Bénitier, Renault 17 et inspecteur Clouseau : qui est vraiment Arsène Wenger ?
Vous connaissez le palmarès ronflant de l'entraîneur d'Arsenal, la concision légendaire de ses commentaires. Mais l'homme ?
Une rumeur tenace veut qu'Arsène Wenger ne connaisse de Londres que le chemin entre son domicile et le centre d'entraînement d'Arsenal. Il y arrive avant 9 heures, en repart après 18 heures, et passe ses soirées devant son écran plasma pour décortiquer le jeu de ses concurrents. A première vue, la vie d'Arsène Wenger est tout sauf palpitante. Pourtant, l'histoire de l'entraîneur d'Arsenal, adversaire de Monaco mercredi 25 février en 8es de finale aller de la Ligue des champions, recèle quelques facettes méconnues. Et qui valent le détour.
Une enfance entre église et bistrot
Arsène Wenger grandit dans le village de Duttlenheim, 2 500 âmes, en plein cœur de l'Alsace. Plus précisément, il use ses fonds de culotte dans la brasserie familiale La Croix d'Or. "Il n'y a pas de meilleure éducation que de grandir dans un bistrot", dira plus tard Arsène Wenger. C'est au comptoir que le jeune Arsène s'initie à la tactique dans le foot. "J'ai appris question tactique et sélection de ces gens qui venaient dans le bistrot et qui parlaient tout le temps football, de qui devait jouer sur l'aile gauche et de qui devait être dans l'équipe."
Entre deux jus d'orange, le garçon enfile l'aube d'enfant de chœur dans l'église du village. Le dimanche, pendant la messe, il prie pour que son équipe gagne. Et sans doute aussi afin d'avoir la bénédiction du curé pour sécher les vêpres et s'égailler sur le terrain communal, raconte Myles Palmer dans son livre The Professor (en anglais). Arsène Wenger se montre doué pour le ballon rond. En 1968-69, c'est lui le meilleur buteur du club de Duttlenheim alors qu'il évolue au milieu de terrain.
S'ensuit une carrière au plus haut niveau, toujours dans sa région. Avec Mulhouse, en deuxième division, il dispose, en 1975, de l'AS Nancy-Lorraine, où évolue alors Michel Platini. Une série de buts lui vaut des comparaisons flatteuses avec Günter Netzer, une star de la RFA championne du monde à l'époque. Mais sa carrière ne décolle jamais vraiment. Il vit du banc des remplaçants le sommet de sa carrière, le titre de champion de France avec Strasbourg en 1979.
Vacances studieuses à Cambridge
Tout en austérité, Wenger, encore joueur, a des choix de vacances étranges : "Quand vous êtes footballeur, vous partez en vacances au Club Med. Moi, j'ai acheté un ticket pour Londres. Un ami m'a conseillé de me rendre à Cambridge. Je me suis inscrit à un cours d'anglais de 3 semaines. Mes coéquipiers croyaient que j'étais fou". A la BBC, il explique l'origine de sa sobriété : "J'ai hérité des valeurs typiques de l'Alsace. D'abord, travaille dur, puis travaille encore plus dur, et continue si ça ne suffit pas."
Devenu entraîneur, l'Alsacien fait son trou dans le championnat en prenant en charge Cannes, Nancy, puis Monaco. Mais ne comptez pas sur lui pour succomber aux sirènes des casinos monégasques et de l'argent facile. "Le parking au centre d'entraînement était plein de Mercedes, BMW ou de Porsche. Sur le côté, il y avait la Renault 17 d'Arsène", se souvient son ami Jean-Pierre Hopp, dans The Professor. Aujourd'hui encore, à Arsenal, Wenger se contente d'une berline milieu de gamme avec l'autoradio bloqué sur Classic FM.
Torse nu dans le jardin, à 6 heures du matin
La goutte d'eau qui fait déborder le vase, à Monaco, c'est la corruption. Passent encore les insanités qu'il crie à Bernard Tapie dans le tunnel du Vélodrome, après un match houleux. Tellement houleux que son staff doit le retenir pour qu'il n'aille pas en découdre avec le bouillant patron de l'OM. Paul Frantz, confident de Wenger pendant la période monégasque, raconte à son biographe Xavier Rivoire : "Bernard Tapie avait acheté des joueurs de Monaco, la pire chose à faire. Quand vous achetez des joueurs d'une équipe rivale, vous tuez toute opposition." Trois joueurs, dont un aurait avoué, d'après le staff monégasque de l'époque.
Wenger part se ressourcer au Japon, au Nagoya Grampus Eight. Les 18 mois passés là-bas font un bien fou au coach alsacien. Et lui laissent des habitudes tenaces. "Chaque matin, Arsène Wenger se lève à 6 heures. Marche torse nu et pieds nus dans son jardin, quel que soit le temps, un rituel importé du Japon", raconte son ami Charles Villeneuve, dans le JDD. Autre habitude made in Japan : le fait de rester impassible sur le bord du terrain. "Les joueurs se moquent de vous si vous montrez vos émotions", confie-t-il au magazine The People (en anglais). Une habitude qu'il a conservée depuis. "Je ne l'ai jamais entendu jurer, se souvient John Hartson, présent dans l'effectif d'Arsenal au milieu des années 1990, dans le Guardian. Au pire, il devient rouge et se met à battre des bras."
"Rendez-nous le chocolat !"
Ce qui frappe aussi Wenger, lors de son exil japonais, c'est la minceur de la population. Il institue un contrôle diététique très strict chez ses joueurs : le premier qui dépasse 12% de masse grasse est exclu de l'équipe jusqu'à retrouver son poids de forme. Le choc est rude quand il découvre un vestiaire ravagé par l'alcool à son arrivée à Arsenal, en 1996. Le capitaine Tony Adams, trente pintes chaque week-end et des orgies mémorables tous les mardis soirs, se retrouve au régime sec. Exit les bouteilles de Coca-Cola et les bonbonnières de jelly beans en accès libre au centre d'entraînement. Les résultats suivent, pas les joueurs. Après la toute première victoire de Wenger, à Blackburn, l'équipe se mutine, dans le fond du bus, raconte le Guardian (en anglais). "Rendez-nous le chocolat !", chantent les footballeurs. En vain.
Arsène Wenger sait se faire respecter par son vestiaire. Les surnoms de "Clouseau", du nom du détective maladroit de La Panthère rose, incarné par Peter Sellers, puis "Windows", en raison de ses grosses lunettes, qu'il troquera pour des lentilles de contact, datent du début de son mandat à Arsenal. Depuis, les choses ont changé. "Arsène Wenger fait peur à ses joueurs, confie Emmanuel Petit dans Arsène Wenger, the Authorized Biography (en anglais). Il y en a peu qui osent lui tenir tête ou argumenter avec lui."
Celui qui l'a fait le plus violemment est sans aucun doute Claude Puel. L'actuel entraîneur de Nice était un milieu de terrain rugueux sous les couleurs de Monaco. Vraiment rugueux. "A un moment, Arsène Wenger me laissait un peu trop souvent sur le banc, se souvient Puel. Il avait organisé un match lors de l'entraînement, et il avait décidé de participer. Je l'ai taclé, il a volé et atterri sur le dos. Il n'était pas content, mais ça ne l'a pas empêché de m'aligner dans le onze titulaire le match d'après." On déconseille quand même à Olivier Giroud de tenter le coup...
L'Afrique plutôt que le PSG
Y a-t-il autre chose que le foot dans l'existence d'Arsène Wenger ? Oui, sa famille, notamment sa fille Léa, désormais adolescente. Sur ce pan de sa vie, Wenger ne s'exprime jamais. Quand la presse à scandale lui prête une liaison avec une obscure chanteuse française, ou quand les supporters adverses chantent "Arsène Wenger est un pédophile", il fait le dos rond. Les ragots sur sa vie privée, il en a l'habitude. "Pendant sept ans, nous étions toujours ensemble", se souvient Jean Petit, dans Wenger : The Making of a Legend. L'entraîneur avait l'habitude d'enlacer son adjoint à Monaco après chaque but. "Les gens croyaient qu'on était homosexuels..."
Après 18 ans sur le banc d'Arsenal, Arsène Wenger ne se voit pas briguer un autre poste à responsabilités ensuite. Tant pis pour les propriétaires qataris du PSG qui rêvaient de l'attirer. Tant pis pour l'équipe de France, qu'il a refusée trois fois. Tant pis pour le Bayern Munich, qui le voulait en 1994. Voilà ce qu'il disait à la BBC en 2003 : "Quand j'en aurai assez du haut niveau, je deviendrai peut-être un dirigeant. Mais je me sens plus d'entraîner des jeunes, en Afrique ou en Inde, en tout cas quelque part où rien ne s'est jamais passé jusqu'à maintenant."
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