hill, la malédiction d'Alesi
Mais Panis ne s'arrête pas là. Parmi les plus rapides, il fond sur Eddie Irvine pour une place sur le podium. L'Irlandais a du caractère, et même plus lent et poussé à laisser passer son adversaire par les drapeaux bleus des commissaires, il refuse d'obtempérer. Sa troisième place, le Français devra aller la chercher pour l'obtenir. Et il le fait avec une grande autorité à l'épingle, poussant le pilote Ferrari vers le rail au point de ne pas pouvoir tourner. Ce dépassement musclé reste un des plus marquants de l'histoire des courses à Monaco.
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Devant, Damon Hill vit seul sa course, loin devant le reste de la meute. Son départ impeccable et l'accident de Schumacher lui a offert la voie libre d'entrée de jeu et le Britannique ne se fait pas prier. Il compte déjà plus de quatre secondes d'avance à son premier passage sur la ligne d'arrivée. Et même 25 à la mi-course. Mais au 41e tour, son moteur Renault part en fumée en entrant dans le tunnel. Pareil incident n'était plus arrivé à la firme au Losange depuis trois ans en F1. Cet abandon laisse le public monégasque extatique, deux Français sont en tête, Jean Alesi devant Olivier Panis. Le bonheur ne durera que 18 tours.
Au volant de sa Benetton, Alesi dispose d'une marge confortable sur son compatriote et fait une course sans fausse note. Mais comme souvent dans sa carrière, l'Avignonnais souffre d'une scoumoune terrible. Il s'arrête aux stands au 59e tour, alors qu'il vient tout juste de faire son deuxième pit-stop. Alesi montre l'arrière de sa voiture à ses mécaniciens, qui changent de pneus par précaution, au cas où une crevaison se serait déclarée. Le problème vient en réalité de la suspension. La course est terminée, ses rêves de deuxième victoire en Formule 1 avec.
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Trois pilotes seulement à l'arrivée du contre-la-montre
Dans cette hécatombe, Olivier Panis navigue entre les obstacles. Sa manœuvre sur Irvine ne lui a pas laissé de dégâts, un petit miracle. Il glisse quelques tours plus tard sur l'huile laissée par le moteur cassé de Hill à la chicane du Port et tire tout droit. Il ne doit sa survie qu'à un réflexe parfait, un tête-à-queue volontaire pour ne pas avoir à subir de pénalité pour avoir court-circuité le virage. Car David Coulthard et son casque emprunté sont juste derrière, à moins de deux secondes. Panis doit désormais faire face à l'Ecossais, et au temps. Le rythme piano de la première partie de course la pousse de plus en plus vers les deux heures, la durée maximale d'un Grand Prix. La McLaren n'a plus que quelques minutes pour renverser la situation. Derrière, Villeneuve et Badoer jouent à saute-mouton, quand Irvine, parti en travers, provoque un jeu de quilles qui met les Finlandais Salo et Hakkinen à l'arrêt.
Il ne reste plus que quatre pilotes, bientôt trois quand Frentzen s'arrête avant le dernier tour. Olivier Panis ne craque pas jusqu'au bout et peut jubiler. La Ligier l'emporte au terme de 75 des 76 tours prévus et peut s'offrir un tour d'honneur avec le drapeau bleu-blanc-rouge sorti du cockpit. La première et seule victoire de la carrière de Panis, qui connaîtra ensuite des saisons décousues, à l'image de la Formule 1 en France. Depuis ce 19 mai 1996, aucun autre pilote tricolore n'a remporté un Grand Prix. Romain Grosjean s'en est approché avec Lotus, l'espoir Jules Bianchi, décédé en 2015 suite à un accident sur le circuit de Suzuka au Japon, n'a jamais pu accomplir une carrière promise aux sommets. Il ne reste que le souvenir d'une course totalement dingue, que la F1 elle-même a placé en première place des vainqueurs improbables en 2019.
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